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Lors de son hospitalisation en février dernier, le professeur Phil Cohen, alors convalescent, a pu continuer à enseigner à ses étudiants en piano, qui ne voulaient absolument pas manquer un de leurs cours. C’est ainsi qu’on a pu entendre le vieux piano déglingué de l’hôpital Richardson, accordé tout spécialement pour l’occasion, transformer l’espace en salle de concert avec la musique de Granados, Albéniz et Prokofiev.
2017 est une année bien particulière pour Cohen, qui a eu 90 ans en février. Cela fait cinquante ans qu’il enseigne à Concordia, où il a mis sur pied le département de musique, créé un diplôme d’études supérieures en interprétation et cofondé, avec le psychologue Norman Segalowitz, le projet Leonardo, une étude multidisciplinaire portant sur la nature de l’exécution musicale.
Autre anniversaire, encore plus important aux yeux des innombrables étudiants qui ont eu la chance de passer entre ses mains et ont bénéficié de sa vision novatrice, cela fait 70 ans cette année que Phil Cohen enseigne « comme personne d’autre avant lui ni après lui », selon l’une de ses anciennes étudiantes, Laura Fenster.
Pianiste de concert et professeure de piano, Laura Fenster a fait la connaissance de Phil Cohen dans les années 1950, alors qu’elle avait 11 ans. Comme pour beaucoup d’autres élèves de Cohen, qu’ils jouent du piano, des cordes ou du cor ou qu’ils chantent, sa relation avec le professeur s’est étendue à travers les années et les différentes villes. « Il était celui à qui je pouvais parler, et pas seulement à propos du piano. C’était une vraie amitié. Il respecte tout le monde. » Fenster a des problèmes de vision qui affectent son équilibre et sa capacité à lire. « Il a compris comment travailler avec cela. Ce n’est pas une question de technique, mais de la manière dont on utilise son corps pour faire de la musique d’une manière musicale. »
Fenster a d’abord étudié avec un des professeurs de Cohen, Yvonne Hubert, qui avait elle-même étudié avec Alfred Cortot. « Cet amour complètement unique du “beau son” est un héritage direct de la lignée Cortot/Hubert, mais la façon dont Phil l’enseigne, cela est un phénomène absolument unique, radicalement différent de la manière d’Hubert. C’était une interprète merveilleuse et une bonne enseignante en interprétation. Mais Phil, lui, t’apprend comment, en tant qu’être humain, tu dois te rendre là, non comment cela doit être. »
Le travail de Cohen se situe à l’opposé de la méthode unique pour tous. Son enseignement et ses expérimentations continuelles sont liés autant à son propre vécu et à son expérience musicale qu’à ceux de ses étudiants.
Le pianiste et compositeur Peter Manning Robinson a connu également des problèmes physiques. Comme Fenster et bien d’autres, il a quitté sa région natale pour pouvoir voir son professeur. « Phil Cohen m’a sauvé la vie, c’est aussi simple que ça, raconte-t-il. Lorsque j’étais au milieu de la vingtaine, j’étais atteint d’une tendinite sévère aux deux poignets, si douloureuse que je ne pouvais jouer plus de deux minutes d’affilée, ce qui m’avait obligé d’arrêter les tournées. » Lorsqu’il a appris qu’il allait devoir désapprendre tout ce qu’il savait sur la musique, Robinson a relevé le défi. « Phil m’a enseigné une approche très peu conventionnelle, avec les poignets très à plat, être assis très bas sur une chaise, des positions d’arts martiaux, être debout, à genoux, les mains à l’envers, les mains croisées et beaucoup d’autres techniques pour me débarrasser de mon handicap. »
Comme tous les autres musiciens rencontrés aux fins de cet article, il insiste sur le fait que l’approche de Cohen varie en fonction de chaque élève. « Phil est un cas unique dans mon expérience. Il a, tout seul, développé et inventé tout un éventail de techniques d’interprétation. Ce sont des choses que l’on ne peut apprendre de personne d’autre. » Robinson interprète et enregistre sa propre musique sur un instrument qu’il a inventé, un piano augmenté électroniquement, qui crée le son en temps réel, le Refractor PianoMD.
Angela Chan, fondatrice de l’école de musique Lambda à Pierrefonds, a terminé ses études supérieures avec Cohen. Elle le voit comme un de ses mentors. « Ma façon d’enseigner s’inspire énormément de lui. Je trouve que beaucoup de professeurs aiment faire eux-mêmes la démonstration, mais selon moi, pour un étudiant, voir son propre geste corrigé par le professeur vaut mille fois mieux. »
Pianiste jazz et compositeur de chansons accompli, c’est à l’âge adulte que Jeff Franzel a rencontré Cohen. Il avait auparavant étudié avec John Mehegan, pianiste de jazz, professeur et critique auprès de qui il a appris beaucoup sur la théorie. « Mais rencontrer Phil vous fait aller plus loin que la théorie; il s’agit de jouer en partant de votre cœur, de vraiment développer sa propre signature, son propre son au piano. Phil amplifie le mouvement, montre comment vos idées sont toutes créées par la manière dont vous touchez le piano. Vous n’attaquez pas l’instrument, vous le caressez, vous apprenez à glisser d’une touche à l’autre. Une fois que vous avez appris à faire sortir ces sons, alors vous pouvez développer votre son personnel. »
Franzel se souvient encore de l’impact de sa première rencontre avec Cohen : « Ma première leçon avec Phil a bouleversé ma vie. Ça a été un vrai trip, je planais très haut. Je pense que c’est la première fois que quelqu’un entrait dans mon âme, pas seulement la musique, mais mon psychisme. Il comprenait qui j’étais… et qui je pouvais devenir. »
Trevor Payne, du Montreal Jubilation Gospel Choir, a encore le manuel qu’il utilisait, il y a de nombreuses années, lorsqu’il suivait à Concordia les cours de Cohen sur la musique dans le monde non occidental. « Mon intérêt scolaire pour la musique afro-américaine a été vraiment déclenché par le professeur Cohen. Il a beaucoup à voir dans le chemin que j’ai emprunté. »
Lors d’un entretien qui s’est déroulé chez lui, Cohen met en garde contre les notions préconçues concernant la créativité. « Ne tenez rien pour acquis, dit-il. Ce n’est que dans l’action que l’on peut transmettre, communiquer le sens (musical). » Cohen définit la créativité comme la capacité de transmettre quelque chose « qui autrement ne serait pas transmis et qui crée une énorme différence dans la vie des autres ».
Lorsqu’on essaie d’exprimer l’essence du travail de Cohen, ce sont ses propres mots, à propos de son ancienne professeure Yvonne Hubert, qui viennent à l’esprit. Il définit le legs spirituel d’Hubert comme « une vision de la musique comme l’enchantement ultime de l’âme, qui doit être partagé avec grâce, modestie, passion, émerveillement et, par-dessus tout, avec joie ».
Le 17 mai prochain, les étudiants de Phil Cohen présenteront un concert spécial en son honneur , à 19 h 30 à la salle Oscar Peterson de l’Université Concordia. L’entrée est libre.
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