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Yann Martel n’est pas le genre d’écrivain qui publie un nouveau roman chaque année. Entre la publication de Béatrice et Virgile et son dernier opus, Les hautes montagnes du Portugal, un roman qui englobe trois récits sur la foi, l’amour et le deuil, six ans ont passé. L’auteur canadien, qui vit maintenant en Saskatchewan, a répondu par courriel à quelques questions de La Scena sur sa vie d’écrivain et les thèmes qui lui sont chers.La SCENA : La foi est un thème plutôt marginal en littérature de nos jours. Pourquoi est-ce important pour vous de la mettre au centre de vos romans ?
Yann Martel : Justement parce qu’elle est marginale. Nous avons perdu la foi dans la foi. On peut maintenant dire qu’il y a de bien bonnes raisons à cela. Les excès de la religion en tant qu’institution sont nombreux, scandaleux et continus. Mais ce n’est pas là toute l’histoire. Je pense que la foi religieuse – la foi en quelque chose qui n’offre aucune preuve reproductible d’évidence véritable – n’est pas tellement différente de la foi en l’art. L’une et l’autre impliquent une sorte de pensée magique qui va au-delà de l’évidence. Si nous n’avons pas la foi en quelque chose – qu’il s’agisse de dieux, de ceux qu’on aime, d’une philosophie, d’une institution –, alors à quoi bon vivre ? Nous ne sommes pas des machines, des ordinateurs. Nous fonctionnons tous avec une certaine foi en quelque chose. Je me suis intéressé à la foi religieuse simplement parce que c’est la plus ambitieuse, la plus excentrique des manifestations de la foi.
Les animaux aussi sont importants dans votre écriture. Un tigre et d’autres animaux d’un zoo sont au cœur de L’Histoire de Pi, un âne et un singe sont les personnages de Béatrice et Virgile et un chimpanzé joue un rôle dans Les hautes montagnes du Portugal. Que représentent les animaux pour vous, dans votre vie, mais aussi dans leurs liens avec l’humanité en général ?
Nous vivons avec les animaux, nous sommes des animaux, alors pourquoi ne pas les représenter dans notre littérature ? J’écris au sujet des animaux pour la même raison que les gens grimpent des montagnes : parce qu’elles sont là. La littérature fourmillait autrefois d’animaux. Pensez à Kafka. Nous avons maintenant perdu le contact avec les animaux de la même façon que nous avons perdu le contact avec les dieux. En fait, je pense qu’il y a un lien entre les deux. Dans la religion, les animaux abondent. Les Juifs se définissent par rapport aux animaux – il y en a qui sont impurs, d’autres qui ne le sont pas. L’hindouisme a son plein d’animaux. Je pense que ce mélange des dieux et des animaux n’est pas fortuit. Je pense que et les dieux et les animaux portent en eux des parcelles de mystère, des éléments d’inconnu qui nous intriguent et nous fascinent. Les citadins ont des animaux domestiques de la même manière que les Grecs et les Romains anciens avaient à la maison des autels pour leurs dieux : ce sont des manières de prendre contact avec le mystère.
Vous aviez préparé minutieusement l’écriture de L’Histoire de Pi en faisant beaucoup de recherche et en lisant la Bible, le Coran et la Bhagavad-Gita en entier. Avez-vous fait aussi beaucoup de préparation et de lectures pour Les hautes montagnes du Portugal ?
J’ai travaillé environ quatre ans sur Les hautes montagnes du Portugal. Oui, j’ai mené mon habituel lot de recherches. J’ai fait des lectures sur les premières automobiles, sur le comportement des chimpanzés, sur la pathologie et sur les autopsies. J’ai lu un bon nombre de romans policiers d’Agatha Christie et j’ai effectué deux voyages au Portugal. J’aime bien faire de la recherche. Cela me donne des leçons sur le monde et cela insuffle de la substance à mes romans.
Avez-vous une routine d’écrivain, des rituels ?
Pas vraiment. Je travaille quand je le peux dans un petit studio que j’ai fait construire dans la cour de la maison.
Qu’est-ce qui nourrit votre imaginaire et vous inspire ?
Les choses que je lis, les choses que je vois, les gens que je rencontre – et il arrive que des idées surgissent dans ma tête.
Quels écrivains vous intéressent le plus ?
Les écrivains qui écrivent de grandes œuvres, depuis Homère jusqu’à J. M. Coetzee.
Pendant les années où le gouvernement conservateur a été au pouvoir, vous avez envoyé cent livres à Stephen Harper en lui écrivant, chaque fois, une lettre lui expliquant pourquoi il devrait lire ce livre. Ces suggestions de lecture ont même fait l’objet d’un livre. Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience ?
Que ça a été plaisant, mais plutôt inutile dans ce cas-là.
YANN MARTEL – CHRONOLOGIE | |
1963 | naissance à Salamanque, en Espagne |
1988 | publication d’une première nouvelle dans le magazine littéraire canadien The Malahat Review |
1993 | publication du recueil de nouvelles Facts Behind The Helsinki Roccamatios and Other Stories par l’éditeur Knopf Canada, traduit en français sous le titre Paul en Finlande |
1996 | publication de son premier roman, Self, par le même éditeur |
2001 | publication en anglais de L’Histoire de Pi |
2002 | Yann Martel reçoit le prix Man Booker pour L’Histoire de Pi, qui demeure sur la liste des best-sellers du New York Times pendant 61 semaines et a remporté plusieurs autres prix littéraires au Canada et à l’étranger. |
2007 à 2011 | projet Mais que lit Stephen Harper ? |
2010 | publication de Béatrice et Virgile, qui connaît du succès en librairie, mais reçoit un mauvais accueil de la critique |
2012 | L’Histoire de Pi est adaptée au cinéma par le réalisateur Ang Lee dans une production majeure qui reçoit onze nominations aux oscars, dont celle du meilleur film. Le film remporte quatre oscars, dont celui du meilleur réalisateur. |
DIX LIVRES RECOMMANDÉS PAR YANN MARTEL À STEPHEN HARPER |
Le joueur d’échecs, Stefan Zweig |
Une femme noire, Zora Neale Hurston |
Le violoncelliste de Sarajevo, Stephen Galloway |
Louis Riel, Chester Brown |
Persepolis, Marjane Satrapi |
Nikolski, Nicolas Dickner |
Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Harper Lee |
Mister Pip, Lloyd Jones |
Gilead, Marilynne Robinson |
Le meurtre de Roger Ackroyd, Agatha Christie |
On peut retrouver la liste complète des recommandations littéraires de Yann Martel dans le livre 101 lettres à un premier ministre – Mais que lit Stephen Harper ? publié en 2011 aux éditions XYZ. |
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