OdM: « La Flûte enchantée » devient un film d’animation

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Que l’on aime ou que l’on n’aime pas, cette production de La Flûte enchantée de Mozart a au moins le mérite de la nouveauté. Vous n’avez jamais vu et ne reverrez sans doute pas quelque chose de pareil. Alors, rien que pour ça, on vous conseille d’aller faire un tour du côté de la salle Wilfrid-Pelletier pour l’une des trois représentations restantes, les 12, 15 et 17 mai prochain.

Le monde entier s’arrache cette production qui nous vient du Komische Oper de Berlin. Et pour cause, elle n’est qu’un film projeté sur un gigantesque écran à petites cases du type “calendrier de l’Avent”. Facilement transportable, donc, en l’absence totale de décors.

Comprenez-bien, dans cet univers, il n’y a pas de place pour la trois-dimensions, pas de profondeur au sens propre comme au figuré. L’écran faisait office de tapisserie. Les personnages, qui paraissaient minuscules en comparaison, entraient et sortaient simplement par le trou des petites cases. S’ils se déplaçaient, ce ne devait être qu’au pied de la tapisserie et toujours en interaction avec les images projetées. Imaginez un instant les contraintes imposées sur les chanteurs…

Par ailleurs, aucun mot des dialogues parlés de La Flûte enchantée n’était prononcé. Seules quelques phrases du livret étaient reproduites et animées sur fond noir. Elles ressemblaient tout naturellement aux intertitres d’un film muet. Pendant ce temps, un enregistrement usé de la Fantaisie en ré mineur de Mozart – dont on se demandait ce qu’il faisait là – leur servait d’accompagnement.

On décelait évidemment l’hommage au cinéma d’horreur des années 1920. Mais encore fallait-il ne pas perdre de vue La Flûte enchantée… Une Reine de la Nuit en araignée géante, un Sarastro en petit soldat de plomb, un Monostatos tout pâle en Nosferatu, un Papageno civilisé en complet, cravate et chapeau ? À l’évidence, les concepteurs n’avaient qu’une très vague idée de l’opéra.

Passés les angoisses profondes et l’expressionnisme allemand, on nageait en plein ridicule. Des gros cœurs tout mignons comme chez Bugs Bunny, des oiseaux gazouillants, des papillons dans le ciel… Tous les clichés de l’amour y étaient. Or, La Flûte, c’est aussi des moments de solennité, malheureusement trop souvent tournées en dérision ici. C’est tout de même un comble que la flûte enchantée ait été complètement retirée de cette production. À la place, on a eu droit à la fée-clochette sortie tout droit du Pays imaginaire de Peter Pan. Elle ne répandait plus de poussière pour faire voler son nouveau héros, Tamino, mais faisait jaillir de jolies notes de musique. Comment donc prendre au sérieux l’épreuve du feu après de telles images?

Ce que l’on a regretté le plus dans tout ça, c’est l’effacement des chanteurs devant le film. Il nous était impossible de nous identifier comme spectateurs à des personnages qui ressemblaient davantage à des pions sur un jeu d’échecs qu’à des êtres humains en chair et en os, libres de leurs mouvements.  Anna Siminska (La Reine de la Nuit) est restée perchée dans la case du haut et n’a absolument pas bougée de toute la représentation. L’animation faisait le reste. Costumé comme il l’était et à une aussi grande distance du devant de la scène, Christian Zaremba (Sarastro) paraissait tout petit et ne pouvait pas être crédible. À l’inverse, l’allure menaçante de John Robert Lindsey (Monostatos) ne convenait absolument pas à son type de voix. Quant à Brian Wallin (Tamino), Kim-Lillian Strebel (Pamina), Richard Sveda (Papageno), ils étaient tous de bon niveau, mais trop contraints par les images pour nous faire ressentir une émotion plus profonde.

Christopher Allen, à la direction musicale, a donné le sentiment d’expédier certains airs phares et numéros de l’opéra, comme s’il était en retard sur son horaire. Malgré tout, il a été très bien suivi par l’Orchestre Métropolitain, irréprochable dès l’ouverture de La Flûte enchantée.

La Flûte enchantée de Mozart.
Brian Wallin (Tamino), Kim-Lillian Strebel (Pamina), Richard Sveda (Papageno), Anna Siminska (Reine de la Nuit), Christian Zaremba (Sarastro, Sprecher), Andrea Núñez, Kirsten LeBlanc et Florence Bourget (les 3 Dames), John Robert Lindsey (Monostatos), Elizabeth Polese (Papagena), Chœur de l’Opéra, Orchestre Métropolitain, Christopher Allen. Salle Wilfrid-Pelletier, mardi 10 mai 2022. Reprises les 12, 15 et 17 mai.

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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