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Vous ne connaissez pas encore le travail de la prodigieuse chorégraphe canadienne Crystal Pite, qui vient de remporter le Grand Prix de la danse de Montréal 2018 ? Revisor, la nouvelle production très attendue de sa compagnie Kidd Pivot vous donnera bientôt l’occasion de découvrir la cohérence et la puissance d’évocation de son univers.
C’est à Victoria, en Colombie-Britannique, que la jeune Crystal Pite fait ses premiers entrechats. D’abord membre du Ballet de Colombie-Britannique puis du Ballet de Francfort de William Forsythe, la Canadienne devient une star de la danse contemporaine, accumulant prix et reconnaissances. Successivement nommée chorégraphe associée du Nederlands Dans Theatre, artiste de danse associée du Centre national des Arts du Canada et enfin artiste associée au Sadler’s Wells à Londres, elle signe plus d’une quarantaine d’œuvres, imaginées pour des compagnies toutes plus prestigieuses les unes que les autres : le célébrissime Nederlands Dans Theatre et ,dans la même mouvance, le Ballet Cullberg (Suède), le Ballet de Francfort, le Cedar Lake Contemporary Ballet de Manhattan et, plus près de nous, le Ballet de Colombie-Britannique, le Ballet national du Canada, Robert Lepage, Louise Lecavalier/Fou glorieux – sans oublier Les Ballets Jazz de Montréal, dont elle a été chorégraphe en résidence de 2001 à 2004. En 2002, Crystal Pite fonde Kidd Pivot, une compagnie multidisciplinaire qui intègre le mouvement, la musique originale, le texte et les arts visuels. « Je vois la compagnie Kidd Pivot comme un havre artistique, dit-elle, une opportunité à long terme de favoriser des échanges privilégiés et de les faire évoluer, afin de travailler avec des artistes avec lesquels je veux avancer. »
Kidd Pivot est un facteur d’équilibre dans la vie de Crystal Pite. La compagnie permet à la chorégraphe de se retrouver et de réfléchir à des thématiques qui l’interpellent personnellement, hors du gigantisme de certains de ses projets. La chorégraphe dirigeait en mai dernier, sur la scène du Palais Garnier, les cinquante-quatre danseurs du prestigieux ballet de l’Opéra national de Paris dans l’éblouissant The Seasons’ Canon, une création qui avait déjà triomphé la saison précédente. Crystal Pite a aussi créé sur les corps des trente-six danseurs du Royal Ballet au Covent Garden de Londres Flight Pattern, une chorégraphie qui se penche sur l’immense crise des réfugiés et qui vient d’obtenir l’Olivier 2018 de la meilleure nouvelle production (l’équivalent des Molières en Angleterre), un prix remis par la Society of London Theatre. Crystal Pite avait également raflé ce prix en 2017 avec l’éblouissant Betroffenheit, un spectacle inoubliable sur le choc post-traumatique, présenté dans le cadre du Festival TransAmérique, cosigné par l’acteur et dramaturge canadien Jonathon Young et qui a aussi valu à la chorégraphe le Grand Prix de la danse de Montréal 2018 (voir encadré). « Jonathon Young et moi écrivons tous deux, mais nous n’utilisons pas le même langage; il se sert des mots tandis que la danse est ma première langue, mais j’aime les formes hybrides qui résultent de notre rencontre », remarque la chorégraphe. Une complémentarité qui fonctionne à merveille puisque les deux créateurs attaquent leur troisième collaboration, après The Statement (2015) et Betroffenheit (2017), adaptant maintenant librement Revisor (1836), la grande comédie de l’immense auteur russe Nicolas Gogol qui sera présentée à Danse Danse en avril 2019.
Quelque chose qui nous rejoint tous
Pourquoi Revisor ? « Cette fable sur la corruption est très politique et reste terriblement actuelle – les classes dirigeantes du monde entier ne sont-elles pas plus que jamais soupçonnées de ne voir qu’à leur propre intérêt ? La notion de changement est centrale dans cette œuvre; nous voulions aussi travailler sur les thèmes de la corruption et de la déception et Jonathon a eu l’idée de le faire dans l’ironie, en utilisant cette satire sur la mauvaise conscience et la médiocrité humaine, où les coupables rachètent leurs péchés avec bonne grâce. » La Canadienne aime le ton léger que cette œuvre conserve malgré tout : « Notre spectacle est d’une certaine façon occupé par la farce de Gogol et nous nous y sommes rendus comme on se rend à un envahisseur. » L’intrigue commence par un quiproquo : une lettre annonce au gouverneur d’une petite ville qu’un inspecteur du gouvernement arrive avec des instructions secrètes. La paranoïa et la mauvaise conscience se répandent comme une traînée de poudre chez les autorités, ne tardant pas à leur jouer des tours et donnant à un jeune voyageur fauché l’occasion de se faire passer pour le redouté revizor, ridiculisant pour de bon les fonctionnaires roublards.
