Critique | Il Trovatore à l’Opéra de Québec : un Manrico en maître jedi

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À l’approche de la première d’Il Trovatore à L’Opéra de Québec, samedi 17 mai dernier, on annonçait une production inspirée de la science-fiction, de George Lucas à Denis Villeneuve en passant par Luc Besson. Si la quête de vengeance d’Azucena pouvait prendre des proportions aussi grandes que celle du père de Luke Skywalker ou de la mère de Paul Atréides, l’autre grand thème de l’opéra – l’amour charnel – rejoignait davantage l’intrigue du Cinquième Élément.

Le metteur en scène Jean-Sébastien Ouelette a préféré en rester aux clins d’œil amusants, sans pousser plus loin les références. Manrico n’avait rien d’un jedi de la saga Star Wars – certainement pas la tempérance, encore moins le renoncement des liens affectifs avec ses proches – mais il en avait tous les attraits. La garde du comte de Luna portait un uniforme semblable à celui des officiers de l’Empire, ennemi des rebelles, tandis que les religieuses avaient une tenue ample d’un blanc immaculé dont l’inspiration était à chercher plutôt du côté de Dune. Les longues mèches emmêlées de Leonora rappelaient celles de la cantatrice extraterrestre dans Le Cinquième Élément, qui d’ailleurs exerce une fascination sur le héros principal. Azucena, quant à elle, était affublée d’un grand cercle rouge au-dessus de la tête, aussi inquiétant que celui qu’on peut voir derrière le bureau de Zorg. Fallait-il y voir une autre allusion au film de Besson? Quoiqu’il en soit, avec sa coiffe imposante, sa robe richement garnie et ses ongles pointus, Azucena avait tout l’air d’une Reine de la Nuit. 

Dans l’ensemble, cette production avait quelque chose d’assez comique. Elle n’était pas la plus soignée que nous ayons vu à Québec, mais elle avait au moins l’avantage de proposer une vision originale, de jouer avec nos habitudes, et de détendre l’atmosphère de cette tragédie. 

Crédit : Jessica Latouche

 L’esthétique des décors était, elle, à prendre incontestablement au sérieux. Des paysages de différentes planètes étaient projetés sur écran, parfois même sous une forme géométrique comme si le point de vue était pris de l’intérieur d’une enceinte. Ces projections futuristes, témoins que l’univers entier était peuplé de sociétés et de races diverses, incluaient toute une série de titres, offrant ainsi un parallèle entre la structure d’un film de science-fiction et celle d’un opéra, découpé exceptionnellement en « épisodes » et non pas en actes. Les résumés de l’intrigue reproduits sur le même écran, en plus de s’approprier une caractéristique du cinéma de science-fiction, renforçait les qualités de l’opéra en tant qu’œuvre appartenant au genre fantastique. 

Au fil de la soirée, toutefois, l’absence de mouvement ou de coordination entre les chanteurs ont fait perdre du rythme à certaines scènes. La chorégraphie des combats de sabres laser, notamment, auraient mérité d’être mieux travaillé en amont. On aurait aussi aimé que la mise à mort de Manrico soit mieux amenée, plus honorable, au lieu d’un simple tir de blaster sans prévenir. 

Car oui, disons-le, Manrico méritait tous les honneurs ! La venue du ténor Christophe Berry est un coup de maître de Jean-François Lapointe, directeur artistique de l’Opéra de Québec jusqu’en janvier dernier. Son art du phrasé, son timbre claironnant, son aisance de l’aigu, sa générosité sur scène… tout était remarquable chez cet interprète. Aussi émouvant dans « Ah si, ben mio » que féroce dans « Di quella pira », il rivalisait en volume avec les voix combinées de la soprano et du baryton, ce qui est certainement quelque chose qu’on n’avait encore jamais entendu à ce niveau dans un passé récent. La durée du fameux contre-ut impressionne, mais c’est d’abord l’expressivité et la passion du chant qui ont illuminé sa prestation.

Crédit : Jessica Latouche

Irina Stopina a incarné Leonora avec profondeur et émotion, formant une belle alchimie avec son partenaire de scène et apportant des nuances intéressantes à sa palette d’interprète. Ses nombreuses présences requises dans le dernier acte ont laissé place à une certaine fatigue vocale, compensée heureusement par une bonne connaissance de son instrument et une intelligence de jeu. Elena Gabouri, qui faisait elle aussi ses débuts avec la compagnie, a mis énormément de cœur dans le rôle d’Azucena. Ses aigus étaient bien étoffés, mais dès qu’elle atteignait les notes plus graves, sa voix perdait en timbre et en homogénéité, au point qu’elle fît entendre deux couleurs distinctes et de qualités inégales. Hugo Laporte, en comte de Luna, a chanté avec aisance et beauté, mais n’a pas donné grande vie à son personnage, manquant de musicalité dans « Il balen del suo sorriso » et égrenant machinalement ses répliques.            

Les chœurs d’hommes et de femmes ont assuré de belles présences, tout comme l’Orchestre symphonique de Québec sous la direction de Federico Tibone, dans un rôle plutôt cantonné à l’accompagnement. 

Après Il Trovatore, on attend avec impatience de voir d’autres chefs-d’œuvre de Verdi – plus politiques, comme Macbeth et Don Carlo – adaptés en science-fiction, où le Bien et le Mal se livrent un combat épique ! 

Prochaines représentations les 20, 22 et 24 mai au Grand Théâtre de Québec. Pour acheter des billets, visiter le https://operadequebec.com/quoi-faire/il-trovatore

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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