Iwan Edwards : une vie au service de la musique (1937 – 2022)

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Mise a jour : 5 mars 2022

Nous avons la tristesse d’apprendre le décès d’Iwan Edwards dans la matinée du 4 mars 2022 à l’âge de 84 ans.

 

[Publié à l’origine le 7 novembre 2019] Reconnu autant au Canada qu’à l’étranger, Iwan Edwards jouit d’une longue carrière à titre de fondateur et directeur d’ensembles choraux. Sans lui, le Chœur Saint-Laurent n’aurait pas vu le jour, ni les Jeunes chanteurs FACE chorale senior, le Concerto Della Donna et le Chœur des Enfants de Montréal. La Scena Musicale lui ouvre ses pages pour dresser un bilan de vie, laquelle commence au pays de Galles. C’est là, dans sa terre natale, qu’il reçoit sa formation en musique vocale et, fait peu connu, une autre en violon.


par Iwan Edwards

Je me compte chanceux d’avoir grandi au pays de Galles, si ce n’est que pour sa tradition musicale. L’église et l’école en sont les deux principaux foyers et j’ai une dette particulière envers les deux.

Église

Dans mes jeunes années, l’église baptiste Soar Chapel était le principal lieu de culte pour six cents fidèles. On y célébrait trois messes dominicales, une le matin, une l’après-midi, la dernière en soirée, chacune faisant salle comble. Les hymnes étaient toujours harmonisés en quatre parties. Les mois d’hiver étaient l’occasion de répéter de grands oratorios pour un concert de clôture, tenu annuellement vers la fin mars, et ce, avec le concours de chanteurs professionnels invités et d’un ensemble instrumental semi-professionnel. À cette fin, une école était mise sur pied, la Ysol Gan, où l’on pouvait travailler sur ces œuvres, par exemple Elijah de Mendelssohn, Judas Maccabée ou Israël en Égypte de Haendel.

La société culturelle locale accueillait chaque lundi soir des conférenciers, suivis d’un orchestre de jeunes (Band of Hope) le mercredi et la troupe théâtrale locale le dimanche. Une autre tradition, l’Eisteddfod, se déroulait une fois l’an, au premier mars. Quatre groupes, choisis au sein de la congrégation, étaient soumis à différentes épreuves, une pour voix solo, les autres pour deux voix, des chœurs (chantants et parlants) et des récitants. Les trois églises du village se réunissaient une fois l’an pour un grand festival vocal, le Cymanfa Ganu. Un éminent chef d’orchestre Cymanfa y était invité pour diriger un concert de jeunes chanteurs et deux avec les adultes. Des répétitions étaient organisées en prévision du festival, question de donner la chance aux participants de maîtriser les hymnes moins connus et de les chanter plus aisément le grand jour venu.

École

Le programme de musique de l’école de garçons Gowerton était merveilleux. Il comptait deux ensembles, un vocal, l’autre instrumental. Des professeurs itinérants y donnaient des cours particuliers sur une base ou bien hebdomadaire ou bien bimensuelle. Je jouais du violon et mes parents ont cru bon m’y inscrire. Comme mon père était ouvrier dans une sidérurgie et que ma mère restait foyer, ils ont fait bien des sacrifices pour moi. M. Watkins, le professeur de musique, était tout un pédagogue et nombre d’entre nous, à qui il a transmis son savoir, se sont joints à l’orchestre régional de jeunesse du pays de Galles, certains atteignant même l’ensemble national. On répétait quotidiennement sur l’heure du dîner ou en fin de journée après les cours, puis on jouait les matins lors des assemblées étudiantes. L’Eisteddfod, ce tournoi entre les quatre groupes de la congrégation, m’a permis de faire mes premières directions d’ensemble, mais je n’avais aucune connaissance en la matière.

