Chants libres & Oktoecho: Création de Sainte Marine

0

This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)

Chants libres

Création de Sainte Marine

par Justin Bernard

Il arrive que des histoires anciennes, attribuées à des figures parfois méconnues, soient criantes de modernité. C’est le cas de sainte Marine, dite Marine la Déguisée, une femme qui a consacré sa vie à Dieu malgré les épreuves et les regards portés sur elle.

Après le décès de sa mère, son père décide de la déguiser en garçon et de l’emmener au monastère de Quannoubine, au Liban, réservé pourtant aux hommes. À la mort de celle qui se fait appeler « frère Marin », la communauté découvre qu’il s’agit en réalité d’une femme. Sa vie, pleine de péripéties, aura été profondément marquée par une fausse accusation de viol à l’encontre de la fille d’un aubergiste. Marine, qui préfère cacher sa véritable identité, reconnaît les faits et est contrainte d’élever seule, dans la honte, l’enfant né de cette union forcée.

Le sujet n’interpellait pas seulement la compositrice Katia Makdissi-Warren en raison de la question des femmes et de la condition féminine, mais il était déjà ancré en elle depuis longtemps. « Tout a commencé avec Marie-Annick Béliveau, chanteuse de musiques contemporaines extraordinaire et directrice artistique de Chants Libres, dit-elle. Quand elle m’a parlé d’une création d’opéra, je suis allée chercher dans mes sources maronites (chrétiennes d’origine syrienne, NDLR). Ma mère est maronite, j’ai vécu dans cette culture quand j’étais petite. J’ai trouvé un thème solo pour Marie-Annick, qui est celui de sainte Marine. »

Musicalement aussi, Katia s’est rapprochée de ses origines. « Quand j’ai étudié la musique syriaque avec le père Louis Hage, qui était lui-même parti étudier cette musique dans différents villages de la région, j’avais beaucoup entendu parler de saint Ephrem. En m’intéressant à son histoire, il m’est apparu comme quelqu’un de très moderne, même d’après les standards d’aujourd’hui. En effet, il avait fondé une chorale de femmes pour chanter à l’église. Il avait incorporé des instruments alors que ceux-ci ont été ensuite interdits. Quand on lit ses textes, on trouve aussi une notion très proche de la nature. Ça me parle énormément. Que l’on soit croyant ou non, il y a une connexion avec notre monde actuel sur ces sujets. »

En outre, la compositrice rappelle que sainte Marine a vécu au Ve siècle, soit une cinquantaine d’années après la mort de saint Ephrem. Ce fait historique ne pouvait qu’avoir une incidence sur ses choix artistiques. « Dans la liturgie maronite, des textes remontent à cette époque-là. On peut donc supposer que Marine entonnait des chants très semblables à ceux du vivant de saint Ephrem. J’ai voulu explorer ce lien dans ma musique, qui demeure ici très imprégnée de musique maronite. Cela dit, j’ai la chance de travailler avec des musiciens extraordinaires, de toutes les cultures, alors le métissage fait inévitablement partie de mon langage. »

Marie-Annick Béliveau. Photo: Laurent Guérin

Marie-Annick a eu l’idée de présenter l’opéra à la Satosphère de la Société des arts technologiques afin de créer une expérience immersive. C’est encore elle qui a pensé à la spatialisation des scènes un peu partout sous le dôme, tandis que Katia réfléchissait à la spatialisation des instruments et de la musique. « Le son voyagera beaucoup autour du public. Même si on est un petit groupe, les musiciens se déplaceront un peu partout. Il y aura un joueur de ney (flûte persane), Marie-Hélène Breault à la flûte, Bertil Schulrabe aux percussions, Pamela Reimer au piano et un chœur de trois voix basses. Les chanteurs joueront des percussions aux quatre coins de la salle et créeront ainsi des ambiances sonores plus immersives. »

Katia Makdissi-Warren entend ouvrir l’opéra à une participation vocale du public. « Nous resterons dans un monde plus acoustique qu’électro. Il y aura également des projections créées par Charlie Poirier-Bouthilette », prévient-elle. Elle a déjà composé des œuvres avec des éléments de spatialisation, dans des musées ou des installations par exemple, mais en ce qui concerne l’opéra, ce sera une première.

Sainte Marine. Coproduction de Chants libres et d’Oktoecho, en collaboration avec Normal Studio et le Festival du monde arabe. Du 9 au 11 novembre à la Satosphère de la Société des arts technologiques. www.chantslibres.org

This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)

Partager:

A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

Les commentaires sont fermés.