Orchestre symphonique de Laval: Antoine Bareil joue Mendelssohn

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Une salle pleine de mélomanes de tous âges a accueilli l’OSL qui s’est envolé pour une 40e saison. Au programme, en première partie, deux pièces de Fanny Mendelssohn (1805-1847) et de son frère Felix (1809-1847). C’est Fanny, avec une œuvre rarement jouée, joyeusement menée et sentie, qui lance la soirée pour une Ouverture en do majeur sous la direction d’Adam Johnson.

Ce dernier nous offre un exposé historique et ramène à l’époque où c’est le frère qui, malgré la prolifique créativité musicale de l’ainée, est davantage joué et célébré par les orchestres. La composition est un « man’s world » et ils occupent pratiquement tout l’espace des scènes de la musique du 17e et 18e. Que ce soit aux lutrins de la direction ou des instruments des grands orchestres, ou même des ensembles de chambre, le genre masculin domine.

À l’époque, les codes étaient particulièrement genrés. Pour preuve, le chalumeau, le hautbois et la flûte étaient interdits aux femmes, le violon, à peine toléré. « La flûte était traditionnellement encore associée à l’univers de la prostitution féminine. (…) John Essex distingue les instruments simplement trop masculins de ceux qui pouvaient être malsains pour les femmes (…) le hautbois est trop masculin et paraîtrait indécent dans la bouche d’une femme ; et la flûte est malsaine, car elle soustrait les fluides nécessaires pour l’appétit et la digestion. (…) 1722 semble annoncer le discours des manuels du XIXe siècle qui utiliseront des arguments supposément « scientifiques », médicaux, pour orienter les pratiques féminines. »

Cette parenthèse est tirée du Chapitre 6 – Les femmes et la pratique des instruments à vent au XVIIIe – d’un ouvrage littéraire publié en mai 2022 sous la direction de Mélanie Traversier et Alban Ramaut avec le concours de la Commission de la recherche de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’Institut universitaire de France, l’Institut de recherches historiques du Septentrion et l’Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités.

Photo: Gabriel Fournier

Plus ou moins soixante ans après la mort du roi, il est permis de douter que cela ait pu vraiment évoluer de façon équitable. Non seulement la pratique des instruments était genrée, mais elle était aussi propre à certaines classes. La viole de gambe, par exemple, était pratiquée par des femmes appartenant à l’élite aristocratique, à l’instar de Mesdames Victoire et Henriette, filles de Louis XV. » (1729-1765). C’est fou comment l’introduction d’une œuvre, apporté par un chef qui a le souci de la pédagogie, une ouverture sur l’histoire de la musique et de ses contemporains, peut pousser la curiosité d’un humble rédacteur néophyte de la musique savante et des péripéties qu’elle transmet d’un siècle à un autre*. Il est donc irrémédiable, selon la raison de l’ère du temps de Fanny et Felix, que ce dernier obtienne plus de popularité. Ce qui l’est moins, c’est que ce le soit encore aujourd’hui.

Revenons à ce fameux concert avec l’OSL et la seconde œuvre de la première partie de la soirée, celle du petit frère, Felix (1809-1847), qui était le plat principal de la soirée. Le renommé violoniste Antoine Bareil crée un moment unique avec le Concerto pour violon nº 2, en mi mineur, op. 64 (30 min), véritable épreuve de virtuosité et d’endurance pour tous solistes.

Photo: Gabriel Fournier

Bareil a été plus qu’à la hauteur. Et avec une identité inspirée, les musiciens de l’OSL et son soliste, n’ont rien à envier à qui que ce soit. Les musiciens éprouvent du plaisir à jouer ensemble sous une baguette rassurante et ça s’entend. Ça se voit.

Entracte, deuxième partie et bonbons d’Halloween.

