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Le 16 novembre dernier, l’Opéra de Montréal a fait le pari de présenter pour la première fois de son histoire récente une œuvre méconnue du répertoire français. De toute la production, le chef d’orchestre, Jacques Lacombe, était le seul à l’avoir déjà interprétée. C’est dire la rareté de ce Hamlet, signé Ambroise Thomas.
Mais quelle découverte, quelle abondance de thèmes musicaux, quel génie de l’orchestration ! Sans analyser la partition en détail, on peut d’emblée s’enthousiasmer pour le solo de saxophone, au début de la scène 2 de l’acte II, un geste aussi étonnant qu’admirable de modernité quand on sait que l’œuvre a été écrite en 1868. Cela dit, l’écriture musicale demeure résolument ancrée dans la culture de l’opéra tragique (ou l’opéra seria en Italie), caractérisée par une certaine lenteur dramatique et une solennité qui accordent beaucoup de place aux grands airs.
L’autre pari était d’offrir le rôle d’Ophélie à Sarah Dufresne. La jeune soprano colorature, formée à l’Atelier lyrique de l’OdM, avait certes déjà fait parler d’elle en remportant le deuxième prix à l’édition 2022 du Concours musical international de Montréal, mais de là à tenir tout cet opéra et affronter la redoutable scène de la folie?
Le pari s’est transformé en véritable triomphe. L’espace d’un instant, on croyait revivre l’âge d’or de l’opéra, du temps où des sopranos de légende règnaient au-dessus de l’Olympe, le monde à leurs pieds. Le plus saisissant, c’est bien sûr l’endurance de la voix, l’assurance d’une qualité maximale à tout moment, non seulement dans cette scène de l’acte IV, mais dans les autres. Preuve en est de l’acte II, où Sarah Dufresne rivalisait sans peine avec le calibre international de Karine Deshayes, mezzo-soprano française qui approche les 30 ans de carrière au plus haut niveau (Metropolitan Opera, Opéra de Paris, etc.) et constitue une prise prestigieuse pour l’Opéra de Montréal. Le ténor Antoine Bélanger, qu’on a vu plusieurs fois jouer les premiers rôles, incarnait ici un personnage secondaire (Laërte, frère d’Ophélie), mais a su attirer l’attention par son explosivité et son lyrisme vocal.
Le seul à n’avoir pas tiré son épingle du jeu est le baryton Elliot Madore. Sa voix était agréable à l’oreille et son intensité dramatique le plaçait certainement parmi les interprètes les plus investis dans leur rôle. Cette intensité provoquait parfois un essoufflement et lui faisait perdre du volume sonore. L’interprète de Hamlet s’appuyait visiblement sur les consonnes pour s’aider à mieux projeter sa voix, mais, ce faisant, il chantait en français comme on chante en allemand. Or, l’élocution n’a absolument rien à voir entre les deux langues.
Du côté de la production, Alain Gauthier avait prévenu qu’il ne s’enfermerait dans une seule époque. Les costumes de noir et d’or nous ramenait au temps de la pièce de Shakespeare, tandis que les murs de brique en guise de décors donnaient un caractère plus actuel. L’intrigue elle-même avait quelque chose de très contemporain : actions irréfléchies, fausses informations, accusations sans fondements, désintérêt amoureux, détresse affective…
Le metteur en scène a accompagné la lenteur dramatique évoquée précédemment par des déplacements de personnages souvent au pas de sénateur. De ce point de vue, l’ajout de scènes non écrites aux numéros orchestraux est à mettre à son crédit. Elle permettait d’éviter les temps morts et de continuer à faire vivre le drame. Dès le prélude, on a vu ainsi la reine Gertrude et le prince Hamlet se recueillir à tour de rôle sur la tombe de feu le Roi, placé à l’intérieur d’un cube qui, comme l’a précisé le metteur en scène en entrevue, servait de porte vers d’autres dimensions (précisément, entre le monde des vivants et celui des morts). Lors du solo de saxophone précédant l’accusation d’Hamlet contre son oncle Claudius, le prince a été le seul à se mouvoir dans la pénombre pendant que tous les autres personnages restaient figés, une manière de projeter visuellement ses intentions funestes, à l’insu de tous, et de renforcer un peu plus son isolement.
Bien que fidèle, dans l’ensemble, à l’œuvre de Thomas, la mise en scène a offert une mort d’Ophélie étrangement tournée vers les cieux, comparable à celle de Marguerite dans le Faust de Gounod. Or, le livret, comme la pièce originale, indique explicitement une coulée dans les profondeurs du lac bleu. Ophélie disposant sur le sol des branches de romarin sauvage était peut-être ce qu’il y avait de plus proche d’un cours d’eau. On peut néanmoins regretter cette endorse à l’iconographie du personnage.
Mentionnons l’excellente prestation du Chœur de l’Opéra de Montréal, grâce notamment à des ténors très en voix. Par ses scènes de grands rassemblements, la partition lui donnait toutes les occasions de briller. Espérons ne pas attendre encore 100 ans pour réécouter cet opéra à Montréal !
Hamlet d’Ambroise Thomas. 16 novembre, à la salle Wilfrid-Pelletier. Prochaines représentations les 19, 21 et 24 novembre. Pour obtenir des billets, visitez le www.operademontreal.com
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