Reconnu pour ses interprétations a cappella, en particulier du répertoire contemporain, le chœur Voces Boreales a une nouvelle fois prouvé qu’il était l’un des meilleurs au Canada. Le 30 avril, à l’Église Saint-Léon de Westmount, il présentait une création du compositeur d’origine russe Evgeny Shcherbakov, Triptyque, commandée par le directeur artistique et musical Andrew Gray. À cela s’ajoutaient une pièce sacrée de la compositrice d’origine ukrainienne Larysa Kuzmenko et les magnifiques Vêpres de Rachmaninov, chef d’œuvre absolu de la musique orthodoxe.
Le public était venu nombreux pour acclamer ces chanteurs aguerris. Leur volume, tout comme leur talent, était très bien réparti entre les quatre pupitres de sopranos, altos, ténors et basses et n’a jamais faibli au cours de cette soirée. Sous la direction pleine d’assurance d’Andrew Gray, ils ont débuté par la pièce qui convenait certainement le mieux pour une ouverture de concert, celle de Kuzmenko. Saint-Dieu nous a charmés par son caractère méditatif et son évocation spirituelle. Elle semblait, en un instant, effacer les atrocités du monde. Tout le contraire de Triptyque, une œuvre d’une extrême âpreté. Certainement influencés dans notre jugement par l’origine du compositeur, il n’était pas difficile d’y voir les souffrances endurées par le peuple russe au fil des siècles, d’abord sous le joug des tsars puis des dictateurs.
Fait inhabituel, la création de Shcherbakov en trois mouvements n’était pas interprétée d’un seul tenant, mais égrenée au fur et à mesure. Compte tenu de la densité musicale, on comprend pourquoi ! Mais à la lecture des notes de programme, on se demande bien pourquoi une œuvre pensée à l’origine comme un triptyque, avec une partie centrale et deux plus petites pièces juxtaposés, a été ainsi sectionnée. Triptyque ou pas, la présence du compositeur au concert porte à croire qu’Andrew Gray avait reçu préalablement son accord.
Le premier mouvement exprimait une exaltation folle, un fanastisme à gorge déployée (“Viens à notre secours ! Hâte-toi, car nous sommes perdus”), tandis que le deuxième mouvement, hyper-moderne, exacerbait les dissonances avec notamment une seconde mineure plaquée. Quant au troisième mouvement, il faisait entendre les sopranos dans un registre suraigu franchement contre-nature. L’intention du compositeur contemporain n’est évidemment pas ici de créer de la beauté pour la beauté, mais de rester proche du texte liturgique de l’Église orthodoxe: “C’est lui qui donne à son peuple force et puissance”. Plus tard dans ce dernier mouvement, on trouve un effet intéressant de cloches d’église qui rappelle l’usage d’autres compositeurs russes et brillamment rendu ici par les choristes de Voces Boreales. Comme dans les deux mouvements précédents, on retrouve des accords très dissonants et une fin inattendue qui s’explique en grande partie par le caractère absolument imprédictible de la musique.
Les Vêpres de Rachmaninov, elles aussi, étaient divisées en blocs. Le choix de faire entendre les six premières pièces correspondant aux vigiles nocturnes avant l’entracte et les neuf suivantes associées aux matines après l’entracte avait beaucoup de sens. Toutes les lignes à l’intérieur même de chaque pupitre sont apparues de manière très équilibrée. Le son très homogène a laissé filtrer quelques voix individuelles sans toutefois heurter l’ensemble. On a pu notamment apprécier le timbre d’une basse profonde qui était malheureusement bien seule pour aborder les notes les plus graves de la partition. Mention spéciale à l’alto Kristen de Marchi qui a admirablement interprété le solo du deuxième mouvement, tout en pureté et simplicité. Le ténor Arthur Tanguay-Labrosse aurait pu grandement s’en inspirer. Au lieu de ça, il s’est trop mis en avant dans le solo du cinquième mouvement, résonnant fortement du haut de la chaire et oubliant le caractère sacré de l’instant.
Voces Boreales a souhaité adresser un message de paix en invitant les deux compositeurs à monter sur scène. En guise de rappel, le chœur a ensuite entonné la Prière à l’Ukraine avec la solennité qu’on doit à un hymne national.