Les trois premières années du programme de musique à Gowerton étaient uniquement axées sur l’enseignement des rudiments de la théorie musicale et de l’écoute. En quatrième année, les étudiants devaient faire leurs premiers choix importants en choisissant entre un cursus en arts ou en sciences. En classe de sixième, nous devions étudier trois domaines précis pour nos deux dernières années. À la fin de mes études, j’étais en possession d’un solide bagage en harmonie, en contrepoint du 16e siècle, en analyse musicale, en lecture et en formation auditive.

Par la suite, j’ai poursuivi des études de premier cycle à l’Université du Pays de Galles pendant trois ans. J’ai joué dans l’orchestre ainsi que dans le quatuor à cordes du département jusqu’au moment où mon professeur a été contraint de se retirer pour raisons de santé. En parallèle, j’ai chanté dans la chorale étudiante en plus d’être violon solo de l’orchestre. J’ai fait mes premières armes en direction d’ensemble pour le compte de la société étudiante, le coup d’envoi étant la comédie musicale H.M.S. Pinafore. En dernière année, j’ai dirigé avec grand bonheur le chœur masculin, ses prestations étant tout simplement merveilleuses. Pourtant, ma seule formation se résumait à une leçon de 15 minutes sur la battue des mesures à deux, trois et quatre temps. Après coup, j’ai mis un an pour obtenir mon diplôme en enseignement, lequel m’a permis de décrocher le poste de responsable du département de musique à l’école secondaire du comté Holyhead à North Anglesey dans le nord du pays de Galles. Comme j’avais été élevé dans un milieu familial heureux et que je chérissais les enfants, ma mission de pédagogue était évidente, soit de transmettre ma passion pour la musique à eux et, le cas échéant, aux adultes.

Dès mon entrée en fonction, je me suis aperçu que la chorale de l’école Holyhead était assez bonne, son orchestre meilleur encore. Son directeur avait une attitude favorable envers le programme de musique. Il s’adonnait que le cursus était exactement le même que celui de Gowerton; j’en étais fort aise et très heureux de ma situation. Pourtant, la retraite du directeur après ma troisième année a vu l’arrivée d’un successeur bien moins réceptif. Pour ma part, j’avais un peu le diable au corps, parce que j’avais des ambitions de chef d’orchestre dépassant le cadre scolaire; pour ce faire, il me fallait soit attendre la retraite de l’un d’eux, soit mettre sur pied un nouvel ensemble vocal, chose qui aurait pu provoquer des rivalités et beaucoup d’animosité dans la communauté.

Eisteddfod et Montréal

L’Eisteddfod était une composante essentielle de la culture galloise. D’une part, il y en avait partout sur le territoire et, d’autre part, cet événement battait son plein pendant une semaine complète au mois d’août. Les concurrents participaient à titre individuel dans une foule d’épreuves de musique et de poésie trop nombreuses à énumérer ici, le tout menant au tournoi de clôture des chorales du samedi, la plus imposante étant le chœur masculin. J’y reviendrai plus tard en parlant d’une épreuve en particulier.

Ce sont ces Eisteddfod locaux ainsi que celui de l’école, tenu annuellement au premier jour de mars, qui m’ont ouvert la porte à la direction de chœurs, les ensembles étant toutefois de taille réduite. Durant l’hiver de 1965, je suis tombé un matin sur une annonce d’offre d’emploi d’enseignants dans le journal local, offre émise par la commission scolaire protestante du Grand-Montréal. Suite à des discussions avec mon épouse Undeg et nos familles respectives, j’ai posé ma candidature. On m’a alors convoqué à une entrevue à Manchester et, quelques semaines plus tard, un poste m’a été offert à l’école secondaire de Lachine. J’ai accepté sur-le-champ et ma vie en a été transformée du tout au tout.

