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C’est une longue et riche page de son histoire qui se tourne. Par la voix d’Anik Schooner, présidente du conseil d’administration, la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a annoncé, en septembre dernier, le départ à la retraite de son directeur artistique Walter Boudreau. « Les défis à venir pour la SMCQ comme pour la musique et les arts dans le monde de l’après-pandémie seront à la fois inédits, exigeants et exaltants. C’est pourquoi je crois que c’est le bon moment de passer la main », avait-il dit dans un communiqué.
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Soucieux d’assurer une transition tout en douceur, l’homme au franc-parler et aux projets plein la tête avait déjà exprimé au conseil, en amont du plan quadriennal de l’organisme, le désir de quitter ses fonctions afin de se consacrer pleinement à la composition. En poste depuis 1988, il avait succédé à Gilles Tremblay (1986-1988) et surtout à Serge Garant (1966-1986), cofondateur de la SMCQ, deux compositeurs de musique contemporaine comme lui et deux de ses professeurs au Conservatoire et à l’Université de Montréal.
« Je suis entré à la SMCQ dans des circonstances dramatiques parce que Serge Garant est décédé subitement des suites d’un cancer. La personne idéale qui pouvait prendre la relève à ce moment, c’était moi. J’avais dirigé la SMCQ, j’avais étudié avec Garant, je connaissais tout ce monde. Même si j’ai un caractère de chien, les musiciens voulaient bien travailler avec moi », raconte Walter Boudreau.
Trente-trois années de création musicale se sont donc écoulées sous sa gouverne et d’innombrables réalisations sont à mettre au crédit de la SMCQ. Dans les dernières années, plusieurs de ses pièces ont été créées ou interprétées dans le cadre du festival Montréal/Nouvelles Musiques, notamment Chaleurs (1989) par le quatuor de saxophones Quasar lors de l’édition 2021, mais il faut remonter à Solaris (2014) et au Concerto de l’asile (2012), commandé par le pianiste Alain Lefèvre, pour trouver les dernières créations de Walter Boudreau.
Entre son double mandat de directeur artistique et de chef d’orchestre, il ne trouvait plus le temps de composer. « Tranquillement, la graine d’une certaine frustration a germé dans mon esprit. J’étais comme un chameau dans le désert dont la réserve était rendue à son extrême limite, dit-il d’un ton rieur. J’ai 73 ans. Dans ma tête, j’en ai 19, mais mon corps et ma faculté de travail ne rajeunissent pas. Dans 10 ans, j’en aurai 83. Heureusement, j’ai toute ma tête, tout mon esprit, et je veux m’en servir le plus possible maintenant pour composer. »
De plus, l’idée de partir après 33 ans de bons et loyaux services lui plaisait. Un clin d’œil à son ami poète Raôul Duguay, qu’il avait rencontré à l’Expo 67, et au chiffre 3 qui était le chiffre fétiche de leur groupe de musique, l’Infonie (1967-1974).
C’est durant cette même période que Walter Boudreau, qui travaille alors comme jazzman, fait ses premières armes en composition et part à la rencontre de compositeurs qui, pour beaucoup d’étudiants de son âge, étaient des maîtres à penser.
Ses rencontres musicales
Ayant d’abord appris le saxophone avec Douglas Michaud au studio d’Arthur Romano à Montréal, de 1960 à 1965, Walter Boudreau commence en 1968 ses études de composition auprès de Bruce Mather à la faculté de musique de l’Université McGill. De 1970 à 1973, il se perfectionne au Conservatoire de musique de Montréal avec Gilles Tremblay ainsi qu’à la faculté de musique de l’Université de Montréal avec Serge Garant.
S’ensuit une série de stages de formation auprès de compositeurs dont le nom fait rêver : Olivier Messiaen en 1971 au Conservatoire national de musique de Paris, Pierre Boulez la même année à la Kent State University (Ohio), puis Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, Mauricio Kagel et György Ligeti l’année suivante à Darmstadt, en Allemagne, lieu emblématique pour la musique contemporaine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En 1973, Walter Boudreau retrouve Xenakis à Paris pour un autre stage de formation en composition.
Toutes ces personnes ont été pour moi des gens droits, à qui j’ai rendu visite et dont j’ai tiré des leçons. Je n’ai sûrement pas retenu la foi de charbonnier d’Olivier Messiaen, mais sa capacité incroyable d’harmonisation d’un cantus firmus, par exemple, et comment y mettre de la couleur. J’apprécie la musique de Pierre Boulez, je l’ai beaucoup dirigée, mais je ne suis pas particulièrement fan (je suis plutôt un fan de Louis Andriessen, par exemple). Ce que j’ai retenu de Boulez, c’est son travail de chef d’orchestre. J’ai passé un été avec lui à Kent State. C’est là que j’ai pris beaucoup d’expérience simplement à le regarder travailler. Comment aborder une œuvre, une répétition. Ne pas perdre patience quand les choses ne vont pas à notre goût parce que ça viendra avec l’expérience et le nombre de répétitions. Ce n’était pas l’être le plus chaleureux au monde, mais il était loin d’être un homme froid, il avait un bon sens de l’humour et une façon formidable de travailler. Xenakis, c’était la folie architecturale poussée à ses limites extrêmes. Pour moi, ce sont surtout les conversations que j’ai eues avec lui. On discutait de musique, de structure. Bref, de ce qui faisait mon affaire.
