Les Prix Azrieli de musique 2024

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Les compositeurs Yair Klartag, Josef Bardanashvili, Jordan Nobles et Juan Trigos sont les lauréats des Prix Azrieli de musique 2024, désignés par la Fondation Azrieli. Ce concours biennal vise à découvrir, élever et amplifier les voix artistiques qui font preuve d’excellence. Cette année, Klartag a reçu la commande Azrieli pour la musique juive; Bardanashvili, le prix Azrieli pour la musique juive; Nobles, la commande Azrieli pour la musique canadienne et Trigos, la toute première commande Azrieli pour la musique internationale – un prix créé pour promouvoir une meilleure compréhension interculturelle.

Chaque compositeur recevra un prix d’une valeur de plus de 200 000 dollars canadiens, y compris un prix en espèces de 50 000 dollars et une première mondiale de l’œuvre primée à la Maison symphonique de Montréal le 28 octobre avec des membres de l’Orchestre symphonique de Montréal et le Chœur de l’OSM sous la direction d’Andrew Megill. Le prix comprend également deux représentations internationales subséquentes et un enregistrement professionnel.

Le jury de cette année était composé de Chaya Czernowin, Tania León, Neil W. Levin, Samy Moussa, Gerard Schwarz et Ana Sokolović.

Yair Klartag : Exploration de la jonction entre rationalisme et mysticisme

Yair Klartag est « obsédé par le sens ». Plus précisément, il est obsédé par l’exploration des différentes façons dont il peut créer et localiser le sens dans ses propres œuvres musicales, que ce soit en utilisant l’harmonie, les microtons ou des timbres orchestraux non conventionnels.

« Venant d’un milieu très scientifique, j’ai toujours vu la musique comme un lieu de rébellion contre la structure et la pensée empirique », dit-il. Elle était libre, elle n’avait pas de règles. C’était à l’opposé de son éducation, qui était marquée par la logique et la raison. Ce n’est que récemment qu’il a cherché à concilier le rationnel et l’irrationnel dans ses compositions.

C’est ce qu’il a fait dans une pièce intitulée Rationale, laquelle explore le rationalisme juif. Klartag s’est penché sur les écrits de penseurs importants qui ont utilisé la raison et la logique pour expliquer la métaphysique. Dans cette œuvre, pour soprano et ensemble instrumental, il a emprunté un texte de Maïmonide dans lequel ce penseur médiéval prend des mesures pour le jardin d’un temple et lutte contre les limites de l’approximation rationnelle. L’obsession de ce dernier pour le rationalisme semblait pertinente pour ma famille, tout comme sa foi, explique Klartag.

Ce projet sera le premier d’une longue série dans laquelle le compositeur explore le caractère inévitable de l’irrationnel, la convergence de l’art, de la foi et de la science ainsi que la jonction entre le rationalisme et le mysticisme. Son œuvre la plus récente, La parabole du palais, est le résultat de la commande Azrieli de musique juive 2024.

Comme son nom l’indique, l’œuvre emprunte des textes au dernier chapitre de la célèbre parabole du palais de Maïmonide, qui décrit des groupes de personnes placées à différentes distances du palais du roi. Certains sont à l’extérieur des murs de la ville, d’autres à l’intérieur, d’autres encore à l’intérieur des murs du jardin, d’autres dans les couloirs du bâtiment – la liste est longue. Chaque groupe de personnes, explique Klartag, est décrit comme étant à une distance différente de la vérité religieuse. « J’aimais la géométrie de la parabole, poursuit-il. L’idée que tous ces gens soient centrés autour d’un point au milieu – le roi. » Il s’est senti attiré par la rationalité et l’irrationalité simultanées de l’histoire et, comme il l’écrit dans sa description de l’œuvre, par « sa structure très musicale et par la belle explication des limites de la raison ».

À l’origine, Klartag pensait mettre en musique un texte en hébreu, mais il a découvert qu’il avait été écrit à l’origine en arabe juif, une langue morte. Ça lui a ouvert les yeux. Klartag a eu la chance de trouver un expert de la langue pour lui lire le texte. Les sons étaient tout à fait différents de ce à quoi il s’attendait, changeant toutes les idées musicales et les idées préconçues qu’il avait au départ. Klartag innovait en composant dans une langue qui n’existe plus.

