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Par Justin Bernard, Arthur Kaptainis, Norman Lebrecht et Paul E. Robinson
Vivaldi : Luce e ombra
Myriam Leblanc, soprano. Grégoire Jeay, flûte; Antoine Malette-Chénier, harpe triple baroque; Marie-Michel Beauparlant, violoncelle (Ensemble Mirabilia)
Analekta AN 2 9137
Durée : 60 min 47
3/5
Associé dans l’esprit du public à ses concertos animés, Vivaldi était tout aussi prolifique (et prévisible) en tant que compositeur vocal. Ce programme mettant en vedette la jeune soprano lyrique Myriam Leblanc mélange des numéros mélancoliques et rapides avec des entractes instrumentaux par un trio de flûte, violoncelle et harpe (la dernière en remplacement d’un clavecin et sonnant comme un luth). Le morceau d’ouverture, un air prolongé (« Gelido in ogni vena ») de l’opéra Il Farnace, évoque l’Hiver avec les sonorités superposées de l’introduction. La flûte régulière et implacable de Grégoire Jeay est presque un deuxième soliste dans la cantate All’ombra di sospetto. Leblanc a une voix pure et agile. Elle applique le vibrato avec parcimonie, même là où de longues suspensions pourraient avoir besoin d’un peu d’intensité et de soutien. On a l’impression parfois d’entendre un garçon soprano déverser de façon improbable des émotions adultes. Il s’agit néanmoins d’un programme agréable, enregistré étroitement en accord avec les forces modestes. Le livret comprend des textes complets, mais aucune note explicative. AK
Britten : Sinfonia da Requiem.
(“The British Project.”)
City of Birmingham SO/Mirga Gražinytė-Tyla
DG 4839072
Durée : 20 min 9 sec
4/5
Comme La Messe en ut majeur de Beethoven qui est éclipsée par sa puissante Messe solennelle en ré majeur, la Sinfonia da Requiem de Benjamin Britten est parfois confondue avec le War Requiem, même si les deux œuvres n’ont rien en commun. La Sinfonia, œuvre pour orchestre uniquement, ne dure que 20 minutes et est parcourue d’ambivalence personnelle.
Britten a reçu la commande en 1939, s’étant récemment installé à New York et ayant été exposé à son mode de vie cosmopolite, beaucoup plus coloré que les grisailles de Londres. La commande est venue du gouvernement japonais, pour marquer le 2600e anniversaire de la dynastie au pouvoir. Le Japon avait brutalement envahi la Chine. Britten était un pacifiste. Il a déclaré à un journaliste : « J’en fais quelque chose d’aussi antiguerre que possible. » Mais il a accepté l’argent. L’année suivante, il était convoqué au consulat japonais pour être accusé d’insulte à la nation (on ne lui a pas demandé de remboursement).
L’œuvre a été présentée en première au Carnegie Hall le 29 mars 1941 par l’Orchestre philharmonique de New York et son chef John Barbirolli. La seconde présentation, à Boston, a été plus conséquente. Le chef Serge Koussevitsky l’a tellement aimée qu’il a chargé Britten d’écrire son premier opéra majeur, Peter Grimes. Entre l’entrée du Japon dans la Seconde Guerre mondiale et sa nouvelle préoccupation pour l’opéra, la Sinfonia da Requiem a été mise de côté. À ce jour, elle occupe rarement le devant de la scène en tant qu’œuvre formatrice d’un brillant compositeur dans la vingtaine.
Formée de deux mouvements extérieurs sombres et d’un mouvement central agité, tous portant des titres catholiques romains, la Sinfonia couvre toute une gamme d’humeurs, de la pitié à la passion. Mahler est une influence incontournable, notamment sa Symphonie no 9, tandis que les éruptions de cuivres et de percussions appartiennent à Igor Stravinski et l’atmosphère à la fragilité de la guerre et au malaise moral du compositeur. Britten vivait dans le confort des États-Unis tandis que sa patrie était bombardée par les Allemands.
