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Le quintette Kleztory est un exemple étonnant de la force et de l’universalité du langage de la musique klezmer. En effet, ce groupe de renommée internationale n’est composé d’aucun musicien d’origine juive. Originaires de Russie, de l’Ouest canadien et du Québec, les cinq musiciens sont réunis pour l’amour de la musique klezmer et de ses traditions, dont ils n’hésitent pas à se libérer cependant pour imprégner leur répertoire de leurs diverses personnalités. Alors qu’ils reviennent de Trondheim en Norvège où se déroulait un festival de culture juive, ils s’apprêtent à amorcer une saison riche en voyages et en rencontres.
Des trottoirs aux studios
Le clarinettiste et compositeur Airat Ichmouratov et l’altiste et violoniste Elvira Misbakhova sont originaires de la République autonome du Tatarstan, au centre de la Russie. Ayant fait des études en musique classique dans leur pays d’origine, ils font le grand saut en 1998-99 et décident de poursuivre leurs études au Canada. C’est au camp musical d’Orford qu’ils rencontrent le clarinettiste André Moisan ainsi que l’altiste Eleonora Turovsky qui les prendront sous leur aile à l’Université de Montréal. « En arrivant, nous ne parlions ni français ni anglais. Nous passions la majeure partie de notre temps dans la rue et dans le métro à jouer pour payer nos études et pour survivre », explique Elvira. C’est ainsi que les deux musiciens découvrent le répertoire klezmer, qui a beaucoup de succès auprès de leur auditoire. Ils enrichissent peu à peu ce répertoire et découvrent une musique à la fois festive et remplie d’émotion.
En 2000, ils rejoignent un groupe de musique klezmer existant et jettent les bases de Kleztory, qui donne son tout premier concert au club de jazz Upstairs. On y retrouve alors le contrebassiste Mark Peetsma, l’accordéoniste Henri Oppenheim et le guitariste Alain Legault. « En 2001, nous avons enregistré un premier album chez nous, avec les moyens du bord, raconte Airat. En quelques heures sur la rue Sainte-Catherine, nous avons vendu une centaine de disques. Les gens faisaient la file pour acheter notre album, c’était incroyable. » Par naïveté ou par aplomb, fiers de leur premier enregistrement, ils le présentent à Yuli Turovsky, directeur de l’orchestre de chambre I Musici de Montréal. Quelques jours plus tard, ce dernier leur propose de faire un enregistrement avec son ensemble. L’album qui en découle, Klezmer, sort en 2004 sous l’étiquette Chandos et est distribué dans 50 pays. Fini les rues et le métro, place aux scènes internationales. Le succès est rapide. En l’espace de quelques années, ils collaborent avec les orchestres symphoniques de Montréal, Québec et Laval ainsi que l’Orchestre Métropolitain, puis jouent aux quatre coins du monde.
Au confluent des styles et des émotions
Depuis la fondation de Kleztory en 2000, le groupe a connu bien des changements. Le guitariste Dany Nicolas et l’accordéoniste Mélanie Bergeron ont succédé respectivement à Alain Legault et Henri Oppenheim, sans oublier le sixième membre, l’agent Marc Labelle, un soutien indéfectible, la « clé du succès de Kleztory » selon Airat. Cette équipe de six est devenue une équipe d’amis au fil du temps, dévoués les uns aux autres. Une énergie que l’on ressent sur scène : « Chaque spectacle est une nuit de noces, dit Mélanie. On se surprend et on se découvre à chaque fois. Pendant les solos, on écoute ce que fait le musicien par intérêt pour ce qu’il est en train de vivre. » Pianiste de formation, Mélanie Bergeron a voulu se rapprocher du public et l’accordéon a été un médiateur efficace en ce sens. Elle a commencé avec le groupe Gadji-Gadjo, où elle a connu la musique klezmer et sa « saveur qui vient nous chercher au fond du cœur », et joue aujourd’hui dans divers groupes de musique du monde. Quant à Dany Nicolas, il apporte dans son jeu et dans ses compositions un souffle qui vient tout droit du fleuve. Le musicien originaire de Tadoussac joue notamment pour les groupes Sagapool, Apadooraï et Badaboom Band.
Kleztory s’enrichit donc des différentes personnalités de ses musiciens et du large éventail de leurs influences, du bluegrass à la musique de cirque, du folk au postromantisme russe, tout en restant proche de la tradition klezmer. Kleztory en a gardé l’essence et l’a personnalisée à travers des arrangements ou des compositions originales, que l’on trouve à parts égales dans le dernier album Nigun. Ainsi, la pièce d’Airat Kleztory’s Freylech est une danse très joyeuse à mi-chemin entre invention et tradition. Mark Peetsma invite le bluegrass avec la pièce Jerusalem Ridge de Bill Monroe. Soulmate est une Soina indpirée du genre traditionnel roumain, qui met ici en vedette le duclar, instrument récent à mi-chemin entre le duduk arménien et la clarinette. Écouter un album de Kleztory, c’est ouvrir son cœur à des influences venant du monde entier, rassemblées dans l’intensité émotive et la profonde ferveur de la musique juive.
Ayant reçu des propositions de concerts dans plusieurs pays d’Europe et à travers le Canada, le groupe devrait avoir une année chargée, d’autant plus qu’un nouvel album est en préparation, sur le thème de l’immigration : « Cet album représentera tous les réfugiés de la planète, annonce Airat. En des temps difficiles, nous croyons que la musique, comme langage et moyen de communication universel, peut faire une différence. » Convaincus que la beauté, la passion et l’amitié peuvent l’emporter sur les différends politiques, ces musiciens ont dans le fond de leur cœur cet inextinguible éclat d’espoir qui est peut-être la raison d’être de la musique klezmer.
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