Wallis Giunta : l’opéra hors des sentiers battus

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Wallis Giunta a tout pour elle. La mezzo-soprano canado-irlandaise allie une colorature souple et précise à une présence scénique captivante. Elle possède un talent transcendant. Artiste décalée, elle a su rester fidèle à ses idiosyncrasies en les utilisant pour grandir et repousser les frontières. Elle est aussi l’archétype d’une chanteuse d’opéra novatrice et difficile à classer, aux goûts éclectiques, qui cherche constamment de nouveaux moyens de communiquer avec son public.

La Scena Musicale s’est entretenue au téléphone avec l’énergique rouquine juste avant ses débuts à l’Opéra de Seattle, dans le rôle-titre de La Cenerentola de Rossini. Elle sera au Canada le 24 novembre pour un récital avec le pianiste Steven Philcox à l’Université de Toronto.

Ses débuts

Giunta a grandi à Ottawa, dans une maison qui abritait une collection éclectique de disques allant de Michael Jackson à Mahler. Son père, Mike Giunta, un animateur de radio bien connu, producteur et acteur de voix, est un des directeurs de programmes fondateurs de Galaxie (maintenant Stingray), un service audio multiplateforme qui diffuse de la musique en continu.

Dès son plus jeune âge, elle chante et improvise des harmonies sur différentes chansons folkloriques avec sa sœur, qui l’accompagne à la guitare. Membre de l’Ottawa Central Children’s Choir pendant six ans, elle a voyagé avec le chœur aux États-Unis, en Italie, au Royaume-Uni, au Japon et partout au Canada.

À l’âge de 15 ans, Giunta décroche une place dans le chœur d’Opéra Lyra, une importante compagnie d’opéra à Ottawa. Elle chante dans des productions de Madama Butterfly et de La Bohème et « en tombe tout simplement amoureuse ». Elle décide alors de devenir chanteuse d’opéra. Elle commence son cheminement opératique en tant que soprano, mais sa professeure Jean MacPhail de l’École Glenn Gould du Conservatoire royal de Toronto la guidera dans son développement vocal et l’aidera à devenir mezzo-soprano.

Photo : Kirsten Nijhof

Giunta est aujourd’hui en voie de devenir un nom établi dans le milieu de l’opéra. Elle est reconnue pour sa capacité d’adapter sa voix argentée à divers styles vocaux et elle est à l’aise en concert, en récital ou à l’opéra.

TEDx Talk

L’an dernier, Wallis a donné une conférence TEDx intitulée Singing out of the Box (chanter hors des sentiers battus). Elle voulait ainsi exposer toutes les facettes de sa voix. Elle a chanté Una voce poco fa du Barbiere di Siviglia de Rossini, I Can Cook Too de la comédie musicale On the Town de Leonard Bernstein et She Moved Through the Fair, une chanson populaire irlandaise a cappella.

Quelle était sa motivation derrière cette conférence ? L’opéra peut être un domaine très rigide régi par les catégorisations vocales. Par conséquent, il peut être difficile pour les chanteurs aux multiples facettes d’être pris au sérieux.

« Je n’ai jamais eu de difficulté à trouver du travail en tant que chanteuse, mais je crois que certains dans l’industrie préfèrent qu’une chanteuse se spécialise dans un style particulier », dit Giunta.

Pour les non-conformistes, il peut être étouffant et préjudiciable de vouloir rentrer dans le moule. La clé de son succès a été d’embrasser et d’explorer différentes facettes de sa voix et de son art.

« On m’a proposé de nouveaux projets passionnants parce que j’avais la réputation d’être un peu bizarre. Par exemple, les organisateurs des BBC Proms à Londres m’ont contactée l’année dernière parce qu’ils célébraient le 100e anniversaire de Bernstein. Ils recherchaient des chanteurs classiques polyvalents et capables de donner un récital composé de répertoire classique traditionnel, de musique contemporaine exigeante et expérimentale ainsi que de théâtre musical.