La parabole du palais vise à capturer « le sentiment de l’histoire de Maïmonide, en utilisant des sons célestes, des moments de basse, des sons terrestres, et tout ce qui se trouve entre les deux ». La pièce n’est pas « venue du texte », malgré l’excitation d’écrire dans une langue obscure, mais elle est « venue du sens ». Klartag crée des formes musicales, des accords qui sont déformés et rétablis et des collections abstraites de sons d’où émerge le texte.

Compte tenu de la précision structurelle de son travail et de la fascination de Klartag pour le rationalisme, il peut paraître surprenant que le compositeur « n’envisage pas une œuvre dans son ensemble avant de commencer à écrire ». Au lieu de ça, il dispose d’une banque d’idées, dit-il, et « d’une idée de la manière dont le morceau se déroule ». En l’occurrence, la sonorité du texte a beaucoup contribué à l’élaboration du contenu mélodique.

Klartag admet que l’écriture pour la voix est un défi pour lui. « Le sens a toujours été très important pour moi, dit-il, ce qui rend l’écriture pour la voix et l’utilisation du texte encore plus difficile. » Son objectif est toujours de faire émerger le sens à la fois à travers le texte et à travers la musique elle-même. Pour y parvenir, il utilise le texte comme un outil sonore, le dessinant comme un dispositif rythmique et un outil permettant de créer une texture. « La voix est tellement unique, dit-il. Elle a tellement de caractère. Il est difficile de la toucher, tant elle est complexe, intéressante… parfaite en elle-même. » Il poursuit en déclarant qu’il y a quelque chose de « contradictoire dans les chœurs, dans la façon dont les voix multiples se mélangent complètement », obscurcissant leur vocalité unique.

Dans La parabole du palais, il sépare le chœur en quatre petits groupes qui, ensemble, créent une texture dense à côté des contrebasses. Le chœur chante en cercle, avec de très lents changements de hauteur et de voyelles qui créent une « texture chorale spectrale planant au-dessus de multiples fondements ». Ça représente le sens de la parabole et l’irrationalité des personnes dispersées dans le palais et au-delà. Le compositeur a choisi d’associer les contrebasses en raison de son intérêt pour les sons graves, qu’il décrit comme « l’équivalent musical de l’irrationnel ». Il ajoute qu’il y a « quelque chose de visuellement très beau dans ces instruments, qui sont sculpturaux, si massifs et symétriques ».

Klartag attend avec impatience la première de l’œuvre, d’autant plus que l’effet qu’il espère obtenir « ne peut vraiment fonctionner que dans le contexte d’un concert ». Au-delà de l’excitation qu’il ressent à l’idée d’entendre ses œuvres prendre vie, il est également ravi de se soumettre à l’irrationalité du spectacle vivant et d’entendre « toutes les choses qui se produisent dans les situations de spectacle et que l’on ne peut ni planifier ni prévoir ».

Josef Bardanashvili : Vers une tranquillité intérieure

Après avoir commencé à jouer de la trompette, Josef Bardanashvili a rapidement ressenti l’envie de composer. Bien que Bardanashvili se destinait plutôt à la peinture, il affirme que « c’est la musique qui l’a choisi ».

Bardanashvili est né en 1948 à Batumi, en Géorgie. À l’âge de 16 ans, il est déjà considéré comme un prodige de la composition et, à partir de 1973, sa carrière de compositeur prend son envol. Il obtient son doctorat en composition à l’Académie de musique de Tbilissi, sous la direction d’Aleksandr Shaverzashvili, en 1976.

Difficile pour Bardanashvili de résumer son style de composition en quelques mots. « La source de mon art est la maison dans laquelle j’ai grandi, une maison juive traditionnelle en Géorgie. C’est la base spirituelle et philosophique de mes compositions. » Il souligne l’importance de la musique de son enfance dans les synagogues de Géorgie. « Il existe une longue tradition musicale vocale dans les synagogues géorgiennes. On chante tous, on ne parle pas. » Par conséquent, lorsque Bardanashvili chante à son tour, ce qui en ressort « est un mélange des traditions juive et géorgienne, avec un caractère propre, dit-il en riant. C’est une région qui possède ses propres couleurs musicales et qui est restée relativement séparée du reste du monde », reconnaît-il.

