SMCQ, série hommage à Katia Makdissi-Warren: La “mise en sons”

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Sans réalisateur, un scénario ne passerait jamais à l’écran ou sur scène. Cinéma ou théâtre, peu importe : il doit rallier les acteurs à sa cause par tous les moyens possibles, soit par la réécriture, soit par l’improvisation.
Pour avoir collaboré avec autant de cinéastes que de metteurs en scène, la compositrice Katia Makdissi-Warren estime avoir une démarche similaire. « Mon travail consiste à placer les choses, mais à une différence près : je m’exprime par les sons et non par les images ou les mots. Les exécutants, de mon point de vue, ne sont pas que des interprètes serviles, mais des partenaires capables de contribuer au contenu de mes morceaux, que ce soit par le remaniement de certains passages ou encore par l’improvisation. Vu ainsi, je réalise ma musique à la manière d’un réalisateur, soit par la “mise en sons.” »

Établie à Montréal depuis plus de quinze ans, cette originaire de Québec ne fait pas tout à fait dans le moule. Il n’est donc pas surprenant que sa sélection comme compositeur pour la Série hommage de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) ait fait ­froncer quelques sourcils dans le milieu. La décision l’a étonnée, avoue-t-elle d’emblée, mais l’honneur qui lui échoit est d’autant plus grand parce que son nom s’inscrit à la suite d’un éminent collègue d’ici, José Evangelista, et de ses prédécesseurs John Rea, Ana Sokolović, Denis Gougeon, le regretté Gilles Tremblay et le légendaire Claude Vivier, premier lauréat de cette initiative bisannuelle lancée en 2007.

Pour marquer le coup d’envoi de sa saison 2019-2020, la SMCQ a ­inscrit deux œuvres de cette compositrice prolifique dans son concert d’ouverture du 27 de ce mois à la salle Pierre-Mercure : Razzia et Algorythmes, qu’elle dirigera elle-même. Également au programme : Zipangu de Claude Vivier, une création de Keiko Devaux (La cartographie des sons) ainsi qu’une relecture des plus inattendues des Quatre Saisons de Vivaldi, avec instruments occidentaux et… orientaux !

Dans le premier communiqué de la SMCQ, émis à l’été 2018, le directeur artistique Walter Boudreau justifiait le choix ainsi : « La musique de Katia, d’une qualité artistique remarquable, représente à merveille ce qu’est la culture québécoise d’aujourd’hui : une culture à la fois fière de ses racines et ouverte à la diversité. »

Rencontrée au cours de l’été, la compositrice explique d’emblée sa vision des choses qui, de son propre aveu, déroge de la norme. « Les gens d’ici croient que je fais de la musique du monde, pas contemporaine du tout, mais là-bas, au Moyen-Orient, elle passe pour de l’avant-garde. Il m’arrive des fois de penser être comme coincée entre l’écorce et… l’arabe ! »

Cette résistance n’est pas un phénomène nouveau pour elle, mais remonte à ses années d’apprentissage au Conservatoire de Québec. « Vous savez, on ne m’a pas accordé mon diplôme. On me l’a refusé à cause d’une pièce orchestrale présentée à mon examen final. Les membres du jury ont été choqués par le fait que j’avais placé un solo de batterie en plein milieu du morceau, estimant que cela dégradait la musique. Juste pour vous dire, mon prof de composition trouvait que Bernstein, c’était de la musiquette. Malgré cela, j’ai quand même beaucoup appris; sur le plan des techniques d’écriture, c’était d’un très haut calibre. »

Parcours

Pour comprendre l’espace musical de Katia Makdissi-Warren, lequel le situe à l’intersection des musiques de notre temps et celles dites du monde – le Moyen-Orient en particulier et, plus récemment, celles des peuples autochtones –, il faut retourner à ses sources. Bercée dans deux cultures très différentes, la québécoise de son père, la libanaise de sa mère, elle entend autant les musiques de Chopin, Liszt et Strauss que celles de la chanteuse Fairouz et des frères compositeurs Rahbani. Pour avoir chanté dans des chorales dans sa jeunesse et joué du piano, elle affirme avoir ­toujours ressenti la vocation musicale. Deux autres déclics se feront en elle. « Vers 14 ans, j’entends sur les ondes de Radio-Canada des chants de gorge inuits pour la première fois et je tombe sous le charme. Un an plus tard, même chose à l’écoute d’Atmosphères de Ligeti. »

Photo: Jérôme Bertrand.

Loin d’être abattue par son revers au Conservatoire, elle s’envole vers l’Italie en 1993 pour suivre un stage de trois mois auprès de Franco Donatoni. Deux ans plus tard, elle retourne sur le Vieux Continent pour un séjour d’études de cinq ans. Sa première destination est Hambourg parce que Ligeti est titulaire de la chaire de composition du conservatoire de cette ville. À son grand regret, le maître venait de prendre sa retraite, mais elle s’y rend quand même pour apprendre auprès de son successeur, Manfred Stahnke. Pourtant, dame Chance sourit à Katia un jour, ne serait-ce qu’un instant furtif : « Dans ­­l’U-Bahn (métro de la ville), j’aperçois Ligeti en personne. Je m’approche de lui et me présente. Pendant la conversation, il m’a dit qu’il m’aurait bien acceptée dans sa classe si les circonstances avaient été autres. Nous ne nous sommes jamais revus, mais le souvenir est précieux. »