Ces conflits sont puissamment projetés dans un nouvel enregistrement hypertendu de l’Orchestre symphonique de Birmingham et de sa directrice musicale lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla. Contrairement à beaucoup d’interprétations anglaises respectueuses que j’ai entendues, celle-ci reflète la vie sur la corde raide, sa continuité incertaine, sa foi vacillante jusqu’à l’extinction. On sent l’incertitude, d’une mesure à l’autre, de la direction que prendra le monde. C’est l’interprétation la moins anglaise que j’aie entendue, et c’est tant mieux. Gražinytė-Tyla étire le rubato jusqu’à la transparence et admet des notes d’atonalité. Ressent-elle les sentiments contradictoires du compositeur ? C’est un récit tout à fait captivant, offert en téléchargement chez DG. NL
The Spirit and the Dust
Beverley Johnston, percussions; Marc Djokic, violon; Amici Chamber Ensemble
Centredisques CMCCD 27920
Durée : 67 minutes
5/5
Plus tôt cette année, le Centre de musique canadienne a fait paraître un enregistrement que l’on vous recommande chaudement, The Spirit and the Dust. Mettant en vedette la percussionniste Beverley Johnston, accompagnée du violoniste Marc Djokic et de l’ensemble de chambre Amici, cet album mêle ambiance psychédélique, rêverie surnaturelle et exploration de sonorités venues d’ailleurs. Le timbre du marimba et du vibraphone nous transporte par moments dans un état de transe qui rend les œuvres séduisantes à l’oreille, malgré leur langage résolument moderne. Bref, des œuvres intéressantes et accessibles, signées Dinuk Wijeratne, Christos Hatzis, Norbert Palej et Richard Mascall qui sont tous des compositeurs très actifs dans le milieu de la musique contemporaine. Mentionnons, par exemple, The Spirit and the Dust de Wijeratne qui donne son nom à l’album et dont l’ambiance flottante, aérienne, côtoie parfois l’angoisse et l’horreur. Le cycle de trois pièces intitulé Vignettes de Hatzis fait dialoguer admirablement le marimba et le violon, tandis que Ser con Él de Palej mêle la musique à des textes parlés. En guise de conclusion, Beverley Johnston et Marc Djokic joignent à nouveau leurs forces dans Quantum Hologram de Mascall; une œuvre magistrale de plus de 17 minutes qui n’est jamais à court d’idées musicales. Ce disque plaira à tous ceux qui résistent encore à la musique contemporaine. JB
Beethoven : Sonates pour violon et piano,
op. 12 nos 1-3; Op. 24
Andrew Wan, violon. Charles Richard-Hamelin, piano
Analekta AN2 8795
Durée : 69 min 58
4/5
Ce disque fonctionne bien comme chasseur de cafard de l’ère COVID-19 et rappelle à point nommé combien accompli est le génie de Beethoven pour tous et partout (en dépit des effusions idéologiques contemporaines contraires). Les quatre sonates, et en fait tous les mouvements sauf un, sont dans une tonalité majeure. Non que la bonhomie rayonnante semble jamais facile, Beethoven étant le plus grand maître de tous en l’art de représenter la vie dans son ombre aussi bien que dans son ensoleillement. Andrew Wan, célébrité de l’OSM, est capable de faire des remarques incisives avec subtilité. Il est adéquatement assorti au piano de l’attentionné Charles Richard-Hamelin. Nous avons le sentiment que ces grandes œuvres sont l’expression non seulement de la parité, mais aussi de l’amitié. Il serait difficile de demander un gazouillis plus enjoué dans le premier mouvement de l’opus 12 n° 2, pris dans un Allegro vivace relativement détendu. L’ouverture de la Sonate « Le Printemps » op. 24 s’élève gentiment et il y a une foison de clair-obscur dans le mouvement lent. Ma seule objection concerne le non-respect des répétitions du premier mouvement. Bien sûr, je n’ai que mon affection démodée pour les disques compacts à blâmer. On me dit que la diffusion en ligne ou le téléchargement vous donne la totale. AK
Herbert von Karajan.
The Complete Decca Recordings
Decca 483 4903 (33 disques).
5/5
Il fut un temps, il y a environ 60 ans, où Herbert von Karajan était appelé officieusement le « directeur général de la musique de l’Europe ». En 1960, il était chef d’orchestre à vie de la Philharmonie de Berlin, directeur artistique de l’Opéra d’État de Vienne, chef d’orchestre en chef de l’Orchestre Philharmonia de Londres et chef d’orchestre fréquent de la Philharmonie de Vienne, de la Scala et du Festival de Salzbourg. Il était également sous contrat avec les trois principales maisons de disques, EMI, Deutsche Grammophon et Decca.