Lachine

Avant mon arrivée, j’avais appris qu’une tradition de musique chorale était bien ancrée dans cette école. Pourtant, quand j’ai voulu recruter des chanteurs, à peine une poignée d’étudiants ont répondu à l’appel. Mon désir de partager ma passion pour la musique était si fort que cette situation m’affligeait. Fort heureusement, on m’a offert la direction des Lachine High School Singers, formation composée d’anciens de l’école qui, par la suite, s’est fait connaître sous le nom gallois de Glallyn Singers ou encore celui des Lakeshore Singers.

À ma surprise, il fallait commencer les répétitions avec des exercices d’échauffement, ce qui n’était pas du tout le cas chez moi où on se lançait immédiatement dans le répertoire. En fait, je ne savais aucunement comment m’y prendre, mais j’ai fini par comprendre en les intégrant d’office dans toutes mes répétitions. Peu à peu, d’autres occasions de direction de chœurs se sont présentées à moi et j’en étais bien reconnaissant, d’autant plus que je recevais ces offres sans avoir à les solliciter.

Deux collègues de l’école secondaire, Philippe Baugniet et David Paterson, m’ont approché un jour pour me faire part de leur intérêt pour le théâtre musical. En quatre ans, nous avons monté des productions de H.M.S Pinafore, Oklahoma, Oliver et My Fair Lady. Le directeur de l’école, de son côté, était un mordu de musique d’orchestre et il m’a convaincu, malgré mes lacunes dans le domaine, de créer un programme. Celui-ci commença à prendre forme et la chorale ne cessa de grossir. Ce faisant, cent de nos étudiants se sont rendus au pays de Galles en 1972 dans le cadre d’un programme d’échange pour collaborer avec le chœur masculin Pontarddulais, ensemble avec lequel j’avais chanté durant mes études.

Chœur Saint-Laurent et école FACE

Comme par enchantement, la musique animait de nouveau ma vie. En mai 1972, un groupe d’amateurs de musique chorale me proposa de créer un grand ensemble vocal. Bien qu’on en trouvait à Montréal, ceux-ci étaient tous actifs dans le centre-ville; l’idée ici était d’en avoir un pour le West Island afin de ne plus avoir à se déplacer. Quatre mois plus tard, le Chœur Saint-Laurent voyait le jour, groupe dont j’ai assumé la direction pendant 36 ans et qui a joué un rôle décisif dans ma vie.

Le programme en musique de l’école secondaire gagnait toujours en ampleur et les ensembles instrumentaux et vocaux ont eu la chance de se produire à l’étranger, entre autres, au Danemark, en Suède et même en Allemagne de l’Est. Un jour en 1978, tout a été chamboulé à la suite d’une décision des professeurs de la commission scolaire de réduire leur charge d’enseignement d’une classe, soit de sept à six ; dès lors, les étudiants n’avaient plus le même accès aux cours complémentaires en musique, arts plastiques, arts dramatiques et gestion familiale.

Autrefois très engagé en musique, mais enseignant désormais les arts plastiques, David Paterson avait choisi, comme moi, de trouver un autre emploi en 1979, d’où notre embauche à l’école FACE. Notre décision était motivée par le fait que M. Baugniet, notre ancien metteur en scène des productions musicales, en était le directeur. L’histoire se répète donc. Une fois de plus, mes efforts de recrutement de chanteurs pour une chorale n’aboutissent pas, hélas ! J’ai alors proposé à M. Baugniet de l’inscrire dans le curriculum des sept premières années et il y a donné suite. (À cette époque, l’école étendait son programme scolaire jusqu’à une onzième année.) Quatre ans plus tard, en 1983, la musique chorale était offerte à tous les niveaux, les étudiants profitant pleinement du programme complet en musique ainsi que de ceux en arts visuels et dramatiques.

Passage à McGill

En 1981, l’OSM me demande si je suis intéressé à mettre sur pied une chorale d’enfants de l’école pour une représentation de la DanteSymphonie de Liszt. Cette invitation marque la naissance des Jeunes chanteurs FACE chorale senior dont j’assumerai la direction pour les vingt prochaines années. En 1986, j’ai été nommé chef de la chorale de l’OSM, laquelle comprenait les membres du chœur amateur Saint-Laurent et de celui des jeunes de l’école FACE – sujet traité plus en détail dans un autre de mes écrits.

