En l’espace de trois décennies, le Nouvel Ensemble Moderne a profondément marqué le paysage de la musique des XXe et XXIe siècles, a créé des centaines d’œuvres et été un acteur majeur de la diffusion de la musique moderne. Lorraine Vaillancourt, directrice musicale depuis le premier jour, se souvient de ce concert du 3 mai 1989, qui a marqué un tournant dans l’histoire de la musique contemporaine au Québec.
Le début d’une aventure
En 1978, un petit groupe de passionnés de musique contemporaine met en place les Événements du Neuf. José Evangelista, John Rea, Lorraine Vaillancourt et Claude Vivier se donnent pour mission d’explorer les différentes tendances de la musique contemporaine et organisent de nombreux concerts. Parmi ces événements, la Tribune nationale des jeunes compositeurs était l’occasion de découvrir des musiques canadiennes inédites ou récemment créées. « On prenait le temps de découvrir les œuvres, c’est le processus qui importait. Je poussais les étudiants et j’arrivais à des résultats que je n’avais pas avec des professionnels. Les étudiants pensent qu’ils ont toujours tort, et c’est très bien, car cela les pousse à chercher », précise Lorraine Vaillancourt. Après la dernière Tribune en novembre 1988, et l’évolution des carrières de chacun des organisateurs, les activités de l’Événement du Neuf cessent. Pour autant, les musiciens ont pris goût au jeu et souhaitent poursuivre l’aventure. « Je suis donc partie d’un noyau de musiciens présents et j’ai ensuite choisi les musiciens un à un pour former un orchestre typique des ensembles de musique contemporaine qui existaient ailleurs, en Europe, en Australie… Nous voulions approfondir ces œuvres pour qu’elles aient une place dans la mémoire du public et des musiciens. On a commencé à répéter le 10 janvier et on a poursuivi tout l’hiver, ce qui est plutôt exceptionnel. » Lorraine ne pensait pas poursuivre au-delà du premier concert, qui est donné le 3 mai 1989 à la salle Claude-Champagne. Ligeti, Reich, Kagel, Gentile et Saariaho sont au programme et le public est tout simplement en délire. Un succès manifeste qui ouvre la voie du Nouvel Ensemble Moderne.
Pas de place pour la routine
Le 3 mai prochain, trente ans jour pour jour après ce premier concert, le NEM célébrera avec un concert qui représente son histoire. La Lettre posthume de Conrad du compositeur montréalais Michel Longtin ainsi que Journey of the Magi du compositeur britannique James Wood seront au programme. Ces deux pièces ont été écrites pour le NEM et les Percussions de Strasbourg et créées à Strasbourg en 2000. Pour l’occasion, c’est l’ensemble à percussion Sixtrum, en résidence à l’Université de Montréal, qui se joint à cette fête qui sera complétée par Déserts de Varèse. Afin de faire un retour créatif sur les trente ans du NEM, le collectif Isotone présentera en marge du concert un environnement visuel et musical où se mêleront images, vidéos et enregistrements d’archives, rappelant trente ans d’originalité au service de la musique.
En effet, le NEM ne ressemble pas vraiment aux ensembles de musique « traditionnels ». « Il n’y a pas de place pour la routine ici. On découvre tout le temps. Il y a une forme d’expertise qui nous fait regarder les choses d’un peu plus haut, mais on apprend encore. Cela tient beaucoup à l’esprit et à l’engagement des musiciens. » Cette volonté de découverte permet de garder un œil toujours neuf sur le répertoire. C’est d’autant plus important que les notations et langages contemporains sont très différents d’un compositeur à l’autre, ce qui requiert une attention de tous les instants. Chose peu habituelle dans un milieu où le répertoire est souvent digéré en quelques jours ou semaines, le NEM commence les répétitions au moins trois mois avant le concert, ce qui permet de laisser mûrir l’œuvre : « Les musiciens du NEM ont compris l’intérêt de travailler les œuvres en amont et ils y tiennent maintenant. En procédant ainsi, on peut évaluer le travail qui reste à faire et mieux comprendre où focaliser son énergie. Cela fait trente ans que ce régime dure. »
Musiciens et chef, experts de l’oreille et du temps
Que faut-il pour être un musicien dans le NEM ? « Il faut aimer la musique ! Et ensuite ne pas avoir peur de relever des défis. Il y a ensuite une question d’entente avec les autres musiciens. Il faut comprendre, au bout d’un moment, que notre la n’est pas meilleur que celui du voisin. Enfin, il y a une question d’endurance, de résistance physique à l’effort. Un concert est très exigeant et certains musiciens n’ont pas la force physique et la concentration pour tenir la distance. C’est un véritable sport olympique ! » Bien entendu, c’est sans parler du raffinement, de la musicalité, de la rigueur et de l’écoute de ces virtuoses.
Que faut-il pour être directrice musicale dans le NEM ? « On repart du même endroit…il faut aimer la musique d’aujourd’hui, avoir envie de la comprendre. Techniquement, la première chose, c’est le contrôle du temps. Les changements de tempos, de métrique sont souvent constants et complexes. La deuxième chose, c’est l’écoute intérieure : on a souvent du répertoire nouveau, jamais enregistré. Il faut savoir l’entendre sur la feuille. En outre, il faut pouvoir suivre parfois quinze parties qui vont chacune de son côté et rester proche de la partition afin de ne pas laisser les musiciens prendre de mauvaises directions. »
Avec une telle discipline, nous assisterons sans aucun doute à un concert-anniversaire mémorable, qui viendra souligner trente ans d’excellence passés à faire rayonner le répertoire musical des XXe et XXIe siècles. On souhaite au NEM au moins trente autres années de plaisir et de musique ! www.lenem.ca