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En dépit de signes prometteurs, le spectre de la pandémie plane toujours sur les arts de la scène qui retrouvent peu à peu leur public. Paralysés par la situation, bien des artistes ont rongé leur frein, certains remettant en cause leur métier; d’autres, par contre, n’ont pas baissé pavillon. Voici trois exemples dans le monde du jazz confirmant le dicton voulant que la nécessité soit la mère de l’invention.
SAMUEL x 4 (ET +)
Contraint à son domicile pendant de longs mois, le multi-instrumentiste Samuel Blais a choisi de présenter sa musique de façon inédite, en se dédoublant devant nos yeux. Armé de ses quatre saxophones, deux clarinettes, même une contrebasse et une batterie, ce véritable homme-orchestre s’est « cloné dans une série de courtes vidéos accessibles sur sa chaîne YouTube.
« Au moment où la pandémie arrivait, je voulais poursuivre un projet de quatuor de saxophones que j’avais lancé en 2012, celui avec les deux Dave (Liebman et Binney) et Donny McCaslin, formation qui avait d’ailleurs mis en marché son premier disque en 2019 sur étiquette Sunnyside (Fourvisions Saxophone Quartet). J’avais en poche une subvention pour écrire de nouvelles pièces quand tout s’est arrêté. En parallèle, je développais un certain intérêt pour la vidéo, et le fait d’avoir accès à des logiciels de montage au cégep de Joliette où j’enseigne m’a permis de m’initier. Sans formation aucune, j’ai appris par tâtonnements. J’ai aménagé mon sous-sol en studio de tournage pour me lancer dans l’aventure et me suis filmé à plusieurs reprises, jouant une partie différente de mes morceaux en me plaçant sur un siège différent, pour enfin superposer toutes les prises et produire l’effet de clonage. »
Pour rendre l’entreprise encore plus sophistiquée, Blais s’est servi de plusieurs caméras pour varier les prises de vue, d’où l’exigence supplémentaire de synchroniser parfaitement le tout sans jamais altérer la position des appareils.
Pour visionner d’autres Clones dans la série, taper « Samuel Blais saxophone » dans le moteur de recherche YouTube.
JACQUES x 16
L’ordonnance draconienne du confinement de l’an dernier a été une rude épreuve pour tous les ensembles musicaux, les grandes formations en tête. Comme tout le monde, l’Orchestre national de Jazz de Montréal a dû annuler les derniers concerts de sa saison, mais cette obligation le plongeait dans l’incertitude quant au report de ses événements à des dates ultérieures. Face à cette situation, l’âme dirigeante du groupe, Jacques Laurin (accroupi), ne s’est pas laissé abattre. « Honnêtement, cet arrêt m’a fait du bien, du moins au début, parce que je n’avais jamais vraiment pris de congé avant cette date, soit huit ans de travail ininterrompu depuis notre concert inaugural. Cela dit, il fallait bien retourner à la tâche. »
C’est ici que Laurin ravive une idée jadis émise de création d’une maison de jazz. « Il y a une quinzaine d’années, j’avais envisagé la possibilité de documenter les concerts au moyen de captations visuelles diffusées sur Internet, mais la technologie actuelle de la haute vitesse n’était pas encore pleinement répandue. »
Plus résolu que jamais à poursuivre ce projet, Laurin est revenu à la charge l’automne dernier avec une saison complète de sept concerts, dont trois seulement se sont déroulés devant un public. Tous ces spectacles, présentés à la Cinquième salle de la Place des Arts, ont été captés visuellement, et ce, avec des équipements de pointe procurés durant la dernière saison. Pour lui, l’avenir se situe là et non dans l’enregistrement sonore traditionnel qu’il estime révolu. Son objectif en revanche est d’utiliser le concert comme seule plateforme de documentation de la musique, sauf qu’un petit inconvénient subsiste, soit l’absence d’un lieu pourvu d’une salle de contrôle pour le tournage. « En ce moment, je dois transporter mon matériel à la salle et l’installer à l’extérieur de celle-ci, note le directeur. » Ultimement, Laurin voudrait mettre en marché des versions audio et visuelles des spectacles, mais tout un travail de montage et de mixage reste à faire. Histoire à suivre… www.onjm.ca
FRANÇOIS x 1
Si un musicien a été touché par le confinement, c’est bien François Bourassa, quoique son cas soit particulier. « Je vais souvent en France à cause de ma conjointe, explique le pianiste, toute sa famille vit là. J’ai fait quelques allers-retours, mais je devais m’isoler à chaque voyage pendant quinze jours, autant ici que là-bas. »
Pourtant, ses déplacements vers l’Hexagone lui ont permis de réaliser l’un de ses projets musicaux les plus importants de sa carrière, en l’occurrence l’enregistrement de son premier disque solo, sorti en avril dernier.
« Tout le monde m’en demandait un, affirme le pianiste, et l’arrivée de la pandémie a coïncidé avec mes préparatifs. Cela a même un peu joué en ma faveur, car n’ayant rien d’autre à faire, je pouvais me consacrer à développer du matériel. »
Le disque, pour sa part, a été réalisé l’an dernier, dans les jours précédant la seconde vague, le lieu choisi étant le célèbre Studio La Buissonne en Provence, à quelque 40 km d’Avignon.
« Je ne connaissais pas ce studio, avoue Bourassa. C’est le producteur de mes disques, Alain Bédard, qui me l’a recommandé, comme le batteur Michel Lambert qui a fait du travail là. » (Notons que La Buissonne est l’un de deux studios employés en ce moment par la maison ECM, ainsi qu’un producteur de disques sur une étiquette éponyme.)
Depuis cette expérience, Bourassa ne tarit pas d’éloges pour le lieu, son formidable Steinway de concert et son directeur et preneur de son Gérard de Haro. « Son expertise est hors pair et il se met complètement au service des musiciens; il n’impose pas, il écoute et suggère. » Seul regret pour François, le peu de temps pour la séance. « Au début, je voulais trois jours, il m’en a donné deux; le temps de plus m’aurait permis de me faire la main avec l’instrument, car ce n’est jamais deux fois pareil pour nous, les pianistes. »
À ÉCOUTER : L’impact du silence — Effendi FND 162
Voir la suite de la section ici, critiques de disques.
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