« J’adore le théâtre et j’ai voulu enregistrer le texte afin de le diffuser comme une narration pendant le spectacle », reprend Crystal Pite, qui a donc chorégraphié la gestuelle de la production en relation avec et en réaction au texte. « Comment dire ? C’est comme si nous faisions du lip-sync, comme nous avons fait pour certaines scènes de Betroffenheit, et c’est fabuleux de réaliser à quel point le texte peut exister par le corps des danseurs – le texte est la clef de l’environnement sonore et celle du spectacle. » Il faut dire que la chorégraphe n’en est pas à ses premières armes puisqu’elle s’est déjà mesurée à la langue de Shakespeare avec The Tempest Replica (2012), réussissant à exprimer la relation complexe de Prospero avec l’histoire qu’il a créée. « La danse est un langage qui émeut, car tous comprennent intuitivement le mouvement; le geste dit non seulement l’histoire, mais donne aussi le point de vue du protagoniste », explique la chorégraphe. Et, puisque le texte fournit l’histoire et les mots, la gestuelle a ensuite toute les libertés pour raconter les émotions de la pièce : « Chacun des spectateurs sait et ressent dans son corps ce qu’est la duperie et ce qui reste, c’est quelque chose de curieusement métaphysique et social, qui est au-delà des mots et qui nous rejoint tous. »
Revisor est un spectacle plein de sens et de vérité, souffle Crystal Pite.« La relation entre le corps et le langage devient significative par l’endroit physique d’où émane cette authenticité. Revisor a un côté littéral, concret, ancré dans la narration et un côté plus abstrait, porté par la virtuosité des interprètes, et les tensions entre ces deux pôles soutiennent l’ensemble du spectacle. Après toutes ces années, je ne sais toujours pas si je fais du “Dans Theatre” comme disent les Néerlandais, mais j’aime jouer avec les accessoires et le décor; ils donnent une réalité palpable aux univers que j’imagine et permettent aussi d’amener le public dans un environnement qu’il reconnaît, ce qui est capital pour l’accessibilité de la danse contemporaine. »
Plongée depuis deux ans dans le processus de création avec ses collaborateurs de prédilection, la chorégraphe s’amuse des aléas de la création. « Aux quelques semaines de lune de miel succède un long moment de doute tenace et sournois, qui questionne chaque décision et remet tout en question – et en permanence. Revisor est encore en travail; nous prenons des décisions importantes, résume-t-elle, prenant soin de nommer ses collaborateurs de longue date (Jay Gower Taylor à la scénographie, Tom Visser aux éclairages, Nancy Bryant aux costumes). Mes chorégraphies sont mes réponses au monde dans lequel nous vivons et j’ai la chance de travailler avec une joyeuse et talentueuse équipe technique et des interprètes magnifiques. »
Développé avec le soutien du Fonds national de la création du Centre national des Arts, coproduit entre autres par le Sadler’s Wells (Londres), le Théâtre de la Ville (Paris), l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill (États-Unis), The CanDance Network Creation Fund et Danse Danse (Montréal), Revisor, qui est l’un des deux cents projets exceptionnels financés dans le cadre du programme Nouveau chapitre du Conseil des arts du Canada, sera présenté en première mondiale au DanceHouse de Vancouver en février avant de prendre la route pour le CNA d’Ottawa, le Canadian Stage de Toronto et enfin, la Place des Arts de Montréal. www.dansedanse.ca
Crystal Pite remporte le Grand Prix de la danse de Montréal 2018
Le 15 novembre dernier voyait la célèbre chorégraphe canadienne Crystal Pite remporter la huitième édition du Grand Prix de la danse de Montréal 2018, pour le magnifique Betroffenheit présenté en juin 2018 à la salle Pierre-Mercure et dans le cadre du Festival TransAmériques. La remise des prix récompensait les artistes et intervenants s’étant distingués dans sept catégories, du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018. Le Grand Prix était assorti cette année d’une bourse de 25 000 $, offerte par Québecor et la Ville de Montréal.
Betroffenheit est un mot allemand qui résume l’idée d’être figé de peur et complètement désorienté. Dans une brillante envolée métaphorique, le spectacle entraîne les spectateurs dans une descente aux enfers, celle d’un homme en plein choc post-traumatique et sous l’influence de drogues fortes. C’est la perte de sa fille adolescente dans un incendie en 2009 qui a incité Jonathon Young à se pencher sur la dynamique du trouble de stress post-traumatique et de sa fidèle alliée, la dépendance aux drogues. L’homme fait des tentatives dysfonctionnelles pour rationaliser l’insupportable : il était l’un des premiers intervenants, mais il était incapable d’aider. Avec Christopher Hernandez, David Raymond, Cindy Salgado, Jermaine Spivey, Tiffany Tregarthen et Jonathon Young.
Le public et la critique de Montréal adorent le travail de Crystal Pite. Le jury a souligné le rayonnement particulièrement impressionnant du travail de la chorégraphe à l’international, son talent, sa recherche continuelle, son sens de la chorégraphie, sa maîtrise des différents éléments scéniques et sa capacité d’approfondir des sujets complexes et sombres. Crystal Pite a si souvent présenté son travail dans notre métropole qu’elle y est comme chez elle, ce qui confère une valeur affective particulière au Grand Prix : « Je suis particulièrement honorée de recevoir le Grand Prix de la danse de Montréal, car je sais le haut niveau des œuvres chorégraphiques présentées chaque année sur le territoire de Montréal, d’autant que je garde de mes années de résidences chorégraphiques aux Ballets Jazz de Montréal, une affection particulière pour la ville », se réjouit la brillante chorégraphe. Elle ajoute, à l’évidence très sincère : « Ce Grand Prix est d’autant plus significatif qu’il récompense la dernière représentation d’une tournée particulièrement exigeante pour une compagnie comme Kidd Pivot. »
Les Prix de la Danse de Montréal ont aussi récompensé l’interprète Louise Bédard, la gestionnaire culturelle Francine Bernier (directrice générale et artistique de l’Agora de la danse), la contribution exceptionnelle de Dena Davida (chercheure en danse et cocréatrice de Tangente), la diffusion internationale (la compagnie Cas Public), la meilleure œuvre chorégraphique (threesixnine d’Emmanuelle Lê Phan et Elon Höglund, de Tentacle Tribe) et, enfin, la diversité culturelle et les pratiques inclusives en danse (France Geoffroy). www.prixdeladanse.com
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