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Orchestre national de jazz de Montréal
Justin Time JTR 8597-2
Deux ans après sa première sortie sur étiquette Atma, l’ONJ Montréal récidive enfin, cette fois sur Justin Time Records. Le passage de cette formation d’une étiquette classique à une étiquette de jazz est dû en partie à la présence de la saxophoniste Christine Jensen, compositrice de la musique de cet album et de deux autres disques de son grand orchestre, produits par cette même maison. Le titre du nouvel opus vend la mèche par rapport au contenu, car il s’agit d’une musique à programme qui rend hommage à cinq mentors musicaux de la saxophoniste, soit Kenny Wheeler, Jan Jarczyk, John Coltrane, Lee Konitz et Wayne Shorter. À l’instar des productions antérieures de Jensen, cette nouvelle réalisation est harmonieuse dans ses couleurs orchestrales, tout en tons de pastel et non en teintes vives. Ce faisant, elle minimise les tensions et dissonances dans ses arrangements et s’en remet plutôt à ses solistes pour les susciter. Empreinte de lyrisme, cette musique évoque de grands espaces paisibles, comme ceux de la côte ouest-canadienne où Jensen a grandi. Se greffant à l’orchestre, Sienna Dahlen contribue de manière décisive à l’ambiance du disque par ses chants aériens, certains purement instrumentaux, d’autres avec paroles.
Jean Derome – Résistances
Ambiances Magnétiques AM-235
Récipiendaire d’une bourse de carrière en 2013, Jean Derome a investi son pécule dans une série de projets spéciaux. Le premier, créé en mai 2015, fait l’objet de ce tout nouveau disque lancé le 14 décembre. Pour saisir la pleine portée de cette entreprise, de loin la plus ambitieuse de Derome, une lecture des notes de l’artiste s’impose. En bref, l’œuvre entière repose sur la fréquence de 60 Hz, norme utilisée dans le réseau hydro-électrique nord-américain. En musique, cela se traduit par une note située entre le si bémol et le si naturel, celle-ci servant de tonalité de base. Derome explore donc la microtonalité, ce qui nécessite une certaine adaptation de l’oreille au début. Pour réaliser sa vision, le compositeur a recruté 19 collègues jouant toute une gamme d’instruments, incluant des synthés et tourne-disques. À une seconde près des 60 minutes et divisé en 16 plages, le disque se déploie assez lentement dans la première moitié. Outre un ostinato de basse quasi ellingtonien dans la sixième plage, il y a peu de matière compositionnelle dans cette tranche; il faudra donc attendre la dixième plage et les suivantes pour que l’ensemble ressorte davantage, dans un premier temps par des jeux d’improvisation collective dirigée et, dans un second, par une ligne thématique en fin de parcours. En tant que disque, cette œuvre conceptuelle pèche par des longueurs, mais ceux qui ont pu assister à la captation en concert de cet enregistrement le printemps dernier au Gesù pourront sans doute avoir un autre… buzz.
John Korsrud’s Hard Rubber Orchestra – Crush
rubberhard 04
Le trompettiste vancouvérois John Korsrud aime frapper fort. L’ONJ a livré sous sa direction un concert intense de ses compositions en septembre dernier. À la fois influencé par la musique contemporaine européenne (il a étudié avec Louis Andriessen en Hollande) et empreint par l’énergie du rock, il dirige chez lui sa propre grande formation, le Hard Rubber Orchestra. Dans ce nouveau disque, il présente deux variantes de son ensemble, son big band et un ensemble d’instrumentation plus classique, avec cordes et bois. Les résultats sont assez singuliers, car on y trouve six miniatures pour la seconde formation et deux autres plus longues et énergiques pour la première. Compte tenu de cette diversité, l’album d’une quarantaine de minutes se veut une espèce de vue en coupe du champ musical d’un musicien aux goûts éclectiques, même électriques. À découvrir.