En 1999, je décide de prendre une année sabbatique, me sentant un peu brûlé par mon train d’activités scolaires. Au mois d’août, l’école de musique de l’Université McGill me propose de diriger son chœur, les McGill University Singers, mon entrée en poste me conduisant finalement vers une chaire professorale. Toutefois, mon seul regret fut de perdre ce contact privilégié avec les enfants à l’école FACE. Imaginez donc mon bonheur d’avoir reçu la proposition de mettre ce Chœur des Enfants de Montréal sur les rails !

Une chorale à la portée de tous

En regardant dans mon rétroviseur, je me rends compte de la portée de mon émigration au Canada. En dépit des premières frustrations, je suis devenu plus sensible aux occasions qui se sont présentées à moi pour partager mes intérêts avec des chanteurs et chanteuses de tous âges. Je me suis toujours considéré comme un entremetteur souhaitant stimuler le désir de participer chez les chanteurs. Je n’ai jamais voulu exclure qui que ce soit, alors j’ai conçu des tests d’audition de manière à classer les gens par type de voix.

Dans toutes mes années de travail, je n’ai rencontré qu’un seul enfant atteint d’un problème irrémédiable de la voix. De temps à autre, il y en avait qui éprouvaient des problèmes de justesse, mais je trouvais un moment pour travailler seul avec eux ou je les plaçais à côté d’un autre chanteur doué d’une belle voix. En aucun cas n’en ai-je placé un à l’arrière de la classe en lui disant de faire semblant. En ce qui concerne les adultes, je n’ai croisé que deux personnes n’ayant aucune oreille. Par ailleurs, j’ai été souvent amusé par des musiciens de jazz à McGill rebutés par l’idée de devoir chanter en chœur pour obtenir des crédits, s’estimant incapables de le faire, ce qui n’était pas du tout le cas. Les chœurs adultes, pour leur part, étaient contingentés de par la nécessité de former des sections équilibrées.

Recherche de répertoire

Dans mes travaux préparatoires, j’accorde une attention particulière à la mise en place du répertoire. Il m’arrivait souvent de visiter Toronto pour la cause, Montréal n’ayant pas de magasins de musique bien garnis en partitions vocales. Peu importe où je me trouvais au Canada, aux États-Unis ou en Europe, je cherchais toujours un magasin de musique. Plus récemment, je me suis mis à fouiller dans Internet ou encore à fréquenter des ateliers et des congrès comme Podium, l’ACDEA et le Symposium de musique chorale, ce dernier étant le théâtre de prestations de tout premier ordre pour les créations. La diversité même de mes intérêts musicaux pour tous genres d’ensembles (chœurs mixtes, d’enfants et d’hommes) m’a permis de monter une vaste bibliothèque de partitions, celles-ci nécessitant des mises à jour régulières et du catalogage constant.

Je choisis toujours de la musique qui répond aux besoins des chanteurs avec lesquels je travaille tout en exigeant d’eux de quitter leur zone de confort pour stimuler davantage leurs émotions et leur imaginaire. Les textes sont essentiels pour moi : je me fixe d’abord sur les mots avec les chanteurs, ceux-ci se montrant par la suite plus réceptifs et désireux de s’attaquer aux problèmes pratiques concernant les notes et les rythmes. Pour les auditeurs, une articulation claire des paroles est indispensable. Si on m’interroge à ce sujet, je renvoie la balle avec des questions comme : « Lequel des deux est venu en premier : les mots ou la musique ? » Ou encore : « Pourquoi le compositeur a-t-il écrit un forte ici ? » Le texte donne toujours la réponse. Une autre question, à savoir pourquoi le compositeur a mis un double piano au début de la pièce, suscite une réponse de tout le monde : pour créer une illusion de distance. Invariablement, si je sens que la musique ne reflète pas l’esprit du texte, je l’écarte.

