Critique de film | Les jours heureux de Chloé Robichaud

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Par An Ven et Charles Angers

Montréal est riche d’autant de musicalités et d’émotions fortes que soixante musiciens d’orchestre berçant nos tympans au son des génies du passé. Et les émotions, elles sont au cœur de ce film : comment les mettre au service de l’art, mais aussi de notre vie, en est le thème central. Comme l’a si bien dit Chloé Robichaud, réalisatrice et scénariste du long métrage, « se lancer dans la poursuite et la production d’un film de cette échelle est un risque en soi. »

Dire que la jeune réalisatrice a commencé la longue épopée cinématographique de cette œuvre il y a déjà sept ans, le tout malheureusement délayé par les entraves de la pandémie. Mais, l’alliance avec sa grande amie, l’actrice Sophie Desmarais − qu’on avait aussi vue dans Sarah préfère la course de la même réalisatrice en 2013 − a porté ses fruits.

Festin d’émotions d’un duo inaltérable

Emma (Sophie Desmarais), jeune cheffe prometteuse et Patrick (Sylvain Marcel), son père et agent, nous engagent dans une relation père-fille avec une sévérité rappelant la rigueur inhérente à la musique à grand déploiement. Douée, entraînée, mais aussi châtiée depuis l’enfance, Emma nous donne l’impression de chercher un second souffle introuvable durant une grande partie de sa prestation, sa peur de l’eau et son incapacité à nager détaillant métaphoriquement la façon dont elle approche sa vie intime et son travail.


Desmarais est éblouissante, aussi rigide dans sa posture professionnelle que fragile dans sa vie émotionnelle. Un couple incertain avec une femme au passé concassé, un père impardonnable aux méthodes ravageuses, tout dans la vie d’Emma ne pourrait être plus éloigné du titre « Les jours heureux ». Certes, elle les compte, car ils sont rares, et on pourrait même dire que le spectateur n’en voit aucun jusqu’au dénouement du film, qui, sans nous apporter une finalité dans chaque arc exploré, nous laisse avec un pincement de joie et un certain vague à l’âme.

Le jeu du corps

En tout, Desmarais dirige les musiciens de l’Orchestre Métropolitain avec crédibilité et assurance pendant un cinquième du film. Il est flagrant qu’elle s’est engagée dans un entraînement rigoureux sous le mentorat de Yannick Nézet-Séguin, conseillé artistique de la production, afin de rendre justice à l’ergonomie des chefs d’orchestre. Emma est brûlante comme le feu, mais ses sueurs sont souvent froides, son père la jugeant chaque seconde autant que les agents musicaux auprès desquels elle cherche à trouver sa place légitime. La scène où elle perd peu à peu le contrôle parfait de l’orchestre telle une toupie menaçant de s’écrouler à chaque milliseconde était en isochronie avec le montage dYvann Thibaudeau.


Très bien maîtrisé visuellement, le film réussit à nous faire sentir la constriction émotionnelle vécue par le personnage principal. Les plans rapprochés sur le visage sans fard d’Emma durant ses prestations, où on peut entendre sa respiration, sont fort efficaces. L’actrice tient réellement le film sur ses épaules, aidée de Sylvain Marcel, fort persuasif.

Une entropie circulaire

Naëlle (Nour Belkhiria) et Sabrina (Maude Guérin) contribuent à resserrer l’enclos autour d’Emma dans les rôles respectifs d’amante et de mère. La relation amoureuse entre Emma et Naëlle est sans cesse interrompue par l’incertitude de cette dernière à devoir choisir entre la musicienne et le père de son fils, Jad (le petit Rayan Benmoussa dans son premier rôle). Quant à sa mère, Sabrina, elle ajoute un poids dans ses déboires avec l’architecte de ses tourments, joué par Marcel, le tout formant une tornade d’oppression devenant un peu indigeste devant les embûches indomptables qui parsèment sans arrêt le parcours de la cheffe d’orchestre. Comprenez bien : la faute ne tient pas tant dans la forme des conflits, mais plutôt dans le laisser-aller qui conclut le film sans que presque aucune des relations narratives lancinantes ne connaisse d’aboutissement. Les personnages secondaires forment donc ce cercle se compressant sur les temps agités d’Emma et, pour autant que le script échappe parfois la balle, la performance de Desmarais pallie toujours ces petites inégalités.

Aux grands noms les grandes saisons

Un jeu narratif très créatif de la part de Chloé Robichaud était de séparer les mois de l’année en termes de compositeurs à braver pour la carrière d’Emma. Cela entretient à la fois l’intérêt musical pour les fins connaisseurs ainsi qu’une trame enlevante quant à l’aspect esthétique et auditif tout au long du parcours de la cheffe. Mozart, Schoenberg, Mahler… la variété n’a d’égale que l’interprétation fantastique de Sophie Desmarais. Et il faut souligner que Nour Belkhiria (Naëlle), sans connaître une note de violoncelle, nous convainc aisément qu’elle est une professionnelle dans son rôle. Saluons également ici sa prestation torturée, mais le script la faisait sans cesse tourner en rond en ajoutant des bâtons dans les roues déjà enrayées de son amoureuse.

Silence

Du début à la fin de la présentation, l’audience était subjuguée et entraînante et l’émotion de la réalisatrice crevait le micro. La corrélation entre Emma, ses instruments, son père toxique et ses troubles amoureux aurait cependant bénéficié d’un bain de silence. Silence, pour prendre le temps de respirer et de conclure dignement des boucles sans nœuds. Chloé Robichaud a tissé une grande boucle en débutant et terminant son œuvre avec le parallèle de la peur de l’eau d’Emma − peur d’être noyée, dépassée et contrôlée par des forces l’ayant assujettie toute sa vie. On aurait souhaité que les personnages formant son entourage aient droit à une telle tombée de rideau.

Les jours heureux, en salle dès le 20 octobre. 
https://lesjoursheureuxlefilm.com/

 

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