Film in music – Tell Tale
Drip Audio DA01207
En dépit de son nom collectif, ce groupe est dirigé par la violoncelliste Peggy Lee qui signe aussi tous les morceaux de l’album. Présente dans l’orchestre de chambre du disque précédent, la musicienne a rassemblé sept improvisateurs expérimentés de la scène vancouvéroise, scène qui n’a rien à envier à celle de Montréal en matière de musiques créatives. En un peu moins d’une heure, douze plages défilent à la manière d’une suite presque ininterrompue, les parties écrites et ouvertes s’articulant entre eux en toute cohérence. Largement dominée par les cordes (guitare, violon, violoncelle et deux basses), l’instrumentation est bien choisie pour créer des atmosphères langoureuses évoquant des images d’un Far West imaginaire. En septembre dernier, le groupe était de passage chez nous à Montréal et sa prestation a confirmé la réussite de cette production discographique.
Matt Herskowitz Trio – Forget me Not (Homage to Lou Soloff)
Justin Time JTR 8601
Réédition d’un album paru en 2005, cet enregistrement revient sur le marché pour saluer la mémoire du trompettiste Lou Soloff, décédé subitement en février 2016. Soloff était l’un des musiciens les plus recherchés à New York, autant dans le jazz que dans la pop, même en classique. Il s’ajoute ici au trio du pianiste Matt Herskowitz sur quatre des dix plages. Doué d’une technique à toute épreuve et d’un son brillant, il est un partenaire idéal dans cette séance qui mise beaucoup sur la virtuosité – certains connaissent bien le pianiste pour son bagage classique romantique (toujours présent dans son jeu de jazzman) et un faible pour des feux d’artifice au clavier. Certes, il y en a ici (Brazil, la finale du disque), mais on y entend des moments plus recueillis (plages 3 et 7), où il calme le jeu un moment. Pour maintenir l’intérêt pendant 66 minutes, le groupe navigue avec aisance entre plusieurs styles, passant du blues au latin, de la musique juive à la ballade, le tout aspergé de solos relevés et même sentis. Douze ans plus tard, ce disque tient toujours la route, tant pour le travail impeccable du trio que pour la participation du disparu.
Dave Douglas – Little Giant Still Life
Greenleaf CD-1058
Chef de file du jazz contemporain, le trompettiste Dave Douglas est de ceux qui embrassent pleinement le post-modernisme, mouvement qui récuse la singularité du modernisme au profit de la multiplicité et de l’éclectisme. Certains se souviendront de la polémique (désormais révolue) des années 1990 qui l’opposait à Wynton Marsalis. Fidèle à lui-même, Douglas revient constamment à la charge avec de nouveaux projets, quitte à s’éparpiller. Dans cet album, par exemple, il a entrepris une collaboration inédite avec une formation de cuivres comportant deux trompettes et deux trombones (les Westerlies), et un batteur (Anwar Marshall). Il signe ici une douzaine de compositions, toutes inspirées par des tableaux de l’artiste américain Stuart Davis. Dans la production discographique de Douglas (abondante, faut-il dire), cet enregistrement fait figure à part, non seulement par son instrumentation atypique, mais aussi par l’accent donné à l’écriture et à l’arrangement, les parties improvisées jouant un rôle secondaire et laissées surtout à la tête d’affiche. Voici un disque pour spécialistes de cuivres, mais ceux qui n’en jouent pas en tireront aussi parti, moyennant un certain apprivoisement.
PJ Perry Quartet – Alto Gusto
Cellar Live CL051315
P.J. Perry est un vieux routier du jazz canadien. À 76 ans, il est un authentique bopper dans la lignée de Charlie Parker. Preuve à l’appui, ce disque enregistré le printemps dernier au Yardbird Suite à Edmonton. En plus d’une heure, Perry parcourt un répertoire de six pièces de jazz standard, dont Bloomdidode son mentor. Toutes les conventions du genre sont respectées à la lettre : énonciation du thème au début, suite de solos et reprise du thème pour terminer. Toujours selon la formule, le saxo alto est appuyé du trio d’usage, le bassiste et le batteur réglés de près au métronome, le pianiste agissant comme autre soliste principal. À écouter cet album sans référence aucune, on pourrait facilement croire qu’il s’agit d’un enregistrement en direct produit dans les années 1970. À cette époque, ce jazz était encore assez moderne, mais il est aujourd’hui devenu classique, comme le vieux swing l’était à pareille date.