Arrive le dessert. Une pièce montée, annotée et arrangée de toute beauté, avec les Tableaux d’une Exposition de Modeste Moussorgski (1835-1881) aux couleurs orchestrales de Maurice Ravel (1875-1937). Pour une veille d’Halloween, voilà une pièce tout à fait appropriée. Mystérieuse, ténébreuse, tantôt angoissante et puis soudainement lumineuse, Les Tableaux défilent et imposent ses thèmes et ses rythmes d’une nature riche en accoutrements et en déguisements. Dès le second mouvement avec Gnome, le décor est mis en scène pour laisser l’imagination flotter vers les Tableaux qui semblent s’ouvrir comme des portes tantôt accueillantes tantôt menaçantes.

Tandis que Felix Mendelssohn nous séduit avec ses couleurs juives et ses inspirations hébraïques, Moussorgski nous mène à travers des courants slaves, perses, européens. Ravel amène ses influences avec des pastels plus légères et plus tendre tandis que Moussorgski me semble plus ténébreux, plus sombre. Samuel Goldenberg et Schmuyle, avec le solo joué au basson, est un de nos coup de cœur. The Hut on Hen’s Legs (Baba-Yaga) et le final The Great Gate of Kiev, ont toutes deux admirablement été porteuses de belles émotions. Mais on peut aisément croire que c’est pour la soirée dans son ensemble que la salle qui, avec très peu de sièges laissés libres, s’est levée pour une ovation sentie.

* À propos de péripéties que la musique transmet d’un siècle à un autre, la première fois que j’ai entendu cette Pictures at an Exhibition c’était à l’ancien Forum de Montréal le 15 août 1972 pour 5 $, j’avais 14 ans. Un concert psychédélique qui donnait suite à l’album du même nom, sorti en novembre 1971 et enregistré en concert au Newcastle City Hall le 26 mars 1971. Il s’agit du trio exceptionnel que formaient Keith Emerson, Greg Lake et Carl Palmer. Aujourd’hui, j’opterais pour entendre à nouveau une version avec arrangements d’instruments classiques et l’orchestration de Ravel, la vraie affaire.

PS : On peut aussi entendre et assister aux performances d’Antoine Bareil avec le Quatuor Molinari.

Programme de la soirée : www.osl.ca/

Suivez toutes les activités de l’Orchestre symphonique de Laval : http://www.osl.ca/ dont Tête-à-tête : les violoncelles de l’OSL • Les Chambristes à l’église Saint-Maurice-de-Duvernay, samedi 9 novembre 2024 à 14 :00 ainsi que les Fêtes : Fauré et célébrations • Les Grands Concerts à la Salle André-Mathieu, 18 décembre 2024 à 19:30. La 4e édition du Festival classique hivernal se déroulera du 31 janvier au 2 février 2025. www.osl.ca/festival-classique-hivernal

Concerto pour violon nº 2, en mi mineur, op. 64 : Celle qui est le plus souvent ramenée à l’avant plan sur You Tube et dont on retrouve une vidéo avec Ray Chen sous la direction de Kent Nagano (Maestro Johnson a été son assistant avec l’OSM) avec le Gothenburg Symphony (Suède).

On peut regarder un extrait d’ELP au forum.
L’album d’ELP au complet, et trouver les paroles.
Autre référence : https://books.openedition.org/psorbonne/83755

30 octobre 2024 | Salle André-Mathieu | 19h30
Orchestre symphonique de Laval. Rencontre : Antoine Bareil joue Mendelssohn

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A propos de l'auteur

Depuis 2017, Dino Spaziani occupe un poste dans la vente de publicité à La Scena Musicale. Dino est également réviseur pour les articles en français. Il lui arrive d'écrire des comptes rendus de concerts au gré de l’inspiration du moment. Dino est détenteur de deux certificats, l'un en administration et l'autre en gestion des technologies de l'information, de l'UQAM. Il a également passé du temps à se produire dans les rues et les métros de Montréal pour joindre les deux bouts et s'amuser. // Since 2017, Dino Spaziani has held a position in advertising sales at La Scena Musicale. Dino is also a reviewer for articles in French. He sometimes writes concert reports depending on the inspiration of the moment. Dino holds two certificates, one in administration and the other in IT management, from UQAM. He has spent some time performing in the streets and metro of Montreal to make ends meet and have fun.

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