Lors d’une causerie pré-concert avec l’animateur et conférencier Maurice Rhéaume, le 13 avril dernier, Lucas Debargue parlait de l’importance d’une interprétation radicale, expérimentale, qui ne ressasse pas les mêmes formules et ne soit pas dans l’imitation de tel ou tel jeu pianistique.
Cette vision autonome de l’artiste se manifestait d’abord par le choix des œuvres au programme de son récital présenté dans le cadre de la série « Cartes blanches » de la Société Pro Musica : un répertoire essentiellement français, constitué de pièces bien connues de Ravel et d’autres, plus rares, de Fauré, réputé davantage pour ses mélodies avec accompagnement au piano que ses œuvres pour piano seul. À cela s’ajoutaient la création d’une Suite en ré mineur de l’interprète lui-même, débutant solennellement par une ouverture à la française, et la Sonate no 3 en fa dièse mineur de Scriabine, compositeur certes russe, mais grandement inspiré par la musique de Debussy.
Certaines pièces de Fauré, comme la Mazurka en si bémol majeur, l’Impromptu no 5 et la Valse caprice no 4, très bondissantes, ont permis d’apprécier la fibre communicative de Debargue et son désir de faire vivre au public une expérience de concert hors de l’ordinaire. Sous ses doigts, la musique a pris beaucoup de relief.
Toute originalité n’est pas bonne à prendre, toutefois. Le Nocturne no 12, toujours de Fauré, a semblé être joué avec une surabondance de pédale, ce qui a fait perdre de la définition au contour mélodique et aux montées crescendo. Dans la Barcarolle no 9, le détachement particulièrement prononcé du thème à la main gauche avait quelque chose de presque baroque, au-delà même de l’écriture polyphonique de la pièce. On se serait attendu ici à un jeu un peu moins marqué, plus en fluidité.
Sans le savoir, cette barcarolle allait néanmoins offrir au public un avant-goût de la Suite en ré mineur : influence baroque clairement explicite, au point de manquer de subtilité, et répétition obsessive d’un motif continuellement ascendant comme chez Fauré. Pour l’interprète, le fait de composer était, selon ses termes, un moyen de se familiariser avec les procédés d’écriture des compositeurs auxquels il disait vouloir rendre hommage.
Il fallait donc y voir une réflexion de l’artiste sur les œuvres au programme, adoptant consciemment ou inconsciemment plusieurs de leurs éléments musicaux. On peut seulement regretter que cette suite n’ait pas eu davantage à offrir qu’une sélection d’idées musicales sans grand développement ou expansion du matériau d’origine, aussi bref soit-il. De plus, le pianiste a maintenu une atmosphère pesante, martiale, pendant toute la durée de son œuvre – et pas seulement au moment du « menuet guerrier » – alors que celle-ci aurait certainement mérité des passages plus aériens comme dans la Sonate no 3 de Scriabine. Cela dit, les deux dernières pièces du programme était animée du même feu.
En guise de rappel, Debargue a offert sa propre transcription d’Après un rêve de Fauré avec, là encore, un thème vigoureux développé à la main gauche et une main droite plus délicate. Il est revenu sur la scène de la salle Pierre-Mercure pour une dernière improvisation de son cru.
Prochain concert de la série « Cartes blanches » : Sergey et Lusine Khachatryan, violon et piano, le 18 mai à 15h à la salle Pierre-Mercure. Pour plus de détails, visitez le site web de la Société Pro Musica, https://promusica.qc.ca/