Entartete Musik : Une idée diabolique ancrée dans la notion de race

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Établis en Allemagne depuis des siècles, les Juifs ont, après le siècle des Lumières, pris leur place dans la société comme citoyens à part entière, libres d’exercer toute profession. Les Juifs ont joué un rôle important dans toutes les sphères de la société, peut-être de façon plus notable dans le domaine des arts et de la culture. Ils étaient bien représentés dans les orchestres classiques, dans les lettres, dans le monde de l’édition et dans d’autres domaines artistiques. Très prisée par l’Allemagne, la kultur, a fait connaître ce pays au monde entier.

En février 1933, tout a basculé. En prenant les rênes du gouvernement allemand, les nazis ont pris le contrôle de toutes les activités et institutions culturelles. Les domaine artistique – musique, design, théâtre, littérature, cinéma, etc. – relevait désormais d’une chambre syndicale ou Kammer. Pour travailler dans un domaine, il fallait en être membre. Or, les Juifs ne pouvaient pas devenir membres de la Chambre de la musique (ou Musikkammer) du Reich. Autrement dit, ils ne pouvaient pas être employés comme musiciens, compositeurs, chefs d’orchestre, agents ou organisateurs de concert. Tous les membres juifs d’orchestres prestigieux ont alors été brusquement licenciés. Wilhelm Furtwängler, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Berlin, en s’y opposant initialement, est momentanément devenu un symbole de résistance. Or, avec le temps, Furtwängler et l’orchestre ont été utilisés par les nazis à des fins de propagande. Cette année-là, l’éminent chef d’orchestre juif Bruno Walter (né Schlesinger) se voit refuser la direction des concerts à Leipzig et à Berlin. Les formations paramilitaires nazies, connues sous le nom de « Chemises brunes », perturbaient souvent le déroulement des spectacles auxquels participaient les Juifs. Cela a été le cas lors de la représentation de l’opéra Die schweigsame Frau (La femme silencieuse) de Richard Strauss (à la tête de la Musikkammer à ses débuts). Le libretto était signé par Stefan Zweig, un populaire écrivain et dramaturge juif né à Vienne.

Les nouvelles politiques antisémites ont profité aux non-juifs qui ont été nombreux à bénéficier d’un meilleur accès à l’emploi et à de meilleurs salaires en période de crise économique marquée par la montée du chômage et les conditions de vie difficiles.

La politique nazie visait à débarrasser l’Allemagne de « l’influence juive » dans toutes les activités artistiques. Une série de décrets ont été promulgués pour prôner et défendre les idéaux artistiques nazis. En 1938, une exposition itinérante intitulée Entartete Musik (Musique dégénérée) est inaugurée à Düsseldorf, puis présentée à Weimar, à Munich et Vienne. Tout ce qui était considéré comme transgressant la culture musicale nazie était présenté par des extraits audio, des photos et des textes d’accompagnement. La musique des compositeurs juifs a été dénigrée, tout comme la musique atonale et le jazz américain. La musique des compositeurs juifs, comme Meyerbeerbeer, Korngold, Mahler et Schoenberg, était interdite, tout comme la musique de Mendelssohn qui s’était pourtant converti au luthéranisme à l’âge de sept ans. Même la musique d’avant-garde de compositeurs non-juifs, comme Stravinsky, Hindemith et Alban Berg, a été bannie. L’exposition comprenait des affiches et des photos destinées à montrer l’infériorité des œuvres des compositeurs et des musiciens décriés et leur caractère « barbare ».

La plupart des Juifs d’Allemagne, au fait acculturés, voulaient jouer et entendre les grands compositeurs. Or, pendant ces années, les Juifs n’étaient même pas autorisés à jouer la musique de Bach, de Beethoven ou de Mozart dans leurs propres maisons ! En 1933, à Berlin, le Kulturbund Juden (Fédération culturelle juive) est créé par des artistes juifs sans emploi – avec l’accord des nazis – pour qu’ils se produisent exclusivement pour la population juive. Le Kulturbund a organisé des représentations théâtrales, des concerts, des expositions, des opéras et des conférences dans toute l’Allemagne, dans des lieux réservés uniquement aux Juifs. La Gestapo a mis fin à ces activités en 1941.

Lorsque le gouvernement nazi annexe par la force l’Autriche et la Tchécoslovaquie, il applique immédiatement ses lois antisémites et raciales, suspendant la carrière des artistes juifs dans ces pays et bousculant leur vie.

Au cours des années 1930, les entraves mises aux efforts des Juifs pour émigrer se multiplient et s’intensifient. D’éminents compositeurs juifs, comme Eric Korngold, Arnold Schoenberg et Alexander Zemlinsky, ont réussi à trouver un emploi aux États-Unis. Hollywood a été une destination de choix pour les musiciens de formation classique qui ont pu y exprimer leurs talents et contribué à l’industrie cinématographique en plein essor. Kurt Weill, dont les compositions, à l’instar des écrits de Berthold Brecht, abordent les questions sociales de l’époque, s’enfuit avec son épouse, Lotte Lenya. Se réfugiant d’abord en France, il s’établira ensuite aux États-Unis où il composera pour Hollywood et Broadway. Le Canada est devenu la terre d’accueil d’Oskar Morawetz (1917-2007), longtemps professeur de composition à l’Université de Toronto.

La vie de nombreux grands compositeurs et musiciens pris fin tragiquement dans les camps de la mort d’Hitler. Citons notamment les compositeurs Pavel Haas, Viktor Ullmann et Hans Krása, déportés à Auschwitz le 16 octobre 1944 où ils ont trouvé la mort peu après.

Ces dernières années, l’ambitieux projet « Voix retrouvées » (« Recovered Voices ») mené par son ambassadeur, le chef d’orchestre James Conlon, a permis de redonner vie à bon nombre d’œuvres des compositeurs victimes du nazisme. Nous pouvons aujourd’hui écouter certaines de leurs merveilleuses compositions, comme l’opéra pour enfants Brundibár de Krása, Der Kaiser von Atlantis d’Ullmann, et de nombreux concertos, symphonies et chansons – sans toutefois savoir

Traduction par Lina Scarpellini

Suggestion de lecture : Forbidden Music: The Jewish Composers Banned by the Nazis, par Michael Haas (Yale University Press, 2014).

Neuropathologiste à la retraite et ancien vice-président de la recherche au London Health Sciences Centre, le Dr Joseph Gilbert est depuis toujours un mélomane classique averti. Il donne des conférences au Canada et en Floride sur des sujets liés à l’articulation entre le judaïsme et la musique. Il préside également le comité d’éthique de la recherche en santé de l’Université Western à London, en Ontario.

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