Artiste d’une certaine radicalité – John Heward 1934-2018

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En règle générale, les artistes se concentrent sur un champ d’activité bien précis, excluant de ce fait la pratique d’autres disciplines. Travailleurs solitaires, les artistes visuels exposent leurs œuvres en public et non leur personne; comédiens, danseurs et musiciens en revanche sont motivés par ce contact immédiat. Des exceptions, il y en a bien sûr et John Heward en était une. À quelques années de son cinquantenaire de métier dans les arts, ce Montréalais anglophone pure laine a poursuivi une double vocation, l’une d’artiste visuel, l’autre de musicien.

Son arrivée dans ces deux mondes s’est toutefois faite sur le tard. Jusqu’en 1970, Heward dirigeait une maison d’édition, mais il s’en départit pour se consacrer pleinement à l’art visuel. L’année suivante, il rencontre le galeriste Roger Bellemare qui le représentera dès lors. Au milieu des années 1980, il renoue avec une passion de jeunesse, la batterie. Intéressé par la note bleue, il laissera cette musique derrière lui pour embrasser l’improvisation la plus libre possible. Au fil des ans, il deviendra un peu malgré lui un père spirituel de toute une scène locale émergente. Toujours à l’affût de nouvelles rencontres, il se frottera avec quelques grandes pointures, notamment le saxo Steve Lacy, voire le polyinstrumentiste Joe McPhee, ce dernier dialoguant avec son ami batteur une dernière fois en concert en juin dernier, prestation enregistrée pour une sortie éventuelle de disque.

Aussi différents soient la musique et l’art visuel, Heward les a tissés d’un fil rouge. N’étant ni un homme de systèmes ni un théoricien échafaudant une pensée savamment articulée – il laissait les autres discourir là-dessus –, il était un praticien pour qui l’art, son art, devait parler de lui-même. Brosses et pinceaux pour l’un, baguettes et balais pour l’autre lui convenaient beaucoup plus que les mots, son guide ultime étant les gestes de sa main. Ses tableaux, souvent surdimensionnés et sans cadre aucun, ne cherchaient nullement à éblouir, mais visaient à l’essentiel, au dépouillement même. Ce côté abstrait se prête bien à la musique, si bien que certaines de ses œuvres ont été reproduites sur des couvertures de disques, les siens tout spécialement.

À l’instar de son style aux apparences austères, Heward était réservé de nature, quoique dénué de toute prétention. Il ne fuyait pas les foules, mais sa présence était discrète dans les cercles qu’il fréquentait; il était tout de même apprécié pour sa nature affable. Six ans plus tôt, en 2012, il recevait le prestigieux prix Paul-Émile-Borduas en arts visuels, récompense d’autant plus juste pour lui, grand admirateur qu’il était de cet artiste rebelle, auteur du Refus global.

Le 6 novembre dernier, John Heward s’éteignait, emporté par ce même cancer qui avait eu raison de son confrère Raymond Gervais dix mois plut tôt. D’une manière ou d’une autre, le milieu lui offrira un dernier hommage, même si lui-même ne souhaitait aucune célébration commémorative en son honneur. Un homme de classe nous a donc quittés, mais il laisse dans son sillage une abondante production visuelle et sonore. Repose en paix, J.H.

Les intéressés sont priés de faire un détour à la Fonderie Darling avant le 9 décembre pour voir ses dernières créations (www.fonderiedarling.org).

Les mélomanes peuvent aussi consulter le catalogue des disques Ambiances magnétiques pour retrouver plusieurs de ses disques. (http://www.actuellecd.com)

Marc Chénard

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A propos de l'auteur

* Marc Chénard est rédacteur responsable de la section jazz du magazine depuis 2000. Il est journaliste de carrière spécialisé en jazz et en musiques improvisées depuis 35 ans. Ses écrits ont été publiés en anglais, français et allemand dans sept différents pays. *Marc Chénard has been the jazz editor of this publication since year 2000. He is a dedicated writer in the fields of jazz and improvised music for about 35 years. His writings have appeared in English, French and German in seven different countries.

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