Salle Bourgie : Geneviève Soly célèbre les 300 ans du Clavier bien tempéré

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Les 17 et 18 janvier prochains, en concert à la Salle Bourgie, la claveciniste et organiste Geneviève Soly présentera l’intégrale du Livre I du Clavier bien tempéré de Jean Sébastien Bach, créé il y a exactement 300 ans. Un défi de grande envergure que seulement trois musiciens ont eu l’audace de relever à Montréal au cours des 35 dernières années, à commencer par l’organiste Bernard Lagacé qui n’est autre que le père de Mme Soly. « Le fait est que c’est rarissime de présenter l’œuvre sous cette forme, à la fois au clavecin et à l’orgue. »

7 années auront été nécessaires pour que ce projet se matérialise. 7 années faites de recherches, de préparations, mais aussi d’interruptions en raison de la pandémie et, plus récemment, d’une contamination au COVID-19 qui l’a obligée à reporter ses concerts prévus initialement au mois de septembre dernier.

Un COVID long

« J’ai combattu le virus pendant trois mois et demi. Même malade, je continuais à pratiquer car j’avais mon horaire de travail déjà fixé. Le fait que je n’aie pas pris de pause n’a certainement pas aidé à la convalescence. La fatigue accumulée des deux dernières années s’est ajoutée à cela tant et si bien qu’au mois d’août, ayant de l’inflammation de la tête aux pieds, je ne pouvais plus marcher. La situation s’est même aggravée au mois de septembre. Au mois d’octobre, j’ai commencé à me sentir mieux. J’étais désormais aussi sérieuse avec ma guérison que je le suis avec ma pratique. »

C’est partir de la mi-octobre, justement, que Geneviève Soly a repris activement la pratique instrumentale. Il était important qu’elle se replonge dans ce répertoire complexe, exigeant, comme en témoignent les fugues à 4 voix, parfois 5 voix. « Il y a même certaines fugues à 3 voix qui sont difficilement jouables, comme celle en fa dièse majeur et celle en do dièse majeur », nous a-t-elle confié en entrevue.

Perpétuer l’esprit de la collection

Fidèle à ses habitudes, Geneviève Soly a choisi une formule de concerts commentés. Elle aura à sa disposition le clavier droit appelé clavicythérium, conçu par Yves Beaupré en 2002 d’après un instrument d’Albertus Delin de 1768, pour jouer quelques extraits avant l’écoute intégrale des pièces. « Le public est un mélange de connaisseurs et de moins connaisseurs. Je ne veux pas ennuyer les connaisseurs, mais je ne veux pas non plus perdre les moins connaisseurs. Je suis habitué de faire de la vulgarisation. »

Ce faisant, Geneviève Soly s’inscrit dans un projet qui était déjà aux origines de cette collection, à savoir une démarche pédagogique clairement posée : « Pour la jeunesse avide d’apprendre, » peut-on lire dans le titre complet de l’ouvrage. « Tous ses élèves avaient une vénération sans borne pour leur maître. Bach prenait aussi un soin particulier dans l’éducation musicale de ses enfants. Il n’a laissé aucun traité, aucun écrit, mais tout ce qu’on connaît de sa pédagogie est contenu dans sa musique. […] C’est pour ça que chaque pièce est différente et qu’elle montre un certain aspect du jeu du clavier. C’est aussi pour ça que certaines sont courtes. » Et à Geneviève Soly de conclure : « Chez Bach, une pièce de musique est aussi une leçon de composition. »

En plus des deux soirées consacrées à l’interprétation des 24 préludes et fugues, la claveciniste et organiste fera une conférence introductive la veille, le 16 janvier, sur l’histoire de ce chef-d’œuvre du répertoire pour clavier. D’ailleurs, pour quel type de clavier exactement Bach a-t-il pensé son recueil? Pour le clavecin ou alors pour l’orgue? Éléments de réponse…

Ce que la partition nous révèle

« Il y a une tradition depuis le XVIe siècle qui veut que la musique soit interchangeable à l’orgue et au clavecin. En Italie, par exemple, les organistes jouant les messes de Frescobaldi n’avaient pas de pédalier. Pour un instrument avec pédalier, il fallait plutôt chercher du côté de l’Allemagne du Nord à la fin du XVIIe siècle. Or, dans Le Clavier bien tempéré, il y a beaucoup d’exemples de cette utilisation à l’orgue comme à la fin de la fugue en la mineur et à la fin de la fugue en sol majeur. Une cinquième voix se rajoute alors et c’est tout simplement impossible de tout jouer physiquement comme c’est écrit, sur un clavecin. Il est évident ici que ça prend un pédalier. »

D’autres arguments vont en faveur de l’orgue, explique Geneviève Soly, comme dans la première fugue en do majeur, écrite dans un style ancien, contrapuntique, polyphonique, sans divertissement (passage qui n’obéit pas aux règles typiques de la fugue, en l’absence du thème (sujet) et du contre-sujet). « Bien sûr, les sons tenus s’entendent mieux à l’orgue », ajoute-t-elle.

Ce qui est plus idiomatique ou résolument idiomatique du clavecin représente, selon Geneviève Soly, plus de la moitié de la collection. Ici, le choix de l’instrument s’impose, mais, pour le reste, l’interprète se donne le temps, jusqu’au concert, de réfléchir à la question de savoir quelle pièce sera jouée tantôt à l’orgue, tantôt au clavecin. « J’ai la chance de disposer des deux. C’est une collection magnifique alors je m’en prévaux tout simplement. » Parmi ces instruments, mentionnons l’orgue fabriqué par Hellmut Wolff, celui-là même qui a appartenu à Bernard et Mireille Lagacé et sur lequel Geneviève Soly a pratiqué durant toutes ses études au Conservatoire. « J’ai commencé à 14 ans, sur ce même banc d’orgue. », se souvient-elle.

L’ordre de présentation des pièces est un autre sujet qui mérite une attention particulière. Pour Geneviève Soly, on aurait tort de suivre à la lettre le livre I, surtout en concert. « Passer d’une tonalité à l’autre, c’est difficile pour l’audition. Je vais généralement à la relative majeure en faisant un diptyque majeur-mineur (tierce mineure en montant), ou alors à la dominante. »

D’autres projets musicologiques

La curiosité de Geneviève Soly pour son objet de recherches paraît insatiable. Cette passion pour l’analyse et pour l’histoire l’amène aujourd’hui à poursuivre d’autres projets qui ne demandent qu’à se réaliser. « Je suis censé m’être retirée des Idées heureuses, l’ensemble que je dirigeais depuis 35 ans, mais voilà que je commence mes projets personnels. Je me donne 20 ans pour publier enfin des articles, des livres, car mon ordinateur est plein de découvertes. »

L’interprète et musicologue a par exemple consacré plusieurs mois de recherches en vue de la préparation d’un corpus d’œuvres inconnues jusqu’alors et présenté dans le cadre de la série de concerts sur la musique en Nouvelle-France. Elle termine actuellement l’édition chez Breitkopf und Härtel des œuvres pour clavecin de Christoph Grauptner. « Dans son premier livre paru en 1717 et intitulé Partien auf das Clavier, il n’y a pas une note qui ne soit pas idiomatique du clavecin, » fait-elle remarquer en repensant au Clavier bien tempéré.

Concerts commentés, les 17 et 18 janvier (19h), et conférence, le 16 janvier (17h30), à la Salle Bourgie. Pour obtenir des billets, visitez le https://www.mbam.qc.ca/fr/activites/le-clavier-bien-tempere-premier-livre-concert-commente-1/

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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