Festival MNM : occuper Montréal

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Du 21 février au 3 mars 2019, la 9e édition du Festival Montréal/Nouvelles Musiques (MNM), organisée par la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) et son directeur artistique Walter Boudreau, a rayonné dans toute la métropole. Plus de 20 concerts et activités dans 12 lieux différents ont permis de découvrir des chemins, des couleurs et des artistes très divers, fiers représentants de la musique de création actuelle. Certains concerts ont affiché complet, comme Bach, Beatles, Brady : 150 guitares à l’Oratoire St-Joseph, d’autres au caractère plus marginal avaient un auditoire restreint, sans pour autant manquer d’audace et de créativité.

Le numéro de février-mars de La Scena Musicale présentait un éventail de concerts pour tous les goûts. Nous avons assisté à plusieurs d’entre eux. Le concert d’ouverture, couvert par Dino Spaziani, présentait quatre grands actes, une « soirée de déploiement des voiles aux grands vents » à l’église St-Jean-Baptiste avec notamment la première canadienne de Stasis du compositeur Samy Moussa. La thématique des grands espaces a permis au festival de s’exporter dans des lieux et salles très divers, offrant une belle démonstration du questionnement sur la spatialisation dans la création actuelle.

Ainsi, l’Agora Hydro-Québec du pavillon des sciences de l’UQAM s’est transformée les 19, 20 et 22 février en salle d’opéra pour recevoir l’Hypothèse Caïn de Michel Gonneville (musique), Alain Fournier (texte et mise en scène) et Mario Côté/Catherine Béliveau (scénographie). Cette œuvre complexe, relecture moderne du mythe d’Abel et Caïn avec une portée psychanalytique importante, mettait en lumière quatre personnages mythologiques et un quatuor d’archéologues, ainsi qu’un orchestre formé de trois ensembles musicaux distincts.

De manière globale, musiciens et chanteurs ont réalisé un travail admirable. L’excellence des ensembles musicaux (Quasar, Magnitude 6 ainsi qu’un trio amplifié) dirigés par Cristián German Gort a fourni un socle solide gardant le cap malgré une absence de repères communs, livrant une musique aux textures emplies de tension, souvent dérangeante, oppressante. Dans cette atmosphère rude, les chanteurs mythologiques amplifiés ont livré une belle prestation. Une Ève (Claudine Ledoux) dérangée, quasi-folle et fanatique, un Abel (Thomas MacLeay) jaloux qui n’arrive pas à quitter le cocon maternel, un Caïn (Simon Chalifoux) empiriste et révolté, mais fondamentalement bon, et une Adah (Marie-Annick Béliveau), femme et sœur de Caïn, compréhensive et conciliante.

Si le livret, épuré, garde une part de mystère et de non-dit intéressante dans la bouche des personnages mythologiques, il est en revanche assez simpliste et prosaïque en ce qui concerne le quatuor d’archéologues. La mise en scène est judicieuse en cela qu’elle englobe musiciens et chanteurs sur des plans différents, donnant une belle profondeur à l’ensemble, mais cela pose plusieurs problèmes qui n’ont pas tous trouvé la résolution attendue : ainsi, les chanteurs qui ne voient pas le chef sont souvent tributaires du moniteur vidéo pour leurs départs. L’œuvre se clôt sur une longue et profonde méditation musicale et visuelle, synthèse du plus bel effet qui permet de faire retomber la tension accumulée tout au long de cette proposition opératique. www.hypothesecain.michelgonneville.net/

L’humain ou la machine… Des compositeurs.trices s’interrogent sur leur avenir

Le mercredi 27 février, un long colloque a pris place dans cette même Agora Hydro-Québec sur la question du métier de compositeur. Compositeurs : une espèce en voie de disparition ? Tel était le cri d’alarme de Sandeep Bhagwati, qui voulait questionner la place de l’intelligence artificielle dans le processus de composition. Une trentaine de personnes, principalement des étudiants en composition, professeurs de composition et musicologues se sont rassemblés pour une journée prenant davantage la forme d’une discussion de groupe que d’un colloque universitaire.

