Critique d’Un ennemi du peuple au TNM : Jouissive révolte

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Ève Landry, parfaite en docteure Katrine Stockmann, avec Jean Sébastien Ouellette

Eve Landry et Jean Sébastien Ouellette dans Un ennemi du peuple – Credit_Yves_Renaud

Avec leur relecture acide, féministe et explosive d’Un ennemi du peuple, l’autrice Sarah Berthiaume et la metteure en scène Édith Pathenaude démontrent la pertinence et l’actualité du chef-d’œuvre d’Henrik Ibsen. Avec Eve Landry, parfaite en docteure Katrine Stockmann. Jusqu’au 9 avril, au TNM puis, au Théâtre Le Trident, dès le 19 avril.

Il faut d’abord saluer l’excellente adaptation que signe Sarah Berthiaume, qui a choisi d’aller à l’essence du texte, pour brandir bien haut des « vérités fraîchement écloses ». L’autrice transforme le docteur Stockmann en docteure Katrine Stockmann, cheffe de famille, sans pour autant transposer la pièce au XXIe siècle. Des clins d’œil comme autant de coups de griffe nous y renvoient pourtant. Témoins Hovstad (Steve Gagnon) le journaliste de gauche qui « veut fracasser la clique du vieux facho qui détient le pouvoir », Katrine Stockmann qui lance «On vous ment, vous êtes manipulés », nous renvoyant à tant d’exemples de fake news ou encore le moment ou un retentissant « mon corps, mon choix » déclenche plusieurs rires dans la salle.

L’histoire est connue :  la docteure Stockmann a accepté un poste de médecin des Bains dans sa ville natale, dans un établissement thermal dont elle est à l’origine et qui fait le bonheur des commerçants. Mais les canalisations n’ont pas été aménagées selon ses recommandations et, doutant de la qualité de l’eau, elle fait discrètement faire des analyses. Ses craintes se révèlent fondées: l’eau est contaminée. Or le maire, qui est aussi son frère (Jean-Sébastien Ouellette, détestablement crédible) veut étouffer l’affaire, puisque celle-ci met en péril la santé économique de la ville. Mais Katrine est décidée à tout sacrifier pour éviter les cas de typhus et dysenterie, même si l’opinion publique, qui l’a d’abord encensée, se ligue contre elle.

L’agitation gagne la salle

« Je ne vivrai pas de ce commerce, les notables de la ville sont pareils à des chevreuils qui s’entendent à détruire leur écosystème, je veux pouvoir regarder mon fils dans les yeux quand il sera grand » raisonne graduellement Katrine. Une mousse douteuse envahit symboliquement un élégant tableau puis l’arrière de la scène et l’appartement bobo de la médecin est bientôt transformé à vue en atelier d’imprimerie où des tracts seront imprimés (Décor d’Odile Gamache). Mais c’est sans compter la majorité et son gros bon sens, qui lui mettront des bâtons dans les roues. À cela sert-il d’avoir raison quand on n’a aucun pouvoir? demande alors le maire à sa sœur. L’agitation gagne les personnages et déborde sur la scène.

Récipiendaire de la Bourse Jean-Pierre Ronfard remise par la Fondation Lorraine Pintal pour une résidence en mise en scène, la toujours juste Édith Patenaude s’est alliée au Député Québec solidaire de Jean-Lesage, le porte-parole du deuxième groupe d’opposition responsable de la région de la Capitale-Nationale en matière d’institutions démocratiques et pour la réforme du mode de scrutin et pour les aînés, alias le coloré Sol Zanetti, qui a enfilé les chapeaux de conseiller et dramaturge politique. La rencontre semble avoir été fructueuse. Les personnages sont réalistes, dans leurs travers et dans leurs excès. Ils envahissent en effet la salle pour y tenir une assemblée générale spéciale qui dérapera complétement, le public étant les citoyens qu’ils haranguent.

Il en résulte une scène immersive, chaotique, amusante pour qui a déjà assisté à une assemblée générale tumultueuse. Il semble néanmoins qu’elle ait troublé quelques spectateurs, qui ont préféré quitter devant autant d’effervescence. Les comédiens se battent maintenant dans la mousse évoquée plus haut, qui jaillit des sièges. Censurée par les modérateurs, la docteure Stockmann est déclarée ennemie du peuple et se fait bouter hors de l’assemblée. L’épreuve est une révélation pour la scientifique, qui se sent abandonnée de tous mais devenue indestructible.

Un ennemi du peuple est un spectacle jouissif, adroit et servi par une brillante distribution. Eve Landry s’y anime comme jamais, révélant une comédienne à l’aube de sa maturité et en plein contrôle de ses capacités.

Avec Emmanuel Bédard, Delphine Bertrand, Steve Gagnon, Eve Landry, Éric Leblanc, Joanie Lehoux, Roméo Lucas, Marianne Marceau, Kevin McCoy, Noémie O’Farrel, Jean-Sébastien Ouellette, Dominique Pétin, Viktor Proulx, Anthony Tingaud. Une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre du Trident Jusqu’au 9 avril, au TNM puis, au Trident, dès le 19 avril.

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