Après ses études en Allemagne, elle se rend à Paris où elle fait une autre rencontre déterminante, soit avec le doyen de l’Université Kaslik au Liban, le père Louis Hage. « Il était là en année sabbatique et m’a beaucoup influencée dans ma démarche, en ce sens qu’il m’a permis d’approfondir mes connaissances des musiques de cette partie du monde. Il m’a aussi fait comprendre que la musique n’est pas qu’une affaire conceptuelle, mais un phénomène essentiellement physique, acoustique si l’on veut. Je me suis rendue par après au Liban pour une autre année afin de poursuivre mes études avec lui. »

Retour au bercail

En 2001, elle revient au pays et se fixe peu après à Montréal. Suivront alors des études doctorales avec Michel Longtin à l’Université de Montréal, où elle décrochera son diplôme cinq ans plus tard. Toutefois, aucun groupe ne semblait à la mesure de réaliser ses ­desseins artistiques, d’où sa décision de former le sien. L’expérience ne lui était pas complètement étrangère, car vingt ans plus tôt, au secondaire, elle avait formé un ensemble dédié au grand répertoire classique occidental. Suite à un premier groupe éphémère, elle met sur pied sa formation actuelle Oktoécho en 2006, son nom dérivé de la huitième note d’un mode byzantin. Ensemble oscillant entre quatre et trente musiciens, ce collectif lui sert de plateforme pour des ­rencontres musicales tous azimuts, du classique aux musiques ­traditionnelles, voire un soupçon de jazz.

Interrogée sur les fondements de son art, elle estime que le fil qui le parcourt est son travail sur le rythme, les cycles rythmiques en particulier. « J’aime bien un certain côté répétitif, précise-t-elle. Par contre, je ne fais pas du Reich ou du Glass, ni des musiques de transes, mais j’introduis de subtiles variations qui modifient constamment la musique, parfois imperceptiblement. » Autres caractéristiques importantes : la microtonalité chère aux musiques du Moyen-Orient et ­l’emploi d’instruments de cette tradition, tels le ney, la darbouka et l’oud, ce dernier étant son instrument de prédilection lorsqu’elle joue.

Dans son corpus de quelque quatre-vingts opus, trois ressortent du lot pour elle, chacun marquant une étape dans sa quête d’un mariage entre les musiques de l’Occident et de l’Orient : Dialogue du silence (pour flûte seule), Razzia (pour orchestre, voir partition ci-dessus), puis Ode à la Terre (œuvre ambitieuse liant les musiques de traditions autochtones et soufies).

Des collaborations au menu

Bien qu’Oktoécho soit son véhicule de prédilection, Katia Makdissi-Warren misera cette saison sur des collaborations avec une vingtaine d’ensembles, pas juste au Québec, mais ailleurs au pays. Elle monte depuis plusieurs mois un projet avec le Vancouver Intercultural Orchestra pour une première chez eux et une reprise en avril 2020 à la maison de la culture Ahuntsic-Cartierville, résidence de son ensemble. Toujours dans l’Ouest, le Kamloops Symphony Orchestra créera, en mars 2020, une des dix nouvelles œuvres prévues durant sa saison. Plus près de chez nous, à Gatineau, l’ensemble Plaisir du ­clavecin troquera ses ornementations baroques pour celles du monde arabe, pierre angulaire de la syntaxe musicale de la compositrice.

L’ensemble de gamelan torontois, l’Evergreen Orchestra, sera ­présent lors de la prochaine édition du Festival du monde arabe, événement auquel la compositrice collabore depuis vingt ans et qui ­servira de théâtre pour une de ses premières. Parmi les projets, sa commande pour le quatuor de saxophones Quasar la motive particulièrement. En juillet, elle livrait une première version de A.D.N. 0,5 % pour le groupe, pièce qui reste à peaufiner avec ses interprètes. Son titre singulier, nous dit-elle, fait référence au génome humain et la manière dont l’espèce fixe davantage son attention sur les écarts minimes que sur les similitudes. Cette collaboration est un très bon exemple de son travail de « mise en sons ».

Pour chapeauter son année fébrile, elle compte sortir au moins un disque, une compilation de ses trames sonores, voire un second. « Mon grand projet avec mon ensemblle s’appelle Trancestral. C’est un genre de grand pow-wow ralliant des musiciens autochtones et arabes. On a déjà enregistré, mais ce n’est pas terminé. Je compte sortir cela l’année prochaine, avant la fin de ma saison si tout va bien, sinon par après. Mais il y aussi mon autre projet d’envergure dont la création aura lieu en mai prochain. L’œuvre, inspirée par l’écrivain soufi Attar, aura pour titre Ainsi chantait Simorgh. Elle sera jouée par l’OSM et deux solistes, un chanteur soufi et un joueur de ganun. »

Entretien public et démonstration :
10 septembre, 19 h, Centre de musique canadienne
(Réservation requise : qué[email protected] / 514-866-3477 www.cmccanada.org)

Concert d’ouverture :
vendredi 27 septembre, 19 h 30, salle Pierre-Mercure, Centre Pierre-Péladeau

Information sur la Série hommage et sur la compositrice : www.smcq.qc.ca

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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