L’intégration de textes philosophiques dans sa musique et la combinaison des musiques géorgienne et juive l’ont toujours intéressé. « Ma première affirmation en tant que compositeur a été ce mélange de musique juive et grégorienne – c’était et c’est mon identité musicale », dit-il.

La pertinence durable de la foi, de la philosophie et de l’histoire personnelle de Bardanashvili est évidente dans Light to My Path, l’œuvre pour laquelle il a reçu le prix Azrieli 2024 pour la musique juive. Si les deux premiers mouvements de l’œuvre ont été composés en 2015, Bardanashvili a écrit les deux derniers plus tard; tous les quatre reflètent « des décennies de réflexion, de recherche et d’écoute des traditions musicales juives, ainsi que de leurs équivalents littéraires ». L’œuvre présente des extraits du livre des Psaumes, chaque mouvement développant celui qui le précède.

Le premier mouvement est pour un chœur masculin, le second pour un chœur féminin et les derniers pour un chœur mixte. Bardanashvili cherche à présenter la voix dans « différents états ». Le résultat, espère-t-il, est « presque comme une peinture, qui attire le public et existe en dehors du temps. Il s’agit d’un voyage à travers ces différents états et vers la lumière. »

« La voix humaine est le plus expressif des instruments, dit Bardanashvili, je l’utilise de diverses manières pour communiquer différents états dans mon œuvre, du cri au chuchotement. Lorsque j’écris pour des voix, je suis conscient que j’écris pour des gens qui vont chanter – je veux que l’âme des gens transparaisse. Je veux créer un degré de confort physique dans le chant pour qu’un état de recueillement personnel et naturel puisse se manifester ». L’ancien élève de Bardanashvili, le compositeur Avner Dorman, estime qu’il s’agit d’une entreprise complexe, « d’un défi nuancé, qui consiste à faire en sorte que l’écriture musicale semble si naturelle qu’elle vient de l’âme du chanteur ».

Cette fascination pour le potentiel expressif des voix conduit Bardanashvili à revenir constamment au texte et à guider l’auditoire grâce à son point de vue personnel sur le matériel utilisé. « N’importe qui peut lire le texte, dit-il, mais lors de la lecture, certains mots ont tendance à passer inaperçus. » En tant que compositeur, il affirme que son rôle est de « comprendre le texte, en se demandant ce qui peut être souligné, mis en valeur. Comment pouvons-nous approfondir notre compréhension ? Comment faire ressortir des parties du texte qui peuvent sembler insignifiantes au premier abord ? » Selon Dorman, l’interprétation des textes par Bardanashvili fait de lui un philosophe : « Beaucoup de compositeurs contemporains se tournent vers la phonétique pour utiliser des textes basés sur les sons des voyelles, mais Bardanashvili s’intéresse davantage au sens du texte – afin que la musique mette en valeur le sens des mots. »

Dans le quatrième mouvement de Light to My Path, outre le texte des psaumes, Bardanashvili met en musique un texte hébreu de la poétesse israélienne Rivka Sofran. Utilisé avec l’autorisation du mari de la défunte poétesse, le texte fait un parallèle au travail de Bardanashvili, comme une « réponse musicale au texte biblique, ajoutant une couche supplémentaire d’intertextualité ».

L’ensemble instrumental qui l’accompagne sert de prolongement aux timbres et aux effets créés par le chœur. « L’idée était d’utiliser un ensemble minimaliste », explique Bardanashvili à propos du saxophone soprano, des percussions et du piano. Ces instruments modifient les couleurs du chœur, mais sont suffisamment proches de leurs sons pour ne pas les détourner ou les perturber. Le synthétiseur et le vibraphone sont, par exemple, joués par le percussionniste et le pianiste afin de « jouer avec l’acoustique du chœur, interagir avec lui ».

