Opéra McGill a 60 ans

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Si vous consultez le répertoire de n’importe quelle compagnie d’opéra canadienne, vous avez toutes les chances de trouver, dans un département ou un autre, un ancien diplômé d’Opéra McGill, sur la scène, sous la scène ou derrière la scène. Prenez par exemple la récente production de Don Giovanni à l’Opéra de Montréal : le baryton-basse Gordon Bintner, qui avait interprété pour la première fois le rôle de Don Giovanni à McGill il y a quatre ans, reprenait le rôle-titre pendant que l’étoile montante Jordan de Souza était au pupitre. Dans le rôle de Donna Anna, la soprano Emily Dorn est également une ancienne de McGill; quant au metteur en scène, l’Américain David Lefkowitch, il a également des liens avec ce programme, puisqu’il a mis en scène The Rake’s Progress à McGill en 2010. Sans oublier Patrick Corrigan, aussi diplômé d’Opéra McGill, qui est devenu le directeur général de la compagnie cette année.

Tout cela est à mettre au crédit de la force du programme Music’s Opera and Voice de l’École de musique Schulich, dont une des caractéristiques est la continuité, ce qui a permis à chaque dirigeant de développer sa propre vision. Après la création du McGill Opera Studio en 1956 par Edith et Luciano Della Pergola, il n’y a eu que trois directeurs.

« Les Della Pergola ont été là pendant trente-cinq ans. Ils sont partis de rien en 1956. Les rôles principaux étaient joués par des chauffeurs de taxi, il y avait des docteurs, des gens de la collectivité », raconte Patrick Hansen, l’actuel directeur d’Opéra McGill et Opera Studies. Les deux époux Della Pergola, qui s’étaient produits dans le monde entier comme chanteurs, avaient des liens avec une tradition opératique qui n’était pas alors très répandue à Montréal.

The cast of Don Pasquale, Opera McGill 1964–65

The cast of Don Pasquale, Opera McGill 1964–65

Lorsque les Della Pergola prirent leur retraite en 1989, ils furent remplacés par Bernard Turgeon. Turgeon, connu surtout pour son interprétation de Louis Riel, fut lui-même remplacé en 1992 par Dixie Ross-Neill, qui devint alors directrice des études d’opéra pendant que son mari, Bill Neill, dirigeait la section vocale. Ross-Neill avait déjà travaillé comme professeure à la Canadian Opera Company.

« Elle se concentrait vraiment sur le travail d’enseignement et de formation vocale. Elle choisissait les opéras, choisissait l’équipe et travaillait avec les chanteurs, mais elle ne s’occupait pas de la mise en scène, explique Hansen. Elle est décédée au moment où j’ai commencé à y travailler, je ne l’ai donc malheureusement connue qu’à travers ses étudiants. »

Contrairement à Ross-Neill, Hansen assure la mise en scène de ses opéras et cumule souvent les rôles de metteur en scène, chef d’orchestre et répétiteur. Hansen, originaire de l’Iowa, a commencé sa carrière dans le monde de l’opéra comme pianiste, puis comme répétiteur, comme chef d’orchestre et enfin comme administrateur artistique au Florida Grand Opera. « Je n’ai jamais dit non, reconnaît-il. Je n’ai jamais pensé que je ne pouvais pas y arriver. Je l’ai juste fait. »

« Quand ils ont ouvert le poste, ils cherchaient quelqu’un qui avait peut-être dirigé un programme estival renommé pour jeunes artistes, peut-être un chef d’orchestre, peut-être un metteur en scène, et certainement un très bon professeur-répétiteur, explique Hansen en comptant sur ses doigts. J’ai vu l’annonce et j’ai pensé : tiens, mais c’est moi qu’ils cherchent ! »

Patrick Hansen, Photo: Adam Scotti

Patrick Hansen, Photo: Adam Scotti

Hansen – qui endosse le rôle de plusieurs personnages pendant une seule et même entrevue et vous régale d’histoires à tiroirs sans jamais perdre le fil de la conversation – est quelqu’un qui pense et parle (et même tient un blogue) principalement sur l’opéra. Mais il n’a guère de patience pour tout ce qui, selon lui, menace la longévité et l’existence même du monde de l’opéra.

