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Fuga Libera4.5
Foccroulle/Jocelyn : Cassandra
Katarina Bradić, Susan Bickley, mezzo-sopranos; Jessica Niles, Sarah Defrise, sopranos; Paul Appleby, ténor; Joshua Hopkins, baryton; Gidon Saks, baryton-basse; Orchestre symphonique de la Monnaie et Chœur de la Monnaie, Kazushi Ono, chef
Fuga Libera, 2025
Cassandra est un opéra de 2023 avec prologue et treize scènes, composé par Bernard Foccroulle, sur un livret de Matthew Jocelyn. Il mêle l’histoire de la Troyenne Cassandre, telle que racontée par Eschyle et d’autres, à celle de Sandra, une climatologue qui vient de terminer son doctorat sur la fonte des glaces en Antarctique. Deux femmes, donc, porteuses d’un message aussi pertinent qu’horrifiant que personne ne veut croire. Il y a une dichotomie secondaire entre Sandra, scientifique, observatrice, persuasive, et son amant Blake qui est un écoactiviste, mais aussi un tenant du classicisme.
L’opéra est très intelligemment structuré, avec des scènes de la vie des deux femmes et de leurs familles qui s’entremêlent jusqu’à ce que, finalement, elles se rencontrent et que Sandra se rende compte qu’aucun dieu ne la réduira au silence. Les parallèles entre les familles des deux femmes sont également intéressants, leurs pères et mères respectifs étant interprétés par les mêmes chanteurs.
Priam et Hécube se rendent compte que leur histoire, telle qu’elle a été écrite par les poètes, correspond exactement à la prophétie de Cassandre, tandis qu’Alexander, le père de Sandra, cadre dans l’industrie minière, et sa mère Victoria ne reniflent qu’une bonne affaire dans un Antarctique dépourvu de glace. Les profits l’emportent toujours sur les prophètes. Il y a aussi des rebondissements intéressants et de grandes surprises, mais je n’en dévoilerai pas trop.
Musicalement, c’est à peu près ce que j’attends d’un opéra moderne d’Europe continentale. La partition est essentiellement atonale, mais l’écriture orchestrale est très atmosphérique et texturée, avec beaucoup de percussions accordées. Le lyrisme n’est pas en reste. La ligne vocale est généralement simple et modère ses transports. Le texte est clairement audible et vu que tous les membres de la distribution ont une excellente diction anglaise, je n’ai pas eu besoin de me référer au livret.
Un lien ludique opère également entre le texte et l’histoire musicale : cette surface de glace dont Sandra étudie la disparition s’appelle la « barrière de glace de Bach », entourée du cap Berlioz, de l’anse Stravinski, etc. Et qui voudrait vivre dans un monde privé de Bach ? On retrouve ainsi pratiquement nos repères dans le chœur qui chante la cantate du maître baroque allemand Ach wie flüchtig, ach wie nichtig (« Oh comme c’est éphémère, oh comme c’est futile »).
La distribution de l’enregistrement est bien choisie. Le mezzo sombre de Katarina Bradić dans le rôle de Cassandre contraste joliment avec les tons plus clairs de Jessica Niles dans le rôle de Sandra. Le ténor lyrique de Paul Appleby fait un Blake séduisant. Gidon Saks, dans le rôle des pères, et Susan Bickley, dans celui des mères, varient joliment leur débit pour suggérer deux personnages différents, mais apparentés.
S’il y a un méchant, c’est Josh Hopkins, dont le baryton stentor se dédouble en l’Apollon qui a maudit Cassandre et en l’homme de main qui perturbe la défense de la thèse de Sandra. Sarah Defrise fait également une brève apparition dans le rôle de la sœur de Sandra, plutôt insipide. Curieusement, c’est elle qui a droit à la musique la plus spectaculaire.
C’est à peu près tout ce que j’attends d’un opéra moderne. L’histoire est passionnante, importante et magnifiquement élaborée. La musique est complexe, texturée, émotionnellement appropriée, lyrique et très accessible à toute personne relativement ouverte d’esprit. On est loin de « l’opéra tiré du film tiré du livre » que l’on voit trop souvent en Amérique du Nord.
L’enregistrement en direct a été réalisé à la Monnaie de Bruxelles en 2023, avec l’orchestre et le chœur locaux, sous la direction experte de Kazushi Ono. L’interprétation est bien transmise, avec une clarté et un équilibre réaliste entre les voix et l’orchestre. Offert en disque double et en version numérique au format MP3 ainsi qu’en FLAC/ALAC/WAV 44,1 kHz/16 bits. J’ai écouté la version WAV. Un livret avec des notes éclairantes et un synopsis accompagne la parution (aussi en version téléchargeable).
Traduction : Andréanne Venne
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