L’une des épreuves tenues durant les Eisteddfod était la récitation chorale. À tour de rôle, des groupes de quatre, huit ou seize voix masculines et féminines devaient livrer un texte imposé (de source biblique, de la poésie ou de la prose) dans ses moindres nuances, inflexions ou silences, et ce, de manière à sonner comme une seule voix. C’était un merveilleux exercice d’interprétation de texte dans un contexte de concert.

Programmation des concerts

Il y a autant de plaisir à créer un programme de concert que de défis à relever. Il faut d’abord offrir des contrastes dans les ambiances et varier les tempos, deux considérations importantes pour les chanteurs et le public. L’un des aspects essentiels dans cette quête m’a été inculqué par mon professeur de l’école Gowerton, en l’occurrence le séquençage des morceaux en fonction de leurs tons. Peu importe tous les autres conseils donnés, il revenait toujours à celui-ci : « Les contrastes de tempos, de tonalités et de styles sont tous importants, mais il ne faut jamais oublier les tons des morceaux ! » À cet effet, il préconisait toujours de commencer par des tons diésés pour progresser vers des tons bémolisés, l’explication étant que cela taxe beaucoup moins la voix de chanteurs. Pour nous en convaincre, il offrait l’analogie suivante : « Il est plus facile de descendre une pente que de la grimper. » Illustrons ce propos par l’exemple suivant :

Première partie

Premier morceau :

tempo vif, en la majeur (3 dièses)

Second morceau :

tempo lent, en ré majeur (2 dièses) ou ré mineur (1 bémol)

Troisième morceau :

plus vif, en sol majeur (1 dièse) ou sol mineur (2 bémols)

Quatrième morceau :

plus lent, en do majeur ou en si bémol majeur (2 bémols)

Cinquième morceau :

rapide, en mi bémol majeur (3 bémols)

Dans cet exemple, arrivés à la fin, nous sommes déjà bien campés dans les tons en bémol. La logique veut que le prochain morceau soit en do mineur ou la bémol majeur, mais que faire alors si on doit revenir aux dièses ? Il suffit alors de choisir un ton qui est une quarte augmentée au-dessus, soit la majeur (ou mineur) et de recommencer. Cela est l’une des astuces que l’on apprend au fil de ses expériences. Cela ajoute à la complexité d’un programme musical, mais j’ai utilisé ce système et, même si cela exige plus de temps pour y arriver, je me suis rendu compte que les chanteurs ne se fatiguent pas, ils conservent leur fraîcheur et leur énergie tout en restant dans le diapason.

Le travail avec les jeunes

Peu après mon arrivée à Lachine en 1965, j’avais remarqué que la société québécoise était tout autre que la mienne au pays de Galles. Je devais, entre autres choses, m’y prendre bien autrement pour susciter l’envie des étudiants de s’inscrire au programme de musique chorale. Au bout de ma deuxième année, j’avais réussi à recruter un nombre suffisant de chanteurs pour amorcer les répétitions de la production H.M.S. Pinafore. Mieux que cela, d’autres chanteurs se sont peu à peu greffés à la distribution. Par après, dans notre production de My Fair Lady, des membres de l’équipe de football ont prêté leur concours pour la scène de danse dans la salle de bal à l’hippodrome d’Ascot. En 2001, pour attirer des jeunes dans le tout nouveau Chœur d’Enfants de Montréal David Paterson m’a prêté main-forte pendant trois ans en m’aidant à produire des mises en scène simplifiées de comédies musicales pour les enfants dans le cadre du programme. Autre astuce, nouvelle réussite.

