Concertos de Chopin, Richard-Hamelin/OSM/Nagano. Historique.

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Près de quatre ans après avoir été amorcé, un projet d’envergure se matérialise cette fin de semaine avec la sortie des deux Concertos pour piano de Chopin sous étiquette Analekta, mettant en lumière le pianiste Charles Richard-Hamelin et l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Kent Nagano. Une collaboration entièrement québécoise qui va faire parler d’elle dans les temps à venir : « C’est l’un des cinq meilleurs albums jamais sortis des presses d’Analekta », se réjouit son président François-Mario Labbé. Près de 32 ans après la fondation de la maison de disque, cet enregistrement historique vient rappeler au monde entier l’excellence des interprètes d’ici. « Après la victoire de Charles Richard-Hamelin au concours Chopin en 2015, j’ai eu l’idée d’enregistrer ces concertos et j’en ai fait part à Kent Nagano, qui s’est tout de suite montré intéressé. » En octobre 2018, les protagonistes ont présenté à la Maison symphonique trois concerts autour de ce répertoire de Chopin, en hommage au 100e anniversaire de l’indépendance polonaise. « J’ai eu un véritable coup de cœur en écoutant le master », confie le président d’Analekta. Il n’en fallait pas plus pour cristalliser cette collaboration inédite et exceptionnelle.

20 ans plus tard…

En 1999, l’Orchestre symphonique de Montréal, alors sous la direction de Charles Dutoit, publiait les Concertos de Chopin chez Warner Classics, avec nul autre que Martha Argerich. L’enregistrement avait été réalisé à l’église de Saint-Eustache en octobre 1998, vingt ans exactement avant celui de Charles Richard-Hamelin. Une génération plus tard, cette nouvelle rencontre entre Chopin et le Québec résonne comme un écho singulier. Pour autant, il ne s’est pas concrétisé du jour au lendemain…

Après avoir pris connaissance de ce projet ambitieux, le pianiste montréalais avoue être rapidement passé de l’enthousiasme à une angoisse bien compréhensible. Alors qu’il venait de jouer pour la première fois au concours Chopin le Concerto en fa mineur avec un orchestre, il devait maintenant l’enregistrer avec l’un des meilleurs orchestres au monde. « Les deux concertos ont occupé tout mon temps pendant plusieurs mois, ils étaient au programme de mes concerts, et en l’espace de trois ans, j’ai joué environ vingt-cinq fois celui en mi mineur et plus de soixante fois celui en fa mineur. » De tournée en tournée, ces deux œuvres accompagnent Charles quotidiennement, inlassablement. Plus le temps passe, plus il gagne en confiance et cherche à exprimer dans son jeu sa compréhension profonde des concertos. « Je connaissais de nombreuses versions de ces concertos, mais pendant mon travail préparatoire à l’enregistrement, je les ai laissées de côté, j’ai demandé peu d’aide. Je voulais me faire confiance. »

Photo : Antoine Saito – OSM

Le temps élastique de Chopin

Avant de rencontrer Charles Richard-Hamelin, j’ai eu l’occasion d’écouter plusieurs fois l’enregistrement, et de le comparer aux versions antérieures que je connaissais bien, celles de Krystian Zimerman, Martha Argerich ou encore Maria João Pires. À la première écoute, j’ai été surpris par le temps que prenait Charles pour rendre certains passages, égrénant chaque note avec une clarté et une méticulosité étonnantes. J’ai été surpris par l’orchestre, toujours discret, assez austère, éloigné de la fougue et de l’impétuosité que l’on peut entendre sur certains enregistrements. Pourtant, cette version révélait une beauté incroyable, qui n’était pas à rechercher dans les envolées lyriques ou dans le romantisme exacerbé, mais à travers la symbiose d’un langage hybride, à mi-chemin entre classicisme et romantisme, langage de transition qui transparaît dans l’écriture de Chopin alors âgé de 19 ans. La deuxième écoute, guidée par la première, a été un véritable moment de liesse, d’extase. Chaque ligne épousait une courbe longuement mûrie, sans manières, sincère et communicative. Chaque trait était un mouvement de danse gracieux tout en appuis, en tensions et en élasticité. L’orchestre semblait émerger comme une lente et profonde inspiration provenant du piano même, servant le soliste avec toute la modestie, la légèreté et la transparence inhérente au texte musical. La symbiose entre soliste et orchestre y était magistrale.

Photo : Benjamin Goron

« Il y a une belle tension dans les concertos de Chopin entre les tutti d’orchestre très classiques et la partie de piano beaucoup plus fantaisiste. On ne peut pas aborder les deux de la même façon. Dans le travail réalisé avec Kent Nagano, nous avons cherché un contraste entre l’austérité de l’orchestre et la liberté du piano », précise Charles Richard-Hamelin. Chronologiquement, le Concerto no.2 a été écrit le premier, en 1829, c’est sans doute l’une des raisons qui le place en tête de cet album. Il est dédié à la comtesse Delfina Potocka, grande amie et confidente de Chopin, qui sera présente pour le veiller sur son lit de mort en 1849. Quant au Concerto no.1, écrit en 1830, il est dédié au virtuose allemand Friedrich Wilhelm Kalkbrenner. Certains critiques ont tendance à rabaisser un peu vite l’orchestration de ces concertos, jugée peu fournie, trop légère, mais comme le dit à juste titre Charles Richard-Hamelin, « Chopin voulait qu’on goûte à tous les détails de la partie de piano. Ses concertos sont comme des arias avec orchestre qui durent 40 minutes, et c’est assez unique dans le répertoire musical. » Ainsi, le pianiste a pris le temps d’analyser chaque passage de ces airs sans paroles, où l’on retrouve notamment, comme souvent chez Chopin, les fameux traits de 40 ou 50 notes aux courbes irrégulières : « J’ai vraiment pris la peine de voir les points de tension dans chacune des notes, car elles ne sont pas faites pour être jouées de la même façon, à la même vitesse ou avec la même vélocité. Il y a des dissonances et des contours qu’il faut souligner. Il faut que le temps soit assez élastique chez Chopin. »

Photo : Antoine Saito – OSM

Le monde entier peut maintenant profiter de cette franche réussite façonnée au Québec. Il ne vous reste plus qu’à vous procurer ce bijou et à rendre votre temps élastique pour goûter, dans le calme d’une fin de semaine, les volutes de la romance du premier concerto ou les feux follets de la finale du second. Écoutez l’orchestre et le pianiste respirer ensemble, dans chaque ligne, chaque mouvement, prenez le temps de sentir la délicatesse, la vulnérabilité de la musique de Chopin sous les doigts de l’un de ses plus vibrants interprètes. Cet album est une offrande, un baume et une étreinte.

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Chopin : Concertos no.1 et 2 / Charles Richard-Hamelin, Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano. Analekta, AN 2 9146. https://www.analekta.com/  http://www.charlesrichardhamelin.com/

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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