Composer un requiem, c’est s’approprier une part d’histoire musicale que beaucoup trouveraient lourde à porter; qu’on le veuille ou non, c’est marcher dans les pas de Mozart, de Verdi ou encore de Fauré.
François Dompierre en avait pleinement conscience lorsque Francis Choinière, chef de l’Orchestre philharmonique et Chœur des mélomanes, lui a passé la commande. Ça n’a pas empêché le compositeur québécois, 80 ans aujourd’hui, d’offrir sa propre version de la messe des morts, un mélange d’originalité et de références aux chefs d’œuvre du passé. Ce requiem était présenté en grande première à la Maison symphonique de Montréal, le 7 juin dernier.
Le Requiem de Fauré, en première partie, a donné la mesure des forces en présence. La soprano Myriam Leblanc a été dans une forme étincelante. Par sa voix de colorature et sa parfaite maîtrise des nuances, elle a chanté le célèbre Pie Jesu tout en rondeur. Le baryton Geoffroy Salvas a rivalisé en termes d’aisance et de fluidité dans le Libera me. Il donnait toutefois le sentiment de remplir un contrat, plutôt que d’interpréter une partition. Le Sanctus et l’Agnus Dei ont plutôt fait briller la masse sonore du chœur. Certains ténors ont même été emportés dans leur générosité, jusqu’à oublier de forger un son uniforme avec leurs collègues.
Au retour de la pause, François Dompierre a livré quelques éléments d’information sur son processus de composition. Il a choisi de mettre en musique 12 textes liturgiques qui, pour lui, avaient des qualités cinématographiques. À l’écoute, on avait effectivement l’impression de passer d’une scène à l’autre, parfois à l’intérieur d’un même mouvement. Dans l’Intriot, après des débuts très prometteurs dans le registre tragique, le compositeur a emmené les auditeurs vers quelque chose de plus léger, de plus rythmique. Pour un requiem, on aurait pu s’attendre à ce qu’une seule émotion soit développée plus durablement et que le caractère d’une pièce soit davantage fixé. Le Kyrie a donné lieu à un autre changement de rythme avec un motif en ostinato et plusieurs élans dramatiques.
Le public n’était qu’au début de ses surprises, dans le bon sens du terme. Le Dies irae a commencé par un piano menaçant et une articulation rythmée des paroles qui rompaient avec la tradition et insufflaient à l’œuvre un caractère très moderne. L’Agnus Dei a surpris également par ses changements de tonalités. Il nous a toutefois laissé une impression assez peu remarquable, en partie à cause des hésitations du chœur. Enfin, l’utilisation d’un tambourin dans In Paradisum était un autre élément de surprise, mais plutôt bienvenu car il questionnait nos repères. En faisant allusion à la procession des fidèles hors de l’église, Dompierre donnait à cet ultime moment de la messe une dimension au plus près du réel qui rompait avec l’angélisme de Fauré.
D’autres mouvements faisaient, au contraire, planer l’esprit d’anciens maîtres du requiem. Le Tuba mirum et le Confutatis, renvoyaient subtilement à Mozart, notamment par l’écriture vocale et le choix des voix masculines, tandis que le Libera me, par son rythme pointé, s’inspirait fortement de celui de Fauré.
Deux passages de l’œuvre ont été applaudis exceptionnellement : le Recordare, essentiellement un air pour ténor interprété avec beaucoup d’élégance par le Canadien Andrew Haji, et le rappel de l’Introit, dont la fin majestueuse a certainement ravi le public. Il ne serait pas étonnant de voir le succès du Recordare grandir tant il a captivé par son souffle lyrique et son degré d’émotion.