Bardanashvili ne se préoccupe pas de la pérennité de son œuvre; il cherche plutôt à créer un sentiment d’intemporalité à travers ses compositions. Il espère que Light to My Path guidera les auditeurs vers leur propre sens du « calme intérieur, de la lumière intérieure ». En présentant au public son authentique personnalité musicale, il espère guider les spectateurs vers un espace de tranquillité dans lequel ils se retrouveront eux-mêmes.

Jordan Nobles : Exploration de « Qu’est-ce que le Canada ? »

L’eau, les chutes d’eau, les nuages, les marées, les rivières, la pluie, les couchers de soleil, les vents – des sons naturels. » Telles sont les sources d’inspiration du compositeur Jordan Nobles, notamment en termes de structure et de forme. Cette année, le lauréat de la Commande Azrieli de musique canadienne s’est basé sur des sons, des points de repère et des noms de lieux disséminés dans tout le pays pour écrire sa récente œuvre, Kantata, pour grand chœur.

L’importance de cette commande ne peut être sous-estimée, déclare Nobles, qui est honoré d’avoir été reconnu par la Fondation Azrieli. C’était « tout un défi », dit-il, assez pour le faire douter au moment de prendre la plume. Lorsqu’il s’est mis en tête d’écrire une œuvre représentant la musique canadienne, M. Nobles a commencé par regarder autour de lui. « Ce pays est plus grand que je ne le pensais », dit-il en riant. Nobles a fait l’inventaire de tous les lieux nommés au Canada, observant « qu’il y en a 350 000 ». Il a décidé d’utiliser quelques-uns de ces noms pour créer le contenu textuel de sa pièce, abandonnant les noms coloniaux pour leur version autochtone d’origine. Il pensait d’abord emprunter les noms au complet pour une petite poignée de lieux canadiens. Mais les choses ont rapidement changé.

Nobles a fini par les diviser en fragments. Selon lui, cette démarche avait un double objectif : lui permettre de faire référence à un plus grand nombre d’emplacements dans l’espoir de procurer une expérience de la géographie canadienne. « J’ai rassemblé ces sons qui sont en quelque sorte universels, explique-t-il, pour mieux décrire mon émerveillement et ma joie devant ces endroits. Dans Kantata, les fragments sont organisés par région, emmenant le public des Rocheuses aux plages du pays, en passant par le fleuve Saint-Laurent et le Nord canadien.

La collection de « phonèmes », comme il les appelle, est utilisée lentement, « souvent en couches ». M. Nobles traite le texte « non comme des mots, mais comme une texture, un timbre » et trouve cela satisfaisant. Il utilise des tonalités et des syllabes communes pour passer d’un fragment de texte à l’autre et d’un agrégat harmonique à l’autre. Le mouvement du compositeur « à travers différents centres harmoniques reflète ainsi son mouvement à travers différentes régions du Canada ». Bien qu’il ne peigne pas explicitement des images sonores de prairies ou de montagnes, son intention est certainement d’évoquer l’émerveillement et la grandeur des paysages canadiens. Il n’énumérera aucun des lieux mentionnés dans le programme, mais laissera le public les découvrir par lui-même.

L’idée de Kantata est née lors d’un voyage à travers le Canada; il s’agissait au départ de « montrer à notre fils à quel point le pays est grand », explique le compositeur. « Nous avons pris le train de Vancouver à Saint John’s, Terre-Neuve, et nous sommes revenus, pour montrer à mon enfant où il vivait. » Ce voyage a montré au compositeur lui-même à quel point il lui restait du pays à explorer, malgré ses nombreux voyages antérieurs. Ça l’a amené à réfléchir davantage à « ce voyage, à d’autres voyages depuis et à de nombreux voyages à venir ».