Ses débuts à la SMCQ
Pour son tout premier concert comme chef d’orchestre à la SMCQ, le 9 novembre 1972, Walter Boudreau n’avait pas donné dans la dentelle… et dans la queue-de-pie ! Il avait revêtu sa toge « infoniaque » rouge, avec un gros symbole du yin et du yang sur le devant, une tuque blanche sur laquelle était écrit le chiffre 33 et des grosses pantoufles en minou rouges. Les costumes noirs, très peu pour lui ! Ils lui rappellent le salon funéraire de Sorel, où il a vécu durant son enfance, et les gens habillés de la sorte qui précédaient les cortèges funèbres. « Je trouve ça lugubre au possible », dit-il.
De cette époque infoniaque, Walter Boudreau a entre autres gardé la couleur rouge – sa préférée – qu’il arbore désormais avec ses baskets Converse devenues légendaires.
Quelques années auparavant, avant qu’il décroche son premier contrat de chef d’orchestre, Walter Boudreau avait croisé Serge Garant par hasard rue Sainte-Catherine, le midi, entre deux blocs de répétition avec son quatuor de jazz. Son collègue et pianiste Pierre Leduc le lui avait présenté. « C’est un génie, il écrit une musique incroyable », avait-il ensuite confié à Walter Boudreau qui, à première vue, l’avait plutôt jugé comme « un drôle de bonhomme, avec de grosses lunettes et de gros favoris ».
« Qui aurait cru, à ce moment, que je deviendrais non seulement l’élève, mais l’ami de Serge Garant et, un jour, que j’aurais pris sa place comme directeur artistique ? »
C’est seulement après cette rencontre fortuite que Walter Boudreau, incité par son nouvel ami Raôul Duguay, l’a vu diriger en concert avec la SMCQ à la salle Claude-Champagne. Au programme de ce concert du 25 avril 1968, Déserts d’Edgard Varèse, un compositeur dont il aimait déjà la musique. « Là, j’ai vu. Je l’ai vu travailler comme chef, j’ai vu l’ensemble de la SMCQ […] Ç’a changé ma vie. J’ai dirigé ensuite à plusieurs reprises Déserts de Varèse, qui est sa dernière œuvre en plus… Ça m’avait bouleversé. »
Ses petits et grands projets
Arrivé à la direction de la SMCQ, Walter Boudreau a multiplié les petits et grands projets. « La Symphonie du Millénaire, personne n’a été capable de battre ça jusqu’à maintenant. » Difficile à battre, en effet : un soir de juin 2000, une mégasymphonie de 90 minutes, écrite collectivement par 19 compositeurs, interprétée par 333 musiciens avec le son numérisé de 15 clochers, de 15 ensembles, d’un grand orgue, d’un carillon de 56 cloches et deux camions de pompiers répartis sur le site de l’Oratoire Saint-Joseph.
Plutôt que d’énumérer tel ou tel événement, Walter Boudreau préfère parler des trois grands axes autour desquels beaucoup de ces projets ont gravité. Tout d’abord, le volet jeunesse de la SMCQ, « parce que l’avenir est dans la jeunesse »; ensuite, la série Hommage, « parce qu’elle fait pénétrer un compositeur dans la société »; enfin, le festival Montréal/Nouvelles Musiques, « parce qu’il n’y en avait pas ». C’est notamment avec ce festival que la SMCQ a pu se mesurer à ses vis-à-vis internationaux, souligne Walter Boudreau. « Que ce soit micro ou macroscopique, je suis fier de tout ce que j’ai réalisé. »
Et après
Bientôt, Walter Boudreau pourra enfin reprendre tout ce qu’il a dû mettre de côté en raison de ses mandats à la SMCQ. « Je suis en train de faire le ménage dans mes partitions. Je n’ai jamais eu le temps de finir toutes les corrections de mes œuvres. J’ai toujours composé entre deux tournées, entre deux concerts, entre deux voyages. J’ai toujours travaillé dans des circonstances un peu bancales, mais, malgré tout, j’ai écrit de la maudite bonne musique. Désormais, je pourrai un peu plus travailler avec l’esprit en paix. »
Depuis un an, Walter Boudreau tente d’apporter ses dernières corrections à Golgot(h)a, une œuvre d’abord composée en 1990 et enregistrée sur son disque Walter’s Freak House (ATMA, 1991). Il est déjà prévu que cette œuvre sera reprise au concert d’ouverture du festival MNM 2023 dont la thématique sera « musique et spiritualité ». Si, à ce moment-là, les conditions sanitaires s’y prêtent, Walter Boudreau reviendra comme chef à la pige pour diriger sa musique.
Walter Boudreau a aussi un grand projet musical en vue pour la ville de Montréal. Il souhaiterait le soumettre très prochainement au prochain maire… ou à la mairesse réélue. « J’attends d’avoir rencontré la personne en question. C’est un projet énorme. J’en aurai pour quelques années à travailler là-dessus. »
Le compositeur ne nous a pas tout dit, évidemment. Il prévoit une autobiographie dans laquelle il pourra s’exprimer en longueur sur les petites et grandes histoires qui composent sa vie.
En attendant ce livre, Walter Boudreau se félicite déjà de voir une autre histoire préservée, celle de la SMCQ, grâce à une série de baladodiffusions. « Même si Réjean Beaucage a écrit un livre magnifique sur le sujet, ce n’est pas tout le monde qui a ça à son chevet. »
À noter que Walter Boudreau demeurera en poste jusqu’à ce que la SMCQ ait achevé le processus de sélection et désigné la personne qui prendra sa relève.
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