Tom Rainey – Obbligato Float Upstream
Intakt CD 292
Vétéran de la scène américaine, le batteur Tom Rainey joue aisément toutes les formes de jazz, qu’elles soient traditionnelles ou expérimentales. En tant qu’accompagnateur, il est d’une efficacité redoutable dans tous les contextes. Pourtant, on le voit rarement diriger un groupe, ce qui est le cas de ce disque qui lui permet de combiner ses deux mondes. D’une part, il est entouré de musiciens d’actualité à New York, parmi eux sa compagne la saxophoniste d’origine allemande Ingrid Laubrock; d’autre part, le programme musical comporte six vieux standards de jazz, entre autres Stella by Starlight, What’s New ou There’s No Greater Love, et une improvisation collective en guise de contraste. Si le répertoire est convenu, les interprétations, elles, ne le sont nullement, car le groupe fait fi de toutes les règles d’usage (comme celles qui font loi dans le disque de Perry). Les thèmes surgissent souvent en cours de route ou sont à peine effleurés; des solos de facture très libre se superposent au lieu de se suivre à la queue leu leu, délaissant les trames harmoniques sous-jacentes. Pendant longtemps, de telles lectures étaient assez exceptionnelles : les tenants de l’avant-garde n’avaient que faire des rengaines surannées, pendant que le jazz mainstream voyait la libre improvisation comme une pure aberration. De nos jours, la ligne de démarcation entre ces camps s’est estompée considérablement et un groupe comme celui-ci en est un bel exemple.
White Desert Orchestra (dir. Eve Risser) – Les deux versants se regardent
Clean Feed CF399-CD
La jeune pianiste hexagonale Ève Risser s’est entourée d’une dizaine de ses compatriotes pour traduire en musique ses impressions d’un voyage dans les contrées les plus reculées de l’Amérique. Alliant des sonorités électroniques et acoustiques, elle élabore des fresques sonores parfois austères (comme la longue pièce d’ouverture donnant son titre au disque), morceau qui évoque des textures orchestrales de Gil Evans et de la musique électroacoustique. Le climat sonore est donc assez grave, profond comme un canyon, avec des soupçons de lyrisme et des échappées occasionnelles des solistes. Ce disque, paru sur l’étiquette portugaise Clean Feed – l’une des rares qui documentent des projets de musiques audacieuses avec régularité –, nous dévoile une vision artistique originale d’une pianiste et compositrice des plus prometteuses.
Die Enttäuschung – Lavaman
Intakt CD 289
En dépit de son nom, qui se traduit en français par le mot « déception », le quartette berlinois Die Enttäuschung est l’un des plus excitants dans son pays. Roulant sa bosse depuis une vingtaine d’années, le groupe s’est fait connaître au-delà de ses frontières dans l’épique Monk’s Casino. Rejoints par le pianiste Alexander von Schlippenbach, les quatre messieurs ont réussi l’exploit de jouer en concert l’intégrale des pièces de Monk (ou presque) en une seule traite, le tout étant mis en marché en 2005 dans un coffret triple pour la même étiquette Intakt. Sans son invité, cet ensemble a présenté depuis ses propres musiques sur quatre autres disques, dont cette nouveauté. Ses principaux colistiers, Axel Dörner, trp. et Rudi Mahall, cl., accueillent un nouvel invité, le tromboniste Christoph Thewes (cela se prononce comme «Tévis»). Appuyés du même bassiste, mais d’un nouveau batteur, ces souffleurs triturent leurs morceaux à la manière des premiers musiciens néo-orléanais. On pourrait même croire qu’ils jouent ainsi pour se démarquer de toutes les approches bien léchées du jazz d’aujourd’hui. Pourtant, ils ne font pas que singer cette musique archaïque : ils utilisent aussi leurs ressources acquises en musique improvisée pour rendre leurs propos actuels. Offrant pas moins de seize pièces concises en un peu plus d’une heure, le groupe ne se perd jamais en méandres, un défaut fréquent dans les musiques expérimentales. Lavaman relève brillamment le pari de mettre le passé au service du présent, et ce, sans nostalgie aucune.
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