Les lumières se tamisent. L’accord de l’orchestre active chez les spectateurs la dopamine de l’instant à venir. Le chef salue et la musique commence. Chaque concert est un événement unique qui se concrétise après plusieurs années de ré-flexion, d’idéation, de planification afin que tous les astres soient alignés le jour J.
Les choix forgent l’identité
Certains programmes s’imposent d’eux-mêmes, d’autres prennent du temps. La difficulté est de veiller à ce que l’ensemble de la saison soit équilibré pour refléter la vision de l’orchestre, stimuler les musiciens, être en phase avec son temps, correspondre au budget et émerveiller le public.
Le répertoire d’un orchestre évolue au fil de son histoire, des chefs qui le dirigent, des capacités des musiciennes et musiciens. Ainsi, si l’on veut ouvrir un orchestre à un nouveau répertoire, on préférera de courts morceaux permettant d’assimiler les spécificités du langage avant d’attaquer une grande symphonie ou un poème symphonique plus ardu dans une saison ultérieure. On choisira également un chef maîtrisant ce répertoire afin d’en tirer le meilleur. Tous les orchestres symphoniques jouent Beethoven, mais tous ne jouent pas Guerra-Peixe, Coulthard, Connesson ou Beach. Les choix dessinent les traits particuliers de chaque orchestre. Les orchestres états-uniens ont pris pour habitude de célébrer les compositeurs locaux, à l’honneur quasiment à chaque concert, ce que le Canada peine encore à faire entrer dans les pratiques. C’est pourtant grâce à de telles stratégies que le bassin de compositeurs s’enrichit, se diversifie, que l’intérêt du public se porte sur les « célébrités » locales et que le présent peut dialoguer avec le passé pour anticiper le futur.
Il est également primordial de stimuler les musiciens; tous ont des goûts différents, des répertoires favoris, mais tous ont le droit d’avoir un moment de liesse au cours de la saison. Je me souviens encore des visages radieux des percussionnistes de l’Orchestre Métropolitain après Speaking Drums de Peter Eötvös, pièce spectaculaire à la fois virtuose et humoristique qui convoque sur scène une myriade de percussions. Ce bonheur se communique instantanément au public.
Une saine communication
Bien que travaillant parfois deux ans en amont du reste de l’équipe, la direction artistique doit prendre en compte les besoins de chaque département. Respecter les budgets alloués, répondre aux contraintes techniques, acquérir des partitions, faire valoir les forces d’un programme auprès des services de communications, être en contact avec les artistes et leurs agents, prévoir les activités d’éducation… Dans ce ballet incessant, il est primordial qu’une saine communication soit en place afin de servir au mieux les artistes et le public sans brûler les précieuses énergies humaines qui sont le moteur des institutions culturelles.
La confiance dans la jeunesse
L’OSM a nommé Zubin Mehta alors qu’il avait 24 ans. Le chef légendaire aurait-il eu une telle carrière si ce grand orchestre s’était méfié de son jeune âge ? De même qu’il est primordial d’accorder plus d’importance à la scène de création locale, il me semble fondamental de valoriser les jeunes talents – qui ne manquent pas au Québec – en les mettant dans des situations où ils pourront se dépasser et grandir. La jeunesse regorge d’idées, de fougue, d’espoir, elle nous parle d’un monde en transformation. Les chefs assistants peuvent diriger des répétitions, un morceau en ouverture de concert, voire se faire confier un programme. Les jeunes solistes sont en mesure de nous faire découvrir de nouvelles œuvres, d’offrir des versions éclatées ou modernisées des canons du répertoire.
L’ouverture aux autres formes d’art
La musique ne doit pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire. À une époque où les financements publics s’amenuisent, où les esprits tendent à se refermer, il est plus que nécessaire d’ouvrir des dialogues, de tendre des mains et d’échanger. Lors de mon passage à l’Orchestre Métropolitain, j’ai créé un partenariat avec la librairie Gallimard, où la littérature rencontrait l’univers de la musique symphonique. Nous avons également fait rencontrer le monde symphonique et le jazz de manière inédite dans des concerts de Noël qui ont remporté un franc succès et rapproché des communautés musicales qui dialoguent trop peu. Aussi, m’inspirant d’un passage à Cleveland où j’avais pu admirer la baguette avec laquelle Wagner avait dirigé la Neuvième de Beethoven, j’ai établi une collaboration avec le joaillier et ébéniste Richard Hajj pour la création de trois baguettes sur mesure pour Yannick Nézet-Séguin. Ce ne sont là que des exemples de l’infinité de possibilités permettant d’ouvrir la musique symphonique à d’autres disciplines.
Nous sommes à l’aube de grands changements dans la manière de penser la programmation musicale. La mission éducative et sociale qui incombe aux orchestres a déjà entraîné des changements d’orientation. Les financements se tarissent, induisant des pressions inédites au sein des équipes. Le contrecoup conservateur ne saurait être une réponse adéquate. Il faut rivaliser d’imagination pour offrir au monde des institutions plus créatives, surprenantes, confiantes dans la jeunesse, qui deviennent le reflet cosmopolite d’une société en constante mutation.