Présenté pour la première fois en 1994, Alegría a séduit plus de 14 millions de spectateurs. Pour son 25e anniversaire, le plus emblématique des spectacles du Cirque du Soleil reprend du service, sous la baguette de l’excellent Jean-Guy Legault.
Gagnant du Grand Prix Desjardins pour les Arts de la scène 2014, fondateur du Théâtre du Vaisseau d’Or (1993) et membre fondateur du Théâtre des Ventrebleus (1996), Jean-Guy Legault est un metteur en scène, auteur et traducteur brillant et prolifique. On lui doit notamment le fantastique Théâtre extrême, dont de très nombreux spectateurs se souviennent. En 2010, à Sherbrooke, il est sollicité pour rescaper la superproduction circassienne Omaterra. Il la sauve et fait du coup une entrée remarquée dans l’univers du cirque. Ce coup d’éclat n’échappe pas au Cirque du Soleil et à l’entreprise 45 DEGREES qui lui confient la mise en scène du spectacle Le monde est fou, un hommage à Beau Dommage, présenté au nouvel Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières (2015). La formule plaît, même beaucoup : le taux d’occupation est de 96,5 %, pour un total de 64 000 spectateurs. La moitié des soirées se déroulent à guichet fermé; la série Hommage est lancée. Suivent Tout écartillé, un hommage à Robert Charlebois (2016), puis Stone, un hommage au parolier Luc Plamondon (2017) et enfin Juste une p’tite nuite, un hommage bien senti aux Colocs (2018).
« J’arrivais avec mon principe de la convergence des styles, mais je me suis rendu compte que le cirque est plus que la somme des performances, des acrobaties et des illusions d’optique – il y a une proximité avec le spectateur, toujours très émotive », commence Jean-Guy Legault. Tombé dans le cirque comme on tombe en amour, il se voit confier la relecture du spectacle chéri des Québécois, Alegría. Créé en 1994, le plus marquant spectacle de la célèbre compagnie tourne jusqu’en 2013. « Nous nous mesurons à une icône, reconnaît Jean-Guy Legault, mais pour qu’une icône garde ses lettres de noblesse, il faut lui donner la chance d’être intemporelle. » La ligne narrative du spectacle remonte maintenant dans le passé pour revenir en 2019, tous les aspects sont retouchés et les numéros ont évolué, indique-t-il, surpris du manque d’enthousiasme de certains à l’annonce de cette recréation. « Un spectacle de cirque est à aborder comme une pièce de théâtre; Alegría devrait être considéré comme une pièce de Shakespeare dont on fait des relectures. » Il est intéressant de revoir certains sujets avec le regard d’aujourd’hui; la culture a beaucoup évolué et le Cirque du Soleil n’est plus seul dans son royaume, souligne le metteur en piste, comme on dit dans le métier. « Je ne suis pas Franco Dragone, créateur de la version originale. Alors, comme pour la série Hommage, je ne fais pas du à la manière de, je fais du moi ! »
Un énorme échiquier
Comment Jean-Guy Legault gère-t-il le stress ? « Si tu vis mal la pression, ce n’est certainement pas un métier pour toi ! Il faut être convaincu et convaincant, c’est ainsi que le Cirque été conçu et nous essayons de recréer cette énergie. Une différence entre le théâtre et le cirque est sans conteste l’échéancier de création. C’est une grosse équipe, je suis en discussion constante avec les spécialistes de chaque discipline, le directeur de la création, le chorégraphe en chef et les responsables des équipements; ensuite il faut unifier tous les départements. » Un énorme travail de préproduction précède l’entrée des cinquante-trois artistes et musiciens dans le lieu, au printemps. « Nous rajoutons des pièces à l’échiquier, mais ça reste un échiquier – le metteur en scène ne vaut que ce que vaut son équipe. » Tout l’intrigue dans le monde du cirque, l’aspect visuel autant que l’aspect physique. L’intégration des contraintes techniques de façon créative est assurément un défi. Mais même s’il faut créer des illusions, maximiser l’éclairage, tout ne dépend pas que des trucs. Ce qui compte, c’est la façon dont l’exploit s’intègre au visuel, résume le Franco-Ontarien. Il faut aussi continuer à créer des personnages frappants et métaphoriques, puisque c’est ce qui a renouvelé la forme circassienne. Travailler avec le Cirque du Soleil, c’est plonger dans son héritage. Le metteur en scène a voulu retrouver l’esprit qui régnait à la création et il a mis la main sur le journal de bord de l’équipe créatrice. « Mais j’ai les coudées franches, nous ramons tous ensemble. »
« Alegría raconte une histoire immuable, une lutte classique où s’affrontent l’ancien et le nouveau et nous l’avons mise au goût du jour, pour rêver des lendemains inspirants », rappelle le metteur en scène. Le talentueux compositeur Jean-Phi Goncalves (Beast, Pierre Lapointe, Ariane Moffatt, Daniel Bélanger) revisite la trame sonore originale de René Dupéré, dont plus de 500 000 disques ont été vendus. Jean-Guy Legault indique : « Jean-Phi et moi collaborons depuis quatre ans et nous avons amené ce spectacle ailleurs. » Dominique Lemieux a pour sa part revisité ses propres costumes. « C’est beau de voir des créateurs prêts à brasser leurs créations originales pour honorer l’essence du spectacle et l’amener à notre époque » se réjouit le metteur en scène.
Alegrìa, à voir sous le Grand Chapiteau, au Vieux-Port de Montréal, du 18 avril au 16 juin 2019.
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