Pour tous les ensembles avec lesquels j’ai eu le privilège de travailler, la question du répertoire a été centrale pour moi, celle-ci étant le meilleur moyen d’assurer leur développement. Quand M. Baugniet a mis sur pied le programme de musique chorale à l’échelle de toute l’école, je me suis retrouvé seul la première année, en 1979, avec des classes d’une centaine d’élèves et plus, tant francophones qu’anglophones. Il me fallait donc trouver du répertoire convenable pour chaque groupe linguistique pour des classes de quatrième jusqu’à la septième année, sans perdre de vue mon désir premier de transmettre toute ma passion pour la musique. Dans des classes de cette taille, il était inévitable d’avoir des récalcitrants. Je me tenais dans l’embrasure de la porte en évaluant leur état d’esprit à leur arrivée, devinant lesquels sortaient d’une classe avec un professeur substitut ou tout droit du gymnase. Pour les amadouer, je commençais par les exercices d’échauffement, mes préparatifs de répétition étant suffisamment flexibles pour pouvoir éliminer tout morceau susceptible de ne pas convenir. La salle de chant devait être un lieu invitant et convivial, où les jeunes auraient du plaisir, leurs tracas laissés derrière eux au seuil de la porte. Je n’ai jamais haussé le ton et s’il y avait un fauteur de trouble, je le plaçais droit devant la classe.

J’ai beaucoup aimé travailler à l’école FACE, mais en juin 1999, je me sentais vidé. Mon acceptation du poste à temps partiel à l’Université McGill durant cette année sabbatique était accompagnée d’une certaine crainte de perdre contact avec les jeunes. C’est pourquoi j’ai sauté à pieds joints quand j’ai reçu l’offre de créer une nouvelle chorale de jeunes.

Répertoires sur mesure

À l’instar de mon travail avec les jeunes, les choix de répertoire sont une considération importante pour les chorales adultes. Au début des années 1970, peu après sa création, la Chorale Saint-Laurent affichait un certain potentiel, je pensais même qu’elle pouvait se mesurer à quelques oratorios de substance. Pour y arriver, je devais bâtir l’ensemble pas à pas en choisissant des œuvres chorales importantes qui soient à la portée de l’effectif du groupe et compatibles avec nos moyens pécuniaires. Les choix, provenant de répertoires des plus variés, misaient toutefois sur des œuvres moins ambitieuses. Au-delà de cette question de répertoire, il était essentiel pour moi de maintenir un climat de respect mutuel dans le groupe, sans oublier une bonne humeur et une volonté de travailler. Quand j’ai dirigé la Société chorale d’Ottawa, j’ai pu travailler avec un ensemble établi, ce qui m’a donné la chance de choisir un répertoire en fonction de son histoire et ses traditions.

Chaque chœur ou ensemble avec lequel j’ai pu travailler avait son propre caractère. De ceux-ci, les Jeunes chanteurs FACE chorale senior différait un peu des autres du fait qu’ils me posaient constamment des défis. Je me souviens de la réaction des choristes quand je leur ai présenté Miniwanka de R. Murray Schafer. J’ai travaillé minutieusement avec eux, leur expliquant d’abord le texte, son imagerie et ses symboles ainsi que les diagrammes et la façon dont ils devaient imaginer le tout pour en venir à bout. Ils ont tous trouvé cela très cool. En 1985, nous avons interprété Miniwanka au pays de Galles et tous les concerts ont fait un tabac. Pendant des années après, quand je visitais de la famille dans ma terre natale, on voulait savoir si nous chantions toujours cette musique « aquatique ».

Concerto Della Donna

Après mon départ de l’école FACE, quelques-unes des chanteuses plus matures m’ont approché pour savoir si je voulais diriger un ensemble vocal tout féminin, groupe connu de nos jours sous le nom de Concerto Bella Donna. Ces dames font preuve d’autant d’énergie et de détermination que de musicalité et de sensibilité artistique. Elles ont atteint un haut niveau d’excellence en s’appuyant sur mon travail et mon engagement auprès des jeunes.