« Je ne sais pas chanter, admet M. Nobles, et je ne sais pas siffler », ajoute-t-il en riant. La plupart de ses projets d’écriture sont destinés à de grands ensembles, très souvent monochromatiques, dans lesquels il est assez facile de mélanger les sons et de créer des textures. Bien qu’il n’écrive pas souvent pour des chœurs, « c’est une sorte de son profond, et c’est toujours très profond » lorsqu’il le fait. « La voix humaine peut vraiment vous attirer; elle a une qualité universelle. » Cette œuvre est l’une des plus difficiles qu’il ait écrites pour un chœur, et il avoue être impatient de voir comment celui-ci va s’en sortir.

Le mouvement harmonique de l’œuvre commence très lentement, puis s’accélère. Au début, le passage d’un centre tonal à un autre est si graduel qu’il est « presque indétectable ». Bien que le langage soit similaire à ce qu’il a écrit dans le passé, il n’a jamais utilisé une technique d’accélération de cette envergure.

L’œuvre se termine par un épilogue, appelé home, pour lequel le compositeur n’a pas choisi de texte. C’est le chœur qui s’en charge. « Les chanteurs sont priés de chanter les mots des endroits qu’ils considèrent comme leur maison, dans la langue qu’ils veulent », explique-t-il.

Lorsqu’on lui demande ce qu’est la musique canadienne, M. Nobles hésite. « Nous sommes tellement connectés au monde entier que je ne sais plus ce que c’est. Il y a tant de cultures, tant d’instruments, tant d’influences qui font le Canada. » C’est pour cette raison qu’il s’est plutôt posé la question : « Qu’est-ce que le Canada ? Qu’est-ce que ce pays dans lequel nous vivons et travaillons ? » Pour lui, la musique canadienne est un moyen de mettre en valeur l’assemblage des lieux qui sont significatifs à la fois pour ceux qui visitent le pays et pour ceux qui s’y sentent chez eux.

L’œuvre ne prendra vie que lorsqu’elle sera entre les mains du chœur. M. Nobles est particulièrement impatient de les entendre chanter l’épilogue le 28 octobre. Ensemble, ils entonneront les noms de leurs maisons, célébrant à la fois leurs relations uniques avec les lieux qui leur sont chers et le pays dans son ensemble, avec tout ce qu’il a à offrir.

Juan Trigos : Sonorités indigènes mexicaines

Juan Trigos a composé des opéras, des concertos, des symphonies, des œuvres chorales, de la musique de chambre – et cette liste est loin d’être exhaustive. Le compositeur, professeur et chef d’orchestre est aussi à l’aise dans la composition vocale qu’instrumentale. Ce qui unit son catalogue, comme il le dit lui-même, est une « personnalité artistique » distincte que Trigos résume par le terme de « folklore abstrait ».

Par « folklore abstrait », il fait référence à l’approche qui consiste à combiner des éléments traditionnels disparates afin de créer son propre style contemporain. « Ma personnalité musicale est le résultat de toutes les musiques que j’ai assimilées et que j’ai construites en moi, explique-t-il. Le folklore abstrait peut englober beaucoup : un attachement à la terre, aux nombreux éléments traditionnels. Chaque culture a son folklore ». Le folklore dont il est le plus proche est celui dont il a été entouré à la maison, dans les rues de Mexico. « On y entend toutes sortes de folklore – de la musique folklorique du monde entier. »

Simetrías Prehispánicas (Symétries préhispaniques), pour laquelle Juan Trigos a reçu la commande Azrieli de musique internationale, est tout à fait représentative de la curiosité compositionnelle de Trigos, de son désir d’innover et de son attachement aux sons avec lesquels il a grandi.

L’œuvre combine des textes de poètes aztèques tels qu’Aquiauhtzin, Cacamatzin, Macuilxochitl, Nezahualcoyotl, Tecayahuatzin et Yaocuicatl, afin de raconter une version abrégée des conquêtes espagnoles du Mexique, à la fois dans leur langue d’origine (le nahuatl) et en espagnol. Ces sources textuelles disparates ont été rassemblées dans une collection d’« inventions poétiques » par le père de Trigos, le dramaturge également nommé Juan Trigos. Trigos et son père ont travaillé ensemble tout au long de sa carrière, le fils notant qu’« il a écrit les livrets de tous mes opéras ».