« Je répète tout le temps cela à mes étudiants, et quelquefois ils me croient : je prends l’opéra très au sérieux, mais moi, je ne me prends pas au sérieux, dit-il en riant. Je suis d’avis que beaucoup de gens se prennent trop au sérieux dans le monde de l’opéra. »

Cette volonté d’aller à l’encontre des idées reçues fait partie intégrante de son mandat à Opéra McGill. Le premier changement opéré par Hansen a été d’accentuer le rôle des étudiants de premier cycle. « Lorsque je suis arrivé, explique-t-il, on ne permettait pas aux étudiants de première et deuxième année de participer, mais je n’ai jamais choisi quelqu’un en fonction de l’année d’études. »

« Un des étudiants que j’avais choisis était un certain Philip Sly, et Philip Sly jouait le lion dans Alcina. Il a aussi été mon assistant metteur en scène cette année-là – il était alors en première année. Quatre ans plus tard, il remportait les auditions du Met. Il a pu interpréter ainsi 7 ou 8 rôles avant d’obtenir son diplôme de premier cycle. » Hansen mentionne les noms de Gordon Bintner et de Rihab Chaieb (qui vient juste de faire ses débuts au Met) comme d’autres exemples de ces étudiants de premier cycle de McGill qui ont ainsi pu acquérir l’expérience irremplaçable qu’apporte l’interprétation d’un premier rôle important.

Phillipe Sly in Lully’s Thésée, Opera McGill 2008

Phillipe Sly in Lully’s Thésée, Opera McGill 2008

En termes du nombre de spectacles produits annuellement et de la rigueur de l’enseignement, Opéra McGill n’est pas seulement le plus important programme scénique de l’Université McGill, mais le plus important programme d’opéra au Canada. Durant les dix dernières années, par exemple, l’Université de Toronto a produit 20 opéras; McGill en a produit 60. Chaque année, l’école présente au moins trois productions, dont un opéra baroque avec instruments d’époque et dont les représentations ont une base historique. Yale est la seule autre école à programmer de la même façon annuellement un opéra baroque. Cette année seulement, Opéra McGill présente neuf productions.

Le programme offre aux étudiants de nombreuses occasions de travailler sur la scène, mais aussi à tous les stades de la production. C’est ce que Hansen appelle « l’expérience d’Opéra McGill », qui permet, entre autres, aux étudiants à la maîtrise d’être adjoint à la régie ou encore directeur adjoint. « Ce programme ne forme pas seulement de bons chanteurs, mais des penseurs informés et critiques », explique Russell Wustenberg, diplômé du programme (MMus2015) et actuel directeur de production.

Dans les dix dernières années, Hansen a, de fait, développé un modèle axé sur le monde professionnel, un environnement pédagogique qui fonctionne comme une compagnie. Comme il le mentionne, « si vous avez un programme assez important pour offrir assez d’opportunités aux étudiants, on peut se le permettre ».

Les résultats du programme sont déjà visibles en pratique. L’ancienne étudiante de McGill, Aria Umezawa, est actuellement directrice artistique d’Opera 5, une des compagnies d’opéra indépendantes de Toronto. Umezawa, que Hansen qualifie de « remarquablement brillante », est la première femme à la mise en scène dans le cadre du programme Adler au San Francisco Opera. Il s’agit du programme de bourses le plus prestigieux au monde.

« Le secret, c’est la flexibilité, déclare Hansen. Le monde de l’opéra a changé et les programmes qui ne le comprennent pas forment des gens pour une industrie qui n’existe plus. » Les diplômés des programmes de jeunes artistes peuvent s’attendre à faire des tournées pendant plusieurs années, à monter des comédies musicales dans des écoles ou à jouer pour des compagnies d’opéra dans des productions qui bousculent les idées reçues.

