« Je suis arrivée à Paris à vingt-trois ans pour travailler avec Yvonne Loriod-Messiaen. J’avais un peu d’expérience de collaboration avec des compositeurs et à cette époque je jouais la sonate d’Henri Dutilleux. Sans penser plus loin, j’ai pris l’annuaire téléphonique, je l’ai appelé et, très gentiment, il m’a invitée chez lui. Je lui ai joué sa sonate dans son appartement sur l’île Saint-Louis. C’est un souvenir tellement précieux. »
Le secret d’une carrière aussi intense, c’est peut-être cette insouciance qui anime la pianiste Louise Bessette, toujours à la recherche de nouvelles idées pour mettre en valeur le répertoire contemporain. Le premier prix du Concours national de musique Eckhardt-Gramatté en 1981 lance sa carrière de pianiste. Elle se rend à Paris dans l’idée d’y étudier un an, elle y restera quatorze ans, cumulant perfectionnement, prix internationaux et rencontres inoubliables, avant de revenir s’installer au Québec. En trente-sept ans de carrière, elle a publié une trentaine d’albums, avec une belle part pour la musique d’Olivier Messiaen et de Gilles Tremblay, et participé activement à la reconnaissance de la musique contemporaine au Canada et à travers le monde. Louise Bessette recevra en avril prochain le Prix du Gouverneur général des arts du spectacle, plus haute distinction dans ce domaine au Canada, récompensant l’ensemble de son œuvre ainsi que sa contribution exceptionnelle au milieu des arts. Avant elle, Angela Hewitt, Walter Boudreau ou encore Anton Kuerti ont reçu cette précieuse reconnaissance : « Je me sens honorée de recevoir ce prix si prestigieux, qui couronne bientôt quarante ans de carrière musicale et me pousse à développer encore plus d’idées et de projets. J’ai la chance d’être en bonne santé et d’avoir de l’énergie, alors je vais continuer ! »
Les quatre saisons du livre des souvenirs
Il n’est pas toujours évident de faire un saut dans son passé. Louise Bessette vit dans le présent et prépare chaque concert comme si c’était le plus important. Pour autant, quatre événements majeurs, dont elle est par ailleurs l’initiatrice, ont jalonné son parcours artistique. À commencer par l’Automne Messiaen en 2008 : « Je ne voulais pas passer à côté du centenaire de Messiaen. Il y a eu une quarantaine d’événements pendant tout l’automne, de septembre à décembre. Tout le monde répondait positivement, jusqu’à l’OSM qui a présenté l’opéra Saint-François d’Assise. » Tout au long de l’automne, Montréal a vibré des couleurs, rythmes et chants d’oiseaux d’Olivier Messiaen, ce qui a valu à son instigatrice les prix Opus de l’interprète de l’année et de l’événement musical de l’année.
En mars 2012, la pianiste fête à la Chapelle historique du Bon-Pasteur ses trente ans de carrière, avec trois concerts dans la même journée : « Le premier était constitué de quatre créations de compositeurs québécois, Serge Arcuri, Michel Boivin, Michael Oesterle et Ana Sokolovic; mélange de piano solo et d’orchestre de chambre. Le deuxième était en solo, avec la Suite n° 9 de Giacinto Scelsi, et Les Planètes de Walter Boudreau. Le soir, le pianiste britannique Peter Hill était présent et nous avons interprété Le Sacre du printemps dans la version pour piano quatre mains, ainsi que les Visions de l’Amen de Messiaen pour deux pianos. La journée s’est terminée et j’étais encore en pleine forme. » Résultat, un public comblé et deux nouveaux prix Opus.
C’est un nouvel anniversaire qui revient à la mémoire de Louise, les vingt-cinq ans de la Chapelle historique du Bon-Pasteur. « Guy Soucie voulait que je collabore à l’événement et que plusieurs compositeurs montréalais soient programmés. Il m’est alors venu l’idée de faire un survol des vingt-cinq ans, avec vingt-cinq compositeurs québécois principalement montréalais, en terminant par la création d’une œuvre de Maxime McKinley alors compositeur en résidence à la Chapelle. » 25 ans de musique québécoise avec Louise Bessette fait un panorama exceptionnel d’un quart de siècle de création musicale en quatre récitals. La boucle est bouclée, nouveau prix Opus.
Enfin, l’an dernier, une nouvelle idée saisit Louise Bessette alors qu’elle se promène au Planétarium. Elle veut jouer Les planètes de Walter Boudreau dans un endroit comme celui-ci. Une équipe s’organise alors pour présenter l’œuvre dans la Satosphère de la Société des arts technologiques : « Yan Breuleux a conçu un piano-lumière, comme Scriabine par le passé, et tout ce que je jouais déclenchait une réaction visuelle, ce qui rendait chaque représentation unique. » Ce concert immersif présenté entre février et juin 2018, proposant un dialogue entre la prestation de la pianiste et le visuel sur la voûte à 360°, connaît un tel engouement, qu’au lieu des cinq représentations prévues, il en sera donné seize !
Conseils aux jeunes pianistes
« Certaines œuvres permettent d’accéder plus facilement au répertoire contemporain. La musique de Debussy, Ravel, Prokofiev, Scriabine, Schoenberg ou Berg est une belle porte d’entrée. J’avais dix-sept ans quand j’ai joué mon premier Regard de Messiaen, il s’agissait de la Première communion de la Vierge, et je trouve que c’est une bonne introduction à l’œuvre de Messiaen. Côté canadien, j’aime beaucoup les œuvres pour piano de Gilles Tremblay, qui a beaucoup exploité le phénomène des résonances, ce qui développe beaucoup l’écoute. Ses œuvres sont très bien écrites pour piano et sont tout à fait accessibles sur le plan technique. Enfin, il faut en écouter beaucoup et assister aux concerts, c’est encore la meilleure chose pour s’en imprégner. » La discographie de Louise Bessette offre par ailleurs un très beau panorama des musiques pour piano des XXe et XXIe siècles; pourquoi ne pas commencer par là ?
C’est la tête reposée, pleine de ces beaux souvenirs que Louise recevra, les 26 et 27 avril prochain à Ottawa, le Prix du Gouverneur général. Mais sa carrière est loin d’être terminée… Pleine d’énergie et de projets en tête, elle n’est pas prête de délaisser le piano, pour notre plus grand bonheur.
Prochains concerts de Louise Bessette : le 28 avril au Betty Oliphant Theatre de Toronto avec le New Music Concerts Ensemble dirigé par Robert Aitken dans le concerto pour piano Envoi de Gilles Tremblay, puis le 15 juin à la salle Claude-Champagne de Montréal avec l’Ensemble Sinfonia dirigé par Louis Lavigueur dans les célèbres Rhapsody in Blue et Concerto en Fa de Gershwin ! www.louisebessette.com