À Decca, il a eu la chance de travailler régulièrement avec John Culshaw, peut-être le plus important producteur de sa génération. Avec Culshaw aux commandes, Karajan réalise des dizaines d’enregistrements, dont la plupart des neuf opéras de ce nouveau coffret. Plusieurs commémorent des productions légendaires à l’Opéra d’État de Vienne, chacune mettant en vedette les meilleurs chanteurs de l’époque. Vous y trouverez La Bohème avec Pavarotti, Freni et Ghiaurov; Madama Butterfly avec Pavarotti, Freni et Ludwig; Tosca avec Leontyne Price, Di Stefano et Taddei; Carmen avec Price, Corelli, Freni et Merrill; Otello avec Del Monaco, Tebaldi et Protti; Boris Godounov avec Ghiaurov dans le rôle-titre; Le Nozze di Figaro avec van Dam, Krause, Cotrubas et von Stade; Aida avec Tebaldi, Bergonzi et Simionato; et Die Fledermaus dans un concert de gala mettant en scène Gueden, Kmentt, Waechter et Berry, avec des apparitions de Nilsson, Bjlörling, Tebaldi, Price, Sutherland et bien d’autres. Plusieurs de ces exécutions sont quasi-immortelles et chacune d’entre elles mérite d’être réécoutée.
Le reste des enregistrements présente Karajan avec l’Orchestre philharmonique de Vienne dans des interprétations qu’il a mieux réussies avec d’autres orchestres, avant ou après – à l’exception d’une lecture extraordinairement puissante des Planètes de Holst et des exécutions coruscantes de Don Juan et de Mort et Transfiguration de Strauss. Évidemment, la principale raison d’investir dans ce coffret est de compléter votre collection Karajan ou parce que vous n’avez pas réussi à acquérir les enregistrements d’opéra au fil des ans. Il n’y a pas de librettos, mais ils sont facilement accessibles sur www.booklets.deccaclassics.com. PER
Peter-Anthony Togni : Sea Dreams
Luminous Voices Chamber Choir/Timothy Shantz. Kate Patridge (soprano), Sarah Han-Scinocco (flûte), Sarah MacDonald (flûte), Tova Olson, Victor Cheng (percussion), Jeff Reilly (clarinette basse)
Leaf Music LM236
Durée : 61 min 39
4/5
Les enregistrements rayonnants et/ou relaxants de chorales ne sont pas exactement rares. Il y a toujours de la place pour un autre. Ici, les Luminous Voices de Calgary, qui se décrivent avec précision, sous la direction de leur directeur musical Timothy Shantz, font un plaidoyer admirable pour les partitions sacrées du compositeur néo-écossais Peter-Anthony Togni. En commençant par un Totus Tuus calmement édifiant et essentiellement consonant adressé à la Vierge. La texture simple d’un Requiem et Lux est doucement animée par une dynamique subtile. Les dissonances sont si purement rendues par ces chanteurs (31 sont répertoriés dans le livret) qu’elles projettent une immobilité paradoxale. Une version en français du psaume 98 transforme les mots « chantez au Seigneur » en une figure ostinato très vivante. La composition-titre en trois mouvements s’ouvre sur un séduisant duo de flûtes et se développe agréablement. Le traitement du texte de T.S. Eliot est aussi bien dévotionnel que maritime. Les mers sont généralement calmes, mais il y a des scintillements d’embruns et de soleil. « Monter dans un bateau ou sur un navire est une sorte d’acte de foi, dit le compositeur. Nous ne pouvons que prier et avoir confiance que le voyage sera couronné de succès. » Celui-ci l’est. AK
Singing in the Dead of Night.
Eighth Blackbird.
Cedille CDR90000195.
Durée : 45 min
4/5
Love & Death
Navarra String Quartet
Orchid Classics ORC100135
Durée : 80 min
3/5
Vous m’entendrez parfois dire aux générations montantes qu’elles devraient écouter les nouvelles musiques de notre époque plutôt que Beethoven et Mahler, qu’elles apprécieront davantage dans la cinquantaine. Inutile de dire que je n’en ai pas beaucoup converti. Toutes les excuses habituelles tiennent : rentrer du travail, préparer le dîner, mettre les enfants au lit, végéter sur le canapé, aucune concentration restante pour les grincements et les cris des compositeurs contemporains.
Je sais, je suis passé par là. Mais je continue d’essayer de persuader les plus jeunes d’écouter la nouveauté. Tendez vos oreilles, par exemple, au nouvel album d’Eighth Blackbird qui comprend trois compositeurs américains − David Lang, Julia Wolfe et Michael Gordon − avec des fragments de la chanson aviaire des Beatles. Vous vous souvenez des Beatles ? Des compositeurs contemporains du milieu du XXe siècle, peu entendus aujourd’hui.
J’adore ce que ces spécialistes de la tonalité font avec les morceaux des Beatles. Une bribe d’Eleanor Rigby attire mon oreille, parmi un éventail de bruits de salle de bain, d’interactions diverses et d’airs connus. L’album ne dure que 45 minutes, mais je pourrais rester assis et l’écouter pendant des heures.
