This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)
Au tournant du 20e siècle, la tradition de la ballade de boudoir jouissait toujours de la faveur publique grâce notamment à Liza Lehmann, Maude Valerie White, Arthur Sullivan et Edward German, dont les chansons sans grande valeur littéraire avaient acquis une grande popularité. Si Hubert Parry (plus particulièrement avec ses 12 suites, English Lyrics, comprenant des mises en musique de Shakespeare et d’autres importants poètes anglais), Charles Stanford et Arthur Somervell avaient tenté de hausser la qualité du genre, ce n’est qu’au cycle Sea Pictures d’Edward Elgar, présenté quelques mois avant le début du siècle qu’à bien des égards, la mélodie de tradition britannique doit sa renaissance. En contraste avec les mélodies impressionnistes en plusieurs langues de Frederick Delius, les compositions éminemment anglaises d’Elgar font de lui l’artisan du renouveau de la musique vocale.
La prochaine génération de compositeurs marque l’âge d’or de cette renaissance, mais la Première Guerre mondiale sonne le glas de bien des ambitions. Parmi les compositeurs ayant combattu activement, l’un des plus prometteurs, George Butterworth, dont les mélodies combinaient lyrisme et culture populaire anglaise – pensons à sa mise en musique des poèmes d’A.E. Housman, notamment Six Songs from A Shropshire Lad et Bredon Hill, comprenant les deux chefs-d’œuvre Loveliest of Trees et On the Idle Hill of Summer – est tombé à 31 ans à la bataille de la Somme. Le poète et compositeur Ivor Gurney y a laissé sa santé mentale, mais lui aussi a composé plusieurs mélodies d’une suprême beauté (Sleep et Under the Greenwood Tree).
Aussi envoyé au front, Ralph Vaughan Williams a inauguré un style pastoral anglais qui s’inspirait en partie d’évocations de l’identité anglaise et de sa musique traditionnelle. La mise en musique de mots a joué un rôle aussi important au début de sa carrière que durant sa dernière période de création. Ainsi, composée près de 50 ans après son cycle On Wenlock Edge (1909), son admirable composition Ten Blake Songs forme un épilogue bouleversant à une œuvre de création remarquable. En plus de plusieurs autres chansons magnifiques, il a composé deux cycles prodigieux : The House of Life et Songs of Travel.
Dominant la musique britannique tout au long du 20e siècle, ce style a inspiré bon nombre des disciples de Vaughan Williams, dont Roger Quilter. Grâce à sa personnalité bien définie – défaillante chez la plupart de ses contemporains –, celui-ci a composé des mélodies au style facilement reconnaissable. Toujours fluide, sa ligne mélodique sert avant tout à ponctuer le rythme des mots, au contraire d’un rythme intégré de force à une mélodie préconçue. Ses chansons se distinguent aussi par ses choix poétiques : Shakespeare, Herrick, Shelley et Blake, en plus d’autres compositions anonymes du 16e siècle. Ses mises en musique de Shakespeare (op. 6 et surtout op. 23) ont rarement été surpassées.
Autre passionné des mots, Gerald Finzi avait un sens mélodique et un don inné pour la mise en musique des mots, comme en témoignent ses neuf cycles, dont six sont des arrangements de poèmes de Thomas Hardy. Celui qui lui tient le plus à cœur, Let Us Garlands Bring, est une mise en musique de Shakespeare. De son côté, John Ireland a composé près de 100 mélodies impressionnistes qui insufflent un nouvel élan aux poèmes d’A. E. Housman, Hardy, Christina Rossetti, John Masefield, Rupert Brooke et tant d’autres en utilisant une langue bien à lui dont les sonorités internes souvent dramatiques sont particulièrement évidentes dans son chef-d’œuvre Sea Fever et son cycle Songs of a Wayfarer. Parmi les 162 mélodies de Cecil Armstrong Gibbs, pas moins de 38 sont des arrangements de poèmes de Walter de la Mare, alliant la sérénité onirique de Silver à l’humour bon enfant de Five Eyes. Peter Warlock (de son vrai nom Philip Heseltine) a composé pas moins de 150 mélodies, empreintes à la fois d’une sombre mélancolie et d’une joie de vivre débordante, plus particulièrement dans son cycle The Curlew. Herbert Howells a aussi écrit des œuvres élégantes et charmantes, ainsi que le talentueux E.J. Moeran (qui a mis en musique des poèmes de Housman et de James Joyce), Arnold Bax et Rebecca Clarke.
Après la Seconde Guerre mondiale, deux virtuoses anglais se sont imposés. Michael Tippett a légué d’importants cycles exigeants sur le plan vocal – pensons à Songs for Ariel, The Heart’s Assurance et Songs for Achilles –, mais c’est à Benjamin Britten que revient la définition de nouveaux paramètres pour la mélodie britannique. Élève du distingué compositeur Frank Bridge, Britten a composé quelque 200 mélodies, dont plus de 60 magnifiques arrangements d’airs populaires. S’il a mis en musique des poètes légendaires – Pouchkine, Hölderlin, Rimbaud et Michel-Ange –, ce sont ses arrangements musicaux d’œuvres de langue anglaise qui impressionnent avant tout. Selon Nicholas Maw, « son sens de la poésie (pas seulement anglaise) et des inflexions de la langue en font, je crois, le plus grand maître de la mise en musique de la langue anglaise ». Son style mélodique si personnel et son langage harmonique aussi fluide que raffiné caractérisent plus d’une douzaine de ses cycles, plus particulièrement Songs and Proverbs de William Blake et The Holy Sonnets de John Donne.
Dans les années 1960, la musique britannique est fortement influencée par les tendances modernisantes du continent européen. Le cycle sur les problèmes de santé mentale du roi George III de Peter Maxwell Davies, Eight Songs for a Mad King, est une représentation crue de la détresse causée par son état psychique. Avec des compositeurs comme Jonathan Dove (Out of Winter) et Mark-Anthony Turnage (Three Animal Songs, When I Woke) – dont l’affinité pour la voix et l’utilisation d’un cadre musical moderne et d’un arrangement vocal ciselé s’opposent aux mélodies de Thomas Adès aux arrangements vocaux ingrats et gauches, mais à la musique toujours intéressante –, la mélodie britannique d’aujourd’hui semble plus dynamique et diversifiée que jamais.
Traduction par Véronique Frenette
This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)