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Le congédiement de la directrice générale et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), Nathalie Bondil, aura été l’un des feuilletons de l’été. Derniers rebondissements à ce jour : la désormais ex-directrice générale poursuit devant les tribunaux le Conseil d’Administration du MBAM pour 2 millions de dollars de dommages et intérêts; Michel de la Chenelière, président du CA, a été contraint de démissionner et est remplacé par Pierre Bourgie. Encore récemment, dans une lettre ouverte datée du 11 août, plus de 100 employés et ex-employés ont témoigné du climat de travail malsain qui, selon eux, était entretenu depuis quelques années par la direction du Musée. Ils ont également dénoncé les tentatives de déstabilisation du conseil du Encore récemment, dans une lettre ouverte datée du 11 août, plus de 100 employés et ex-employés ont témoigné du climat de travail malsain qui, selon eux, était entretenu depuis quelques années par la direction du Musée. Ils ont également dénoncé les tentatives de déstabilisation du CA.
Le professeur Daniel Beaupré, de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, continue de mener son audit externe à la demande du ministère de la Culture et des Communications du Québec. Il doit faire la lumière sur les événements ayant abouti à la rupture du contrat de Mme Bondil et se prononcer sur les questions de gouvernance. D’emblée, la ministre de la Culture, Nathalie Roy, avait pris fait et cause pour l’ancienne directrice générale. « Le MBAM, c’est Nathalie Bondil », avait-elle déclaré. De son côté, Michel Nadeau, membre du comité de gouvernance et administrateur de la Fondation du MBAM, dénonçait dans un article l’action de l’ancien président du CA, Michel de la Chenelière, qui selon lui se serait immiscé dans les affaires courantes du musée. L’intéressé dément toute tentative d’ingérence et contre-attaque : « Comment peut-on prétendre être un défenseur des grands principes de gouvernance […] tout en faisant fi des graves problèmes de gestion à l’intérieur des murs du Musée ? »
Le contrat de Mme Bondil a pris fin brutalement, le 13 juillet dernier, à la suite d’un rapport accablant sur le climat de travail au musée. Malgré les faits graves qui lui sont reprochés, on peut penser que l’ancienne directrice générale ne méritait pas un tel sort. Elle était en poste depuis 2007, mais elle avait au préalable effectué huit années de bons et loyaux services au sein de l’institution. Au-delà même de ses 21 ans d’ancienneté, Nathalie Bondil était un symbole à double titre : une femme à la tête d’une grande institution et une Française qui avait permis, grâce à ses contacts outre-Atlantique, au MBAM de rayonner à l’international.
Certains ont parlé de lynchage médiatique et de harcèlement au sujet de Mme Bondil. Pourtant, si harcèlement il y a, celui-ci est davantage à chercher du côté de la direction du musée.
Les témoignages sont sans équivoque. Certains racontent s’être « fait engueuler devant tout le monde », d’autres se sont « fait crier dessus, près du visage ». « La terreur, la peur, le “tu te fermes la bouche”, ça ne devrait pas exister en 2020 », conclut une ex-employée. Le syndicat du MBAM en aurait informé les instances internes appropriées à plusieurs reprises. Face à l’inaction de la direction, il aurait alors interpellé le conseil qui, dès le mois d’octobre 2019, mandate la firme Cabinet RH pour étudier la situation. Présenté en février 2020, son rapport préconise notamment la création d’un poste de directeur à la conservation afin de délester la directrice générale et conservatrice en chef d’une partie de ses responsabilités.
En entrevue, le lendemain de l’annonce de son congédiement, Mme Bondil a affirmé qu’un accord avait bel et bien été trouvé au sujet d’une réorganisation stratégique du MBAM, contrairement à ce que le CA avait pu laisser entendre en l’accusant d’être « inflexible ». En revanche, des désaccords sont apparus lors du processus de recrutement. Le comité de direction soutenait une autre candidature que celle de Mary Dailey Desmarais, jugée « junior » (comprendre : expérience professionnelle insuffisante par rapport aux autres candidats), mais c’est pourtant cette dernière qui a été retenue. Est-ce à dire que le conseil d’administration a imposé son nom au poste – nouvellement créé – de directrice de la conservation ? Chose certaine, Mme Desmarais n’a pas été parachutée à ce poste sans motif valable. Comme l’indique son profil LinkedIn, elle est conservatrice invitée depuis 2014 et conservatrice chargée de la collection d’art moderne international du musée depuis 2015. Les questions de conflits d’intérêts ou, pire, de collusions entourant la candidate, si ceux-ci sont avérés, auraient donc pu se poser bien avant aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, les conditions de cette promotion ont suscité des remous.
Une situation jugée « inquiétante »
La gouvernance du MBAM est fortement remise en cause, non seulement par Nathalie Bondil, mais par bon nombre de responsables haut placés. Le Conseil des arts du Canada a d’ores et déjà suspendu son soutien financier dans l’attente de réponses claires aux interrogations qui pèsent sur la gestion du CA. À terme, l’institution pourrait perdre le financement de 450 000 $, octroyé chaque année par le CAC pour le fonctionnement du musée. De plus, après s’être engagé à verser 10 millions $ pour la construction d’une nouvelle aile consacrée aux œuvres de Jean-Paul Riopelle, le gouvernement du Québec souhaite désormais récupérer sa subvention, d’après une information parue dans Le Devoir. Des solutions avaient pourtant été trouvées par l’administration, en accord avec les représentants syndicaux, ce qui envoyait plutôt un signal encourageant. Ainsi, il semble que les décisions gouvernementales interviennent avec un temps de retard sur la réalité vécue au sein de l’institution et qu’elles replongent le MBAM dans l’incertitude.
Coda
Certes, aux yeux du CA, la décision de congédier Mme Bondil s’imposait, mais le fait que l’intéressée ait de toute évidence subi cette décision, qu’elle ne puisse pas au moins sortir par la grande porte, explique en bonne partie la levée de boucliers à laquelle nous avons assisté. C’est maintenant au CA et à son président de passer au banc des accusés.
Nathalie Bondil, Mary Dailey Desmarais et Michel de la Chenelière jouent tous les trois leur réputation dans cette affaire. En ces temps troublés de dénonciations publiques, rappelons que ce n’est pas parce que l’on est « l’épouse de » ou « l’héritier de » que notre réputation vaut moins que les autres. À ce stade, la seule qui devrait primer et nous préoccuper collectivement est la réputation du MBAM.
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