This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)
Toquade
Marina Thibeault, alto; Janelle Fung, piano
ATMA 2017. ACD2 2759, 66 min 58 s.
Dès le premier enregistrement de sa carrière, l’altiste Marina Thibeault sait conjuguer fougue et sentimentalisme, tradition et innovation, accessibilité et abstraction. Elle nous livre un plaidoyer senti et convaincant de la portée du répertoire et de l’instrument. Thibeault possède un doigté admirable alliant fermeté du style et sensibilité et sait tirer de son instrument des sons qui se métamorphosent en idées. L’album commence par la Valse sentimentale, des Six morceaux op. 51 de Tchaïkovski. La transcription de la pièce, écrite à l’origine pour le piano, met en relief les thèmes binaires – le timbre sombre de l’alto marié au phrasé souple de Thibeault et Fung évoque le vertige du temps suspendu. Le duo nous fait remonter le temps de plusieurs décennies en interprétant, non sans une touche de raffinement, la Sonate pour alto et piano, composée par Mikhaïl Glinka dans la jeune vingtaine. Le mouvement, Allegro moderato – isolé, de façon posthume, de la sonate inachevée pour devenir une œuvre à part entière – est construit sur des approches traditionnelles, mais démontre une sensibilité à l’écriture pour alto propre à Glinka.
L’album comporte quelques pièces pour alto solo : la sonate op. 31 no 4 de Paul Hindemith, le Prélude d’Ana Sokolović, Toquade de Jean Lesage et Rubato et Agitato de Milan Kymlička. Mis à part l’œuvre de Hindemith, un incontournable dans la formation de tout altiste digne de ce nom, les pièces de l’album ont été composées pour Thibeault, sauf le Prélude de Sokolović auquel l’altiste donne un nouveau souffle. L’interprétation de l’œuvre de Hindemith par Marina Thibeault, impeccable, exécutée avec une grande clarté, dénote une maturité admirable vu son âge. Le Prélude de Sokolović, d’inspiration tzigane, cristallise le caractère méditatif de l’instrument, une facette que Thibeault sait manier de main de maître. D’ailleurs, dans les notes accompagnant la pièce, la compositrice n’hésite pas à écrire : « Mon écriture pour l’alto n’est plus la même depuis ma rencontre avec elle. »
Fortement influencée par l’époque baroque, la pièce-titre de l’album, Toquade, démontre l’extraordinaire virtuosité de Thibeault. Cet exploit est d’autant plus impressionnant sachant qu’elle joue sur un alto fabriqué en 1854 par Jean-Baptiste Vuillaume, de plus grande taille. Dédiée à Marina Thibeault et interprétée en première mondiale peu avant le décès du compositeur en 2008, la courte pièce de Kymlička ne manque pas de mordant. Le Rubato, une sombre rêverie, s’articule autour des cordes à vide de l’alto tandis que l’Agitato tire profit de la dynamique tensionnelle inhérente aux intervalles causés par les demi-tons. Pour couronner le tout, la Sonate no 1 pour alto et piano de Bohuslav Martinů révèle tout le lyrisme de Thibeault, tirant parti d’un ample vibrato, ainsi que sa sonorité riche et profonde. J’aurais aimé que Fung soit plus présente dans le mixage sonore – si ce n’est que pour mieux apprécier la collaboration remarquable de ce duo. De premier abord, le mélange des époques et des compositeurs peut sembler éclectique. Or, l’album est à la mesure de l’artiste; elle y exprime sa sensibilité à la vision de chaque compositeur sans sacrifier sa propre voix.
Traduction par Lina Scarpellini
-
5
This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)