Bernard Labadie dirige le Requiem de Mozart

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Après plus d’un mois et demi de reconfinement et quelques concerts « intimes » à la salle Bourgie, les Violons du Roy peuvent de nouveau se déployer comme ils l’entendent. Les 6 et 7 mai, ils accueillent un soliste étranger, Nicolas Altstaedt, pour la série de concerts Un violoncelle par-delà les frontières. Les 26 et 28 mai, ils unissent leurs forces avec I Musici de Montréal, sous la direction de Jean-François Rivest, et renouent ainsi avec le bal des collaborations entre orchestres et musiciens. Mais avant, un autre grand retour est attendu, celui de l’ancien chef des Violons du Roy, Bernard Labadie, et de son chœur La Chapelle de Québec dans trois concerts les 21, 22 et 24 avril.

La dernière fois qu’il s’est s’exprimé dans nos pages, c’était pour un Messie de Haendel (décembre 2019). Cette fois, il nous revient avec le Requiem de Mozart. Bernard Labadie s’est intéressé de près au lien de parenté qui unit les deux chefs-d’œuvre. « Dans tout ce qui est contrapuntique, on ressent l’influence du Messie de manière évidente, encore plus que celle de Bach. L’exemple qui me vient en premier est le sujet de fugue du Kyrie, emprunté directement au chœur And with his stripes. La signature ne fait aucun doute puisqu’on entend les mêmes intervalles au début. Pour moi, c’est clairement un hommage [de Mozart à Haendel]. »

Quelle version choisir ?

Le Requiem de Mozart fascine autant par son art du contrepoint que par son caractère inachevé. Il a fait l’objet de nombreux achèvements dont la qualité est parfois discutable. Bernard Labadie préfère – et de loin – celui de Robert Levin, musicologue et grand spécialiste de la musique mozartienne. « Je l’ai entendu pour la première fois en 1991 au festival Mozart de l’Académie Bach à Stuttgart. J’étais dans la salle lorsque Helmut Rilling l’a dirigé. J’ai été subjugué par cette version que je trouve infiniment plus satisfaisante que toutes les autres, com-plétées ou révisées. Pour moi, la version de Robert Levin est vraiment idéale dans les circonstances, à savoir que l’on n’aura malheureusement jamais de version terminée par Mozart lui-même. Tous ses choix reposent sur une connaissance intime non seulement de la musique de Mozart, mais de la pratique musicale du temps. À ce sujet, il est intéressant de lire la préface de l’édition de Robert. On peut avoir des réserves sur la réalisation musicale de certaines choses, ce qui n’est pas mon cas, mais du point de vue musicologique, scientifique, c’est absolument inattaquable. C’est donc la seule version que je dirige désormais. »

Qu’en est-il de l’achèvement de Süssmayer, pourtant l’élève du compositeur ? Labadie rétorque : « Cette version est indigne de Mozart. C’est d’une lourdeur qui n’a rien à voir avec lui. Les soudains éclairs de génie, je n’y crois pas. Le sujet de la fugue de l’Hosanna a énormément de possibilités, mais il est très mal développé par Süssmayer. On peut donc penser qu’il a eu accès à certains éléments transmis par Mozart. »

Un Amen à découvrir

L’une des originalités de Robert Levin est d’avoir composé un Amen en forme de fugue à la fin de la Séquence à partir d’une simple esquisse de Mozart. « D’autres l’ont fait avant lui, mais sa réalisation est esthétiquement beaucoup plus juste et musicalement plus intéressante. D’après les lettres de Süssmayer, on a longtemps cru qu’il ne restait plus aucun matériel. Pourtant, dans les années 1960, une page d’esquisse de Mozart est réapparue avec le sujet de cette fugue et son contre-sujet, sans texte. On peut le rattacher au Requiem, car il est basé sur le sujet d’une autre fugue dans l’Introït. On retrouve ici un lien thématique comme Mozart en faisait beaucoup vers la fin de sa carrière. »

Le Requiem, un opéra sacré ?

Bernard Labadie demeure toujours aussi admiratif de cette œuvre. « Pour moi, c’est son dernier opéra. Quand on connaît la fascination de Mozart pour la mort, qu’il a exprimée par le prisme de certains personnages d’opéra – je pense à Don Giovanni, évidemment –, on se dit qu’il n’y a pas de sujet plus opératique chez lui. Pas besoin de penser que c’est sa propre mort qu’il met en musique. Les liens entre Don Giovanni et le Requiem vont bien au-delà. Il y a l’usage des trombones, la tonalité de mineur, la disparition de Don Giovanni en enfer qui nous amène déjà au monde sonore du Requiem. Le fait que Mozart ait réussi à faire une œuvre aussi opératique tout en rendant hommage à la musique sacrée de ses prédécesseurs, c’est un tour de force absolument admirable, une espèce de synthèse inachevée malheureusement, mais tout de même une synthèse entre l’univers du compositeur d’opéra et celui du compositeur d’église qu’il a été pendant une grande partie de sa vie. »

Un autre Mozart

À cette série de trois concerts, l’orchestre de chambre de Québec fera également entendre pour la première fois de son histoire deux œuvres originales du répertoire classique : la maçonnique Meistermusik de Mozart, qui inclut un chœur d’hommes dans sa partie centrale, et la Symphonie en do mineur, dite « Funèbre », du méconnu Johann Martin Kraus, exact contemporain de Mozart (1756-1792). « À un certain nombre d’endroits, des motifs se ressemblent étrangement. Je ne dis pas que Kraus s’est inspiré de Mozart, mais pour moi, il y a une parenté évidente. J’ai donc choisi de donner ces œuvres l’une à la suite de l’autre en passant directement du dernier accord en do majeur de la Symphonie funèbre de Krauss au premier accord en do mineur de la Meistermusik de Mozart. Ces deux œuvres se parlent et traitent de la mort. Le lien avec le Requiem n’est pas difficile à établir. »

www.violonsduroy.com 

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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