Ici, son père a « rassemblé ces divers extraits poétiques, explique Trigos, pour raconter l’histoire de la fondation de Mexico » et de l’empire aztèque. La légende veut que les dieux aztèques aient dit à leur peuple que l’endroit idéal pour construire leur ville leur serait indiqué par « un aigle mangeant un serpent ». Après avoir trouvé l’aigle au centre d’une vallée, les Aztèques s’installèrent dans la région qui deviendra la ville de Mexico.

L’aigle et le serpent sont restés des symboles importants dans la culture mexicaine et sont représentés dans les armoiries qui figurent sur le drapeau du pays. Trigos « se souvient avoir été impressionné, enfant, par la mythologie entourant ces deux animaux ». Simetrías Prehispánicas utilise la répétition de textes et d’images comme points de départ structurels, en y ajoutant des histoires de sacrifice et de guerre, des poèmes sur les fleurs et des scènes érotiques.

Musicalement, Trigos a trouvé l’inspiration pour le contenu mélodique et harmonique de l’œuvre dans le matériel textuel. Selon lui, sa relation avec la littérature a été un élément important de sa carrière. Lorsque Trigos entreprend de mettre un texte en musique, il essaie d’abord « de trouver ce qui dans le texte évoque la musique. J’utilise l’image sonore créée par un texte pour trouver le rythme, les notes… »

Trigos admet que, bien qu’il ne soit pas chanteur de métier, il « chante tous les jours ». Ce n’est donc pas surprenant qu’il ait composé autant de chansons, de cantates, d’opéras et de messes. À l’origine, Simetrías Prehispánicas était prévue comme une œuvre exclusivement vocale. Mais au fil de la composition, l’ajout du piano, des percussions, du trombone et des flûtes s’est fait intuitivement. Trigos décrit la percussion comme « son deuxième amour, après la voix » et souligne la pertinence particulière des timbres de flûte dans le contexte de cette œuvre. « La musique autochtone du Mexique utilise beaucoup de flûtes. Je voulais évoquer ces sonorités et les effets des différentes flûtes – anches, argile, métal. » Parallèlement aux percussions, le trombone évoque également les sons traditionnels aztèques : dans Simetrías Prehispánicas, Trigos l’utilise pour imiter les timbres de la conque, qui est très forte, très bruyante, et d’un autre instrument, la flûte maya. En symbiose avec le chœur, qui émet « beaucoup de sons et de couleurs vocales différentes », ces instruments sont destinés à attirer les auditeurs dans l’univers sonore folklorique de Trigos.

Juan Trigos est impatient d’entendre Simetrías Prehispánicas dans son intégralité au concert gala des Prix de musique Azrieli, à la Maison symphonique de Montréal, le 28 octobre. En tant que compositeur et chef d’orchestre, il connaît bien les défis que représente la mise en place d’une nouvelle œuvre sur le podium. « On ne peut pas séparer le compositeur du chef d’orchestre; je suis heureux de ne pas avoir à choisir. » Autant il aime écrire, il aime aussi jouer, en particulier « la musique du XXe siècle et la musique contemporaine ».

Il ne dirigera pas la chorale et l’ensemble le 28 octobre, mais il considère que c’est « une excellente idée » puisque cela lui offre un point de vue différent. « C’est formidable pour la musique d’être dirigée par quelqu’un d’autre. » Il est impatient d’assister aux répétitions et d’aider le chef d’orchestre Andrew Megill et les musiciens autant qu’il le peut. « J’adore collaborer, dit-il, c’est une si belle expérience. »

Il se dit très honoré d’avoir reçu cette année la commande de la Fondation Azrieli de musique internationale et de voir son travail s’inscrire dans la « tradition de la musique nouvelle au Canada », qui ne cesse de s’enrichir. « C’est une grande opportunité, dit-il. J’ai vraiment hâte d’être à Montréal, d’entendre la réaction du public et de connaître l’avis des musiciens. »

Le Gala à la Maison symphonique a lieu le 28 octobre. Pour en savoir plus sur les quatre lauréats des prix de musique Azrieli de cette année : www.azrielifoundation.org/fr/pam

Traduit par Justin Bernard et Mélissa Brien

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