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En février dernier, lors de la tenue du festival Montréal nouvelles musiques, un ouvrage avait été lancé concernant le phénomène de la musique actuelle. Son auteur, Réjean Beaucage, est un assidu de cette musique depuis très longtemps. Expert aussi en musique savantes, il retrace quelques jalons importants de ce phénomène dans son étude qui collige beaucoup des matériaux déjà publiés sur le sujet, dont plusieurs de ses critiques. L’auteur a bien voulu confier quelques-unes de ses réflexion, question de sonder son point de vue sur le sujet et de cerner quelques débats l’entourant.
La Scena Musicale : Après la publication de ton livre sur la SMCQ en 2011, avais-tu déjà celui-ci en tête ? Il me semble être une extension naturelle.
Réjean Beaucage : Je voulais parler de « musique actuelle » dans mon premier ouvrage. Entre autres raisons, il y avait Pierre Mercure, l’instigateur de la SMCQ qui n’a pas pu la diriger en raison de sa mort prématurée en 1966. De plus, cette société de concerts a toujours démontré dans ses activités un intérêt certain pour tous les aspects des « nouvelles musiques » au Québec, comme son implication dans l’événement Montréal/Musiques Actuelles en 1990. Pourtant, il y avait encore bien des choses à dire au sujet du développement d’une musique actuelle en marge du monde de la musique contemporaine, d’autant plus que ces festivals dits de musique contemporaine prennent de plus en plus l’allure de festivals… de musique actuelle !
L.S.M. : La tenue de cet événement de 1990 se situe au cœur de ton ouvrage. Tu fais un exposé assez détaillé des faits, sans oublier la sortie de Jean-Jacques Nattiez, rédacteur en chef de Circuit, à l’encontre de cet événement. Quel est ton avis sur cette polémique ?
R.B. : Devant l’émergence affirmée d’un nouveau genre musical hybride mêlant les codes de la musique populaire à ceux des musiques savantes, la réaction d’une certaine « élite » de la musique contemporaine était l’expression d’une résistance au changement, parce qu’elle se sentait prise d’assaut par le nouveau venu. Imaginez un peu comment les tenants de Boulez – réputé pour avoir qualifié ceux qui ne pensaient pas comme lui comme étant des inutiles – de se faire dire : « Tasse-toi ! » Dans le numéro de Circuit consacré à ce festival, le second de son histoire, on sentait une fermeture d’esprit, même de la part de gens pourtant ouverts à l’expérimentation et à la nouveauté. Pour ma part, je me situais bien plus du côté des « actualistes » – j’avais d’ailleurs décroché un petit boulot au festival, donc j’ai pu assister gratuitement à tous les concerts, ce qui a été déterminant pour moi. À cette date, Circuit ne m’intéressait pas, mais davantage en 1995, à la sortie d’un second numéro consacré à cette musique (vol. 6, no 2). En mars de l’année suivante, j’ai invité le directeur de cette publication à débattre le sujet en ondes à la radio CIBL.
L.S.M. : La musique actuelle semble reposer sur deux socles : 1) la libre improvisation comme mode d’expression premier et 2) le détournement d’une panoplie de styles relevant autant des musiques populaires que concertantes, ou « savantes » si l’on veut. Ces deux éléments suffisent-ils à la définir ?
R.B. : La pièce emblématique du genre à mon sens est Structures métalliques II de Pierre Mercure et Armand Vaillancourt, laquelle a été créée en 1961 durant cette Semaine internationale de musique actuelle de Montréal. Le second improvisait sur scène en frappant sur ses sculptures de métal (que l’on pourrait classifier d’« instruments inventés »), alors que le premier, musicien et compositeur patenté, modifiait électroniquement les sons projetés à l’aide d’une console. La nouveauté était là, soit un musicien et un non-musicien mélangeant les genres et improvisant avec une autre lutherie et de l’électronique. On ne fait pas beaucoup mieux que ça dans le genre. Cela dit, je pense que l’hybridité des genres caractérise la musique actuelle encore plus que l’improvisation.
L.S.M. : La musique actuelle est-elle post-moderne à ton sens ?
R.B. : Elle l’est par son essence, ne serait-ce que par sa position dans l’histoire, mais surtout parce qu’elle assume parfaitement ses caractéristiques que sont globalement l’ironie, l’abolition des frontières stylistiques, les clins d’œil – citations, références culturelles bigarrées, etc. Dans son second manifeste du surréalisme, André Breton le disait si bien en parlant du « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement ».
L.S.M. : Un confrère, journaliste américain, m’avait dit une fois que Michel Levasseur, directeur du FIMAV, est en quelque sorte le décideur en la matière et que la musique actuelle est bien ce qu’il veut qu’elle soit. Assertion plausible ou cavalière ?
R.B. : C’est un peu court à mon avis. Michel Levasseur se renseigne sur la scène en suivant de près son actualité et son développement. Il fréquente les festivals à l’étranger et rapporte ses découvertes. Il est un peu comme une courroie de transmission entre une scène particulièrement effervescente et le public qui suit son événement, voire les productions de son étiquette de disques. Le FIMAV est une extraordinaire fenêtre sur le monde et il est certainement responsable du fait que l’on voit l’expression « musique actuelle » remplaçant « new music » dans les médias anglais. Si cette musique trouve aussi sa place dans les festivals de musique contemporaine de notre temps, cela remonte sans doute à 1983 quand le FIMAV présentait l’Orchestre symphonique de Montréal jouant Pierre Mercure au sein d’une programmation incluant Skeleton Crew, Montréal Transport ltée et René Lussier.
Propos recueillis par courriel par Marc Chénard
Critique
Réjean Beaucage Musique actuelle – Topographie d’un genre
Édition Varia ISBN 978-2-89606-119-2. 195 p. + index
Huit après la publication de son ouvrage sur la SMCQ, Réjean Beaucage ratisse plus large dans sa nouvelle étude consacrée à une réalité musicale des plus québécoises. De Pierre Mercure au début avec sa Semaine de la musique actuelle en 1961, l’auteur suit la filière québécoise d’abord pour l’étendre outre-frontière dans les dernières pages, parlant, entre autres, de festivals européens qu’il a fréquentés. Parmi les principaux sujets traités dans son survol, il y a le Festival international de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV), toujours parmi nous, l’unique édition de Montréal musiques actuelles de 1990, sans oublier Montréal Nouvelle Musique. Fin connaisseur du domaine, Beaucage est à la mesure de la tâche – il nous défile en une quinzaine de pages son palmarès personnel de critiques du FIMAV. En ce qui concerne une définition, l’auteur cerne deux vecteurs principaux : la libre improvisation et des emprunts détournés de styles aussi divers que le rock, le classique, l’électro et le jazz. Même si cette musique s’adresse à un public restreint, l’auteur vulgarise bien le sujet, s’assurant de bien identifier les personnages au bénéfice du néophyte. MC
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