Cela dit, je ne puis affirmer en toute certitude que j’ai réussi à partager ma passion pour la musique avec tous mes compagnons de route, chanteurs et instrumentistes. En revanche, le jeu a certainement valu la chandelle. Je suis fort reconnaissant au Canada, sans lequel je n’aurais jamais pu connaître toutes ces belles occasions, et fier de mes deux fils, Aled et Owain, tous deux étant des chercheurs scientifiques accomplis. Je ne saurais passer sous silence tous les appuis reçus d’administrateurs et de collègues enseignants. J’aimerais aussi rendre hommage à tous les parents qui ont soutenu les programmes, comme à tous les chanteurs et toutes les chanteuses, jeunes et moins jeunes, qui ont rendu l’expérience si agréable. Dernière, mais non la moindre, mon épouse Undeg qui a été une inépuisable source d’énergie depuis le début : sans elle, il m’aurait été impossible de réaliser toutes ces choses.

Préparer un chœur pour maestro Dutoit

La tâche de chef de chœur ne m’était pas étrangère au moment d’assumer cette fonction pour l’OSM en 1986. Quinze ans plus tôt, j’avais préparé le Chœur Elgar de Montréal pour une prestation du Messie de Haendel avec l’OSM et son chef Franz-Paul Decker. En 1981, c’était au tour des Jeunes chanteurs FACE chorale senior de se produire avec l’orchestre dans la Dante-Symphonie de Liszt; trois ans plus tard, j’avais préparé le Chœur Saint-Laurent pour une prestation conjointe avec une autre chorale et son chef Jean-François Sénart dans la Huitième Symphonie de Gustav Mahler, dirigée par Charles Dutoit.

L’une de mes premières collaborations avec maestro Dutoit était pour le Messie. Deux ou trois ans auparavant, je l’avais entendu diriger cette œuvre et son approche somme toute assez européenne m’avait frappé à cause des tempos plus lents. Je ne savais pas comment préparer le chœur, même après m’être entretenu avec lui brièvement sur le sujet.

Un an plus tôt, j’avais travaillé cette œuvre pour un concert dirigé par Christopher Hogwood. Je me suis donc tenu aux articulations de cette interprétation antérieure, variant toutefois les tempos en répétition pour que le chef ait un ensemble plus malléable à sa disposition. Maestro Dutoit n’a jamais assisté à une de nos répétitions, ce qui m’a laissé dans un état constant d’incertitude jusqu’au jour de la générale. Le soir venu, tout s’est passé sans accroc.

Durant notre longue collaboration, le maestro ne s’est présenté qu’à une seule répétition du chœur, l’œuvre en question étant Harmonium de John Adams. En aucun temps n’avons-nous discuté de répertoire au préalable. Très rapidement, je me suis rendu compte qu’une bonne préparation était la clé du succès.

Le chœur de l’OSM était constitué d’une cinquantaine de chanteurs professionnels (selon le règlement établi par l’Union des artistes) et d’un ensemble vocal amateur, ce dernier étant, dans mon cas, le Chœur Saint-Laurent. Toute préparation doit passer par les cinq étapes suivantes, soit :

1 – Répétitions de l’œuvre par le chœur non professionnel .

2 – Répétition conjointe avec les professionnels.

3 – Maestro Dutoit dirige les chœurs rassemblés.

4 – Deux ou trois répétitions supplémentaires avec les solistes, incluant la générale.

5 – Concert.

Le chœur complet est soumis à des auditions par intervalles réguliers. De mon côté, j’exige que les professionnels soient fin prêts au moment de la première répétition conjointe et je tiens à cela parce les deux ensembles doivent être sur le même pied. Mon rôle se résume à peaufiner le tout en veillant à une exécution impeccable et expressive de tous les paramètres musicaux (notes, dynamiques, justesse, sonorité d’ensemble et diction). Au besoin, je m’attarde sur les mots en plus de varier constamment les tempos. Je maintenais ce procédé avec des chefs d’orchestre invités, bien que ceux-ci demandaient toujours d’assister à une répétition du chœur, question de faire sa connaissance.