Le compositeur Sandeep Bhagwati

La matinée, ponctuée d’interventions de Danick Trottier, Jonathan Goldman ou Patrick Saint-Denis, était orientée sur l’interaction entre l’humain et l’ordinateur, à travers les différentes formes qu’elle peut prendre, de la musique assistée par ordinateur à la lutherie numérique, intersection entre informatique physique et informatique musicale. La question du rôle des universités était également au premier plan, à savoir si celles-ci devaient accepter des étudiants sans connaissances préalables de l’écriture, de l’harmonie ou de l’orchestration, mais sachant manipuler des logiciels à des fins de composition. Plus généralement, l’université doit-elle être la gardienne d’un savoir plus traditionnel ou encadré, ou un lieu d’accueil et d’ouverture de toutes les pensées, question épineuse sur laquelle il convient de débattre.

L’après-midi a laissé place à des réflexions sur le rôle du compositeur, l’écoute et l’interprétation, avec des interventions de John Rea, Charles-Antoine Fréchette, Sandeep Bhagwati ou encore Nicholas Ryan. On s’accorde pour dire que le rôle du compositeur est de « travailler la matière », ce qui peut se rapporter à l’artiste en général. Les discussions portent sur la notion de transcendance, de spiritualité, sur la responsabilité éthique ou encore écologique du compositeur. Si l’on ne cherche pas forcément de réponses, on pose les questions, on défend son point. Un libre débat dans lequel chacun apporte sa couleur. Cette journée d’étude a eu l’avantage de poser des questions pertinentes, mais sa principale utilité, à mon sens, était de rassembler étudiants, compositeurs et professeurs venus d’univers et d’institutions différents en un même lieu. Ces initiatives devraient être répétées afin de créer une véritable communauté de créateurs, étape nécessaire à la diffusion de cet art à un plus large public, et aux autres disciplines artistiques.


Moment fort et moment phare de cette 9e édition, les monumentaux Klang de Karlheinz Stockhausen ont été présentés à la Société des Arts Technologiques les 28 février et 1er mars, dans leur intégralité, 21 pièces totalisant 13 heures de musique ininterrompue. Si mon agenda me l’avait permis, je serais volontiers resté pour l’écoute intégrale, passant de salle en salle, confortablement installé dans un pouf de la Satosphère en contemplant un cosmos autant visuel qu’auditif. Non seulement cet ultime cycle de Stockhausen est très accessible, mais il prend tout son sens à travers l’expérience immersive proposée par le Festival MNM. Combinaisons de solistes ou chambristes et de musique électronique, le cycle se développe à travers des pièces d’une durée moyenne de 20 à 30 minutes, où chacun y trouve son compte. Les rêveurs peuvent à loisir se laisser emporter par les Cosmic Pulses qui sous-tendent l’œuvre, les curieux peuvent admirer l’étrange percussionniste qui frappe sur une porte d’église reconstituée dans Himmels-Tür,  les experts peuvent compter les strates de musique électronique ou respirer avec les Natürliche Dauern. Résultat d’une vie d’expérimentation et de développement, Klang a un caractère rassembleur, en cela qu’elle transcende notre état pour nous faire entrer dans un temps cosmique qui nous dépasse, cet instant-éternité dont Stockhausen était le maître incontesté.

Ainsi s’achève notre présence au Festival MNM, qui réservait de nombreuses autres surprises. En laissant la place aux musiques actuelles, contemporaines et électroacoustiques, le festival est une vitrine éclectique pour les créateurs et créatrices d’aujourd’hui, et permet au public de sentir le pouls d’un milieu en perpétuelle ébullition. On souhaite qu’il se généralise et s’étende à un auditoire toujours plus large et curieux au fil des prochaines années, et qu’il attire vers lui une partie de la lumière accaparée par d’autres festivals.

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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