Love and Death du quatuor Navarra passe du sobre au sombrero. Une complainte de torero de Joaquín Turina (1882 à 1949) m’est totalement nouvelle. J’ai écrit au torero pour lui conseiller de se former à la musique pour réorienter sa carrière post-Covid.
Les grandes attractions sur l’album viennent du microminimaliste hongrois György Kurtág (né en 1926), qui requiert toute votre attention pendant une ou deux minutes et récompense vos efforts plus richement que vous ne pourriez l’imaginer. Les autres œuvres sont les Crisantemi de Puccini, les quatuors La Sonate à Kreutzer de Janáček et La jeune fille et la Mort de Schubert − toutes magnifiquement interprétées par les Navarra, mais ce n’est pas meilleur que les trois contemporains. La nouvelle musique est bonne. Faites-en l’essai. NL
Reena Esmail : This Love Between Us: Prayers for Unity. Barbara Croall : Giishkaapkag
The Elora Singers/Mark Vourinen.
TESR 001
Durée : 54 min
4/5
Cet enregistrement des deux douzaines des Elora Singers sous la direction de Mark Vourinen s’inscrit clairement dans la tendance actuelle qui met l’accent sur la diversité culturelle. L’œuvre la plus longue, de la compositrice amérindienne Reena Esmail, intègre plusieurs langues et tente de recenser les principales religions du monde en sept mouvements – dans les styles musicaux indiens et occidentaux. Un défi de taille. La partition (qui fait appel à un orchestre de plus de 20 instruments, dont le sitar et le tabla) est particulièrement convaincante dans la section Hindouisme, où les solistes alternent de longues lignes de legato en hindi et en anglais. L’écriture chorale honore la pratique occidentale plus dans la brèche que dans l’observance. Les intervalles ouverts et les modulations soudaines sont nombreux, les répétitions abondent. Giishkaapkag (« Où la pierre est coupée »), de la compositrice de la Première Nation des Odawa Barbara Croall, est une réussite encore plus grande. Les roches sont ici représentées comme des creusets des âmes de femmes indigènes disparues et assassinées. Les âmes émergent par des vocalises qui sont intégrées dans l’imagerie de la nature. Les résultats sont entièrement organiques. En effet, les techniques chorales étendues sonnent plus primitives que modernes. Malgré le contexte, la partition parvient à affirmer la vie, notamment grâce aux obbligatos évocateurs du papigwan (flûte traditionnelle en cèdre) tels qu’interprétés par la compositrice. Difficile d’un point de vue technique – les Elora Singers sont clairement des professionnels –, cette œuvre impressionnante mérite une diffusion rapide et étendue. AK
Beethoven : Variations
(Op. 34, Op. 35, WoO69, 70, 78, 79, 80)
Angela Hewitt, piano
Hyperion CDA68346
Durée : 79 min 40
4/5
Aimeriez-vous un petit Bach avec votre Beethoven ? Angela Hewitt répond avec une version splendidement pointilliste des 32 Variations en do mineur, autrefois dans le répertoire d’Horowitz et qui devraient être reprises plus souvent. Ce rat-a-tat virtuose est impressionnant sur le piano Fazioli bien-aimé (et brillant) de Hewitt, mais les murmures des variations plus calmes le sont tout autant, incluant la 30e variation, réalisée tranquillemente, comme le veut le compositeur. Nous obtenons des interprétations incisives de l’opus 34 et de l’opus 35, ces derniers étant connus sous le nom de Variations « Eroica » pour leur utilisation du thème du finale de la symphonie homonyme, un an en avance. L’exubérance de Beethoven est constamment sur le point d’éclater dans ce chef-d’œuvre; Hewitt en valorise à la fois l’énergie et le décorum. Personne ne sera surpris d’apprendre que la fugue se passe bien. Les variations rarement entendues sur des thèmes de Paisiello sont très intéressantes. Les variations sur God Save the King semblent un peu trop dignes, mais les esprits s’élèvent avec les variations sur le (choc et horreur) Rule Britannia. La personnalité extravertie de Hewitt s’accorde bien avec ce répertoire. À près de 80 minutes, l’enregistrement, quelle que soit la manière dont il a été acquis, représente un bon investissement. Autre atout : les notes perspicaces et personnelles de Hewitt dans son livret. À propos du Fazioli : cet enregistrement représente son chant du cygne. Cet instrument a connu une fin prématurée et accidentelle après les séances en janvier dernier à la Jesus-Christus-Kirche de Berlin. Triste histoire. Disque heureux. AK
Traduction par Jacqueline Vanasse
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