Ce fut un réel privilège pour moi de collaborer avec tous ces chefs invités, ne serait-ce que pour leurs styles individuels et leurs visions des œuvres présentées. Si l’un d’eux était, disons, moins inspirant, l’ensemble et moi tentions de sauver la donne d’une manière ou d’une autre.

J’ai une dette particulière envers maestro Dutoit pour toute la confiance accordée au chœur de l’OSM, aux Jeunes Chanteurs FACE chorale senior et à moi-même. Nos collaborations nous ont menés à New York au Carnegie Hall et au Avery Fisher Hall, au centre des arts de la scène à Saratoga Springs dans l’État de New York ainsi qu’au Centre Mann à Philadelphie, et ce, en présence de son orchestre symphonique. Comme chef, Dutoit avait ses exigences, soit, mais en aucun cas n’était-il injuste. Si un problème se présentait dans un passage vocal et que le temps de répétition manquait pour le corriger, il s’en remettait à moi pour le résoudre.

Un cas extrême me revient ici en tête. Nous avions participé au printemps d’une année à un concert à la Place des Arts où le poème symphonique Les Planètes de Holst était au programme. J’avais travaillé fort pour créer une espèce d’illusion de distance dans le passage en pianissimo clôturant l’œuvre. Quelques mois plus tard, en plein été, nous nous sommes rendus à Saratoga pour jouer cette œuvre dans l’amphithéâtre en plein air. Toutefois, le maestro n’arrivait pas à créer l’effet désiré dans cette conclusion et m’a prié de trouver une solution. Il m’a pris de court. Je suis rentré dans ma loge pour réfléchir. Je savais qu’il n’y avait plus de temps pour une autre répétition, alors je me suis rendu très tôt à la console de l’amphithéâtre pour m’entretenir avec le preneur de son. Malgré son premier refus catégorique, je suis arrivé à le convaincre d’éloigner les micros de six pouces du chœur et de contrôler le son de son pupitre.

Au moment voulu, maestro Dutoit donna son signal en se fiant au moniteur hors scène et j’ai vu son visage se crisper d’horreur. Une fois le concert terminé et me plaçant à ses côtés pour saluer, il s’est tourné vers moi en me demandant où était le chœur. « Ils ont chanté », ai-je répondu. Il m’a prié de le suivre à sa loge. Avant même que je puisse m’expliquer, trois membres de l’orchestre sont entrés pour le féliciter, chacun voulant tout de même savoir où le chœur était. Il leur a répondu ce que je venais de lui dire. Les trois sont partis avec des regards perplexes. Les organisateurs du festival et des gens du Philadelphia Orchestra sont ensuite venus nous retrouver et nous ont félicités de l’interprétation exceptionnelle du chœur. Dutoit a glissé un sourire sans plus. J’ai quitté la loge sans jamais en reparler avec lui. Ce n’est que plus tard que j’ai fini par comprendre que la sonorisation du chœur avait été diffusée dans le théâtre, mais pas dans le moniteur du chef.

Maestro Dutoit a quitté l’orchestre en mars 2002 dans des circonstances plutôt désolantes. J’ai d’abord pensé à tirer ma révérence pour ensuite me raviser. Par souci de loyauté au chœur, je suis resté jusqu’à l’arrivée de Kent Nagano en 2006 pour enfin céder ma place deux ans plus tard à mon successeur. Ce n’est pas sans regret que j’ai quitté la direction du Chœur Saint-Laurent après 36 ans, mais il en était mieux ainsi en raison des circonstances. Néanmoins, les souvenirs de maestro Dutoit, de l’orchestre et de son chœur sont impérissables.

Traduction par Marc Chénard

 

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