This page is also available in / Cette page est également disponible en:
English (Anglais)
-
Red Shift Records5
i love evil
Dory Hayley, soprano
Red Shift Records, 2025
i love evil est un coffret de deux disques. Le premier contient le monumental Three Voices de Morton Feldman. Il s’agit d’une œuvre de 67 minutes pour soprano, Dory Hayley, dans laquelle la même chanteuse interagit en direct avec deux enregistrements d’elle-même interprétant d’autres parties du même morceau. Le deuxième disque contient quatre pièces plus courtes de compositeurs contemporains inspirés par Feldman et utilisant les mêmes forces, à savoir Hayley à la puissance trois.
Three Voices laisse entendre des fragments du poème « Wind » de Frank O’Hara : « Who’d have thought that snow falls […] snow whirled, nothing ever fell (Qui aurait cru que la neige tombe […] la neige tourbillonnait, rien ne tombait jamais) ». Les paroles font apparemment référence à un enfant observant une boule à neige avec son ours en peluche. Le texte n’apparaît réellement qu’à partir de la 27e minute. Jusqu’à ce moment, il s’agit d’une succession de monosyllabes dont le timbre, la hauteur, le tempo et la densité changent constamment. Je pense qu’il s’agit seulement d’un remixage. Je ne crois pas que la voix enregistrée ait été modifiée électroniquement, la capacité à produire une telle complexité étant d’autant plus surprenante.
Pendant la seconde demi-heure, nous avons droit à différentes interprétations du texte et de ses fragments, avec beaucoup de variations dans les couleurs et la texture sonore. Les dix dernières minutes offrent une sorte de résolution avec une reprise (ou presque) d’une partie de l’introduction, suivie d’un passage où les mots disparaissent dans les répétitions jusqu’à ce que le son s’estompe sur les paroles « snow falls ». Pour une œuvre électronique de cette ampleur, elle semble étonnamment naturelle, les trois voix profitant de l’acoustique de l’église anglicane St. Paul’s à Vancouver. C’est un morceau exigeant tant pour la chanteuse que pour l’auditeur, mais il exerce une sorte d’attraction hypnotique.
XYZ, de Jordan Nobles, est une pièce de 10 minutes qui a débuté comme un projet vidéo où chaque voyelle monosyllabique était accompagnée d’un gros plan du visage de Hayley. Pour l’audio, quelques lignes supplémentaires ont été ajoutées et le tout est enregistré en plusieurs pistes avec une abstraction vocale et une spatialisation assez extrêmes.
Shadow/Light pour soprano multipiste et électronique en direct de Katerina Gimon met en musique trois de ses propres poèmes écrits pendant la pandémie. Storm and Silence est très riche en matériel électronique avec des voix éthérées. C’est assez dense. En revanche, Time Soup est assez percussif avec la répétition martelée du texte « I think (Je pense) ». Les voix sont aiguës et claires, l’ensemble est très spatialisé. C’est très rythmé par moments, mais le son se fait plus chaotique. New Light est différent : assez doux et lyrique, évoquant des vagues.
Rodney Sharman était un élève de Feldman. Son œuvre Scenes from Macbeth reprend des passages du texte des sorcières et les adapte pour soprano multipiste, utilisant la voix et les percussions corporelles. Les quatre mouvements sont un mélange de longues lignes mélodiques et de passages plus théâtraux, tous accompagnés de percussions corporelles et d’effets électroniques. Également enregistrée à St. Paul’s, l’œuvre ressemble davantage à un enregistrement en studio que celle de Feldman.
La dernière piste est peut-être la plus étrange. Il s’agit de How weird he must think the world is, de Cassandra Miller. Assez longue (21 minutes), elle prend pour point de départ l’imitation par la chanteuse d’un enregistrement pour banjo et voix. Ses réflexions sur son processus sont enregistrées entre chacune des multiples prises. Le tout est ensuite fragmenté, fortement retravaillé et reconstitué. Parfois, c’est presque mélodique, parfois conversationnel, parfois grinçant et aigu, et à un moment, cela ressemble au râle d’agonie d’une personne étranglée. Hayley imagine ce que ce doit être pour son bébé. D’où le titre !
Tous les enregistrements ont été réalisés en 2020. Ceux de Feldman et Sharman ont été enregistrés à St. Paul’s, les autres au Telus Studio Theatre de l’Université de Colombie-Britannique. La qualité technique est excellente, comme il se doit. L’enregistrement est disponible sous forme de coffret de deux CD, en MP3, en format numérique sans perte à résolution standard et sur les plateformes de diffusion. Je l’ai écouté en format numérique 441 kHz/16 bits.
C’est vraiment une réalisation extraordinaire de la part de Hayley et de ses collaborateurs. Je ne peux imaginer une meilleure interprétation de ces morceaux, mais tout le monde ne sera pas partant pour deux heures de soprano multipiste mêlé à l’électronique !
Traduction : Charles Angers
This page is also available in / Cette page est également disponible en:
English (Anglais)