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Il se rappelle que dans la mise en scène du Château de Barbe-bleue, façon Robert Lepage, quand des femmes sortent d’un bain ensanglantées, des adolescentes assises devant la scène ont eu une réaction très vive. Oh ! Mon Dieu ! « Elles étaient comme au cinéma ! Les jeunes ont moins de préjugés que les plus vieux face aux productions d’opéra contemporaines », pense Grégoire Legendre, directeur administratif et artistique d’Opéra Québec, qui vient d’annoncer sa retraite. « Un grand nombre sont très enthousiastes après une représentation. »
La plupart des maisons d’opéra du monde ont des problèmes de vieillissement et de diminution de leur clientèle, ce qui se reflète évidemment dans leurs états financiers. À son arrivée à Opéra Québec, Legendre avait aussi le mandat d’élargir le public. Ce qu’il a brillamment réussi.
« Au Québec, la musique a été un peu délaissée par le secteur de l’éducation. » Pour les institutions culturelles, une génération a été pratiquement perdue. « Les jeunes, il faut les exposer dès leur jeune âge. Quand moi j’étais à l’école primaire, tout le monde apprenait le solfège. » Maintenant, il faut compter dans les écoles sur des « leaders », habituellement des enseignants, qui organisent des sorties particulières pour leurs élèves.
Son audace a surpris. Tout le monde n’était pas d’accord avec un festival d’opéra à Québec en 2011 : ce serait l’échec d’Opéra Québec, la petite ville ne pourrait pas faire vivre autant de productions, ça allait tuer la compagnie, etc. Au contraire, le festival est devenu un événement incontournable pour plusieurs, il attire des touristes (qui ne seraient pas venus pour une seule production) et fait connaître globalement Québec comme une ville d’opéra. « Le festival est connu internationalement. À partir du festival, ce sont les médias qui se sont mis à nous appeler et à nous demander des entrevues… »
Pendant sa vingtaine d’années à la direction d’Opéra Québec, Legendre a fait appel à des artistes très variés. Des cinéastes, entre autres, comme François Girard et Robert Lepage. La mise en scène et le jeu des comédiens sont pourtant bien différents entre le cinéma et le théâtre. Pour la mise de scène de l’opéra, les cinéastes ont-ils une approche particulière ? « Oui. Ils accordent plus d’attention au visuel et les transitions entre les scènes sont plus faciles quand des projections vidéo sont possibles… Il ne faut pas oublier que, contrairement au théâtre, les opéras sont produits généralement dans de très grandes salles, l’auditoire peut être loin et la diffusion en vidéo est de plus en plus répandue. Pour le reste, la différence tient au timing : à l’opéra, les acteurs doivent respecter le rythme général, alors qu’au théâtre, ils ont plus de liberté dans leurs répliques. Par ailleurs, les metteurs en scène de théâtre ont parfois de la difficulté à traiter les chœurs, à savoir quoi en faire sur la scène. François Girard est très bon là-dedans. »
Legendre passe la main. On lui a souvent demandé ses meilleurs souvenirs d’Opéra Québec ou du Festival d’opéra de Québec qu’il a fondé en 2011. Il y en a plusieurs. Mais il me dira que c’est la production du The Tempest de Thomas Adès, dans une mise en scène de Robert Lepage, qui l’a le plus touché. Des regrets peut-être ? « J’aurais bien aimé présenter au public de Québec Der Rosenkavalier de Richard Strauss et le Dialogues des carmélites de Poulenc. Dans les deux cas, cependant, ça aurait demandé énormément de ressources. Pour Strauss, il aurait probablement fallu aller à l’international pour certains rôles, mais pour Poulenc, on aurait facilement pu trouver tous nos gens au Québec. »
Car pour lui, un des plus grands plaisirs est d’encourager les talents régionaux qui parfois se retrouvent dans des rôles importants sur des scènes internationales, comme la mezzo Julie Boulianne, le ténor Frédéric Antoun ou Marianne Fiset, qui vient de livrer une bien belle prestation comme Violetta.
Il a annoncé son départ et l’arrivée de son successeur, mais il est encore là en poste jusqu’à la fin de 2020. Le temps d’une production de La Chauve-souris de Johann Strauss fils au printemps et d’un festival l’été suivant. Et après ? « J’ai 69 ans. Je vais d’abord prendre du repos, puis voyager un peu. » Et un retour au chant ou au violoncelle ? « Pas le chant. Il faut un entraînement sérieux et j’ai cessé il y a une quinzaine d’années. Mais oui, je vais sûrement ressortir mon violoncelle… »
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