Foreground: Megan Miceli (Morgana), Alcina, Opera McGill 2016

Foreground: Megan Miceli (Morgana), Alcina, Opera McGill 2016

C’est dans cet esprit que Hansen a mis sur pied son nouveau projet avec Opéra McGill. Désirant créer quelque chose de spécial pour ce 60e anniversaire, Hansen a développé le concept d’un festival d’avant-garde. « Mes enfants et moi regardions en rafale la série Vikings (sur la chaîne History) et je me suis dit : “Voilà ce dont nous avons besoin : un festival d’opéra en rafale.” Mon Dieu ! nous allons faire un festival d’opéra en rafale ! C’est le premier festival du genre au monde. Personne n’a jamais essayé cela… jamais ! »

En mars prochain, le Festival Black Box Lisl Wirth de McGill présentera sept opéras en vingt-quatre heures dans cinq différents espaces. Une « tradadaptation » (traduction et adaptation) d’un acte d’un opéra de Mozart, la pièce pour enfants Sid the Serpent Who Wanted to Sing, un programme double français à la Chapelle du Bon-Pasteur, Le Château de Barbe-Bleue, la première nord-américaine de l’œuvre de James Garner, East of the Sun, West of the Moon, et une production plus classique de Dido and Aenas de Purcell.

Tous ces choix sont à placer dans une vision plus large. « Certains des lieux de spectacles sont vraiment petits, et c’est volontaire. Je ne voulais pas de grandes salles à moitié vides. Je veux que des gens se fassent répondre qu’il n’y a plus de billets disponibles, explique Hansen. Il faut changer les mentalités : les gens ne doivent plus penser qu’aller voir un spectacle sur scène est une chose qui va de soi. »

Toutefois, la programmation commence et se termine par des œuvres des compositeurs britanniques Purcell et Garner et Hansen veut à la fois rendre hommage au passé tout en étant tourné vers l’avenir. « Soixante ans après, pratiquement jour pour jour, nous présentons Dido dans la même salle. C’est mon côté historique. »

Les références au passé sont importantes pour Hansen qui a choisi Die Fledermaus de Johann Strauss comme production principale de l’école au mois de janvier, une œuvre qui a été présentée au 30e anniversaire d’Opéra McGill sous la direction des Della Pergola.

Hansen devient fébrile quand il parle de sa nouvelle production. « Ça va être fantastique, confie-t-il. Je veux faire l’acte II, le bal d’Orlovsky, à la manière de Klimt, dans des coloris or, noir et blanc et géométriques. » Le bal aussi réserve des surprises puisque, chaque soir, d’anciens étudiants de McGill seront invités à venir sur scène jouer les participants du bal.

« Personne ne sait qui ils sont, sauf l’orchestre qui a répété avec eux le jour avant. Je crois que cela va être très excitant pour les étudiants sur la scène, car ils sauront qu’il y a des gens dans les coulisses et ils vont se demander : Mon Dieu, qui sont-ils et que vont-ils chanter ? »

Hansen veut favoriser les échanges entre les étudiants et des compositeurs vivants. Il travaille en ce moment sur un livret pour une adaptation de Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien) de Shakespeare qui sera travaillée en atelier par des étudiants à McGill.

« Je veux que l’on soit un lieu où les compositeurs et les librettistes peuvent venir et travailler leur œuvre en ateliers. La situation est vraiment difficile pour les jeunes compositeurs et les librettistes : ils doivent payer les chanteurs, trouver un lieu, trouver des directeurs et un dramaturge. Je veux leur fournir tout cela, dit-il. De même, mes chanteurs ont besoin de travailler avec des compositeurs en chair et en os. Ils doivent comprendre cette collaboration, ce dialogue qui s’établit entre le compositeur, le librettiste et la matière de base. »

« Chaque fois que je tiens ces propos, les gens deviennent nerveux, car ils pensent que je suis en train de jeter par-dessus bord la tradition de l’opéra. Or, il s’agit avant tout de survie, de tactiques pour préserver la tradition et aller chercher un nouveau public et préparer de nouveaux talents dans un environnement qui change.

« J’aurai été ici pendant 25 ans quand ce sera le 75e anniversaire d’Opera McGill. J’aurai alors 65 ans et je serai prêt à prendre ma retraite. J’espère alors pouvoir lever mon verre au passé ! »


Opera McGill présente Die Fledermaus au Monument National, du 26 au 28 janvier 2017.

65 $ pour sept productions, le 10 mars 2017. Voir www.mcgill.ca/music pour plus de renseignements.

Traduction : Brigitte Objois

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A propos de l'auteur

Kiersten van Vliet was the Web Editor and an Editorial Assistant for La Scena Musicale from 2015–17.

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