« Rester sur un chemin très étroit et ne jamais élargir ses horizons : non, je ne pense pas que ça serve au chanteur. Au contraire, ça le limiterait. »

Mélodies, folk et récitals

Wallis aime inclure de la musique contemporaine au programme de ses récitals, en particulier de la musique folk/canadienne d’artistes tels que Gordon Lightfoot, Joni Mitchell et James Avery. La manière dont Lightfoot utilise ses instruments et dont il compose pour sa guitare partage des caractéristiques avec une chanson classique espagnole ou une chanson folk irlandaise ou celtique. « Ces compositeurs abordent leurs œuvres avec sérieux, ce qui leur permet de bien se mélanger à d’autres mélodies. »

« Le mois prochain, je donne un concert à Toronto dans le cadre de la série Moordale et je chante notamment deux chansons de Joni Mitchell. Elle est tout simplement fantastique et elle utilise sa voix d’une manière très saine, donc j’apporte très peu de changements quand je chante sa musique. Je n’y mets pas tout le son de l’opéra, mais je le chante d’une manière classique et saine. »

Technique vocale

Photo: Kirsten Nijhof

« Je ne suis pas vraiment de régime ou de technique en particulier, dit Giunta. Je considère plutôt la technique vocale comme une boîte à outils remplie d’idées que j’ai recueillies auprès de tous les professeurs et entraîneurs que j’ai eus dans ma vie. »

Giunta se définit comme une chanteuse à mi-chemin entre la technique et l’intuition. « J’ai généralement tendance à être intuitive jusqu’à ce que je constate que cela ne fonctionne pas, dit-elle en riant. Alors, je fouille dans ma boîte à outils et j’essaie les différentes stratégies qui ont donné des résultats auparavant. » Le plus important selon elle est d’être confiante et de ne pas trop penser techniquement, cela la libère et la rend présente sur le plan émotionnel et dramatique. « Voilà comment on obtient de vraies prestations exaltantes ! »

« Le plus difficile dans mes débuts, surtout dans la vingtaine, était le soutien respiratoire. J’ai un niveau d’énergie très élevé, toujours en effervescence, et je suis naturellement assez mince avec une cage thoracique étroite. J’ai souvent eu l’impression que je n’arrivais pas à me connecter à mon corps et à y trouver assez d’espace pour respirer autant qu’il le fallait. »

Le fait de déménager à Leipzig et d’adopter un rythme plus lent a aidé Giunta à se stabiliser. « J’étais isolée et tranquille et je devais être seule avec moi-même, dit-elle. J’ai dû me détendre et me connecter à moi-même. » Elle a découvert une technique de respiration dans le yoga qui s’est avérée utile. « Il s’agit de l’idée que créer de l’espace pour la respiration n’est pas une action, cela n’implique aucune force ou effort, les poumons agissent comme un vide. Lorsque vous expirez complètement tout l’air, les poumons se remplissent presque automatiquement, cela est naturel. J’ai donc changé ma mentalité et au lieu de penser à prendre une grande respiration énergique, j’ai commencé à m’assurer que j’avais complètement utilisé tout mon air dans la phrase précédente pour avoir l’impression que mes poumons se remplissent par eux-mêmes. J’ai compris qu’essayer de forcer ma respiration ne me procurait pas plus d’air. »

Elle insiste sur le fait qu’il est important d’élaborer une stratégie de respiration pour chaque pièce afin d’avoir la quantité d’air suffisante pour chaque phrase, en prenant de courtes inspirations pour les phrases courtes, afin d’éviter d’accumuler trop d’air et de créer une tension inutile pendant l’aria.

#Moi Aussi

Photo : Kirsten Nijhof

« J’ai été victime de plusieurs cas de harcèlement sexuel, dit Giunta. Le plus souvent, un homme en position de pouvoir essaie de profiter de ce qu’il perçoit comme une jeune femme vulnérable. » Le harcèlement sexuel à l’opéra, dit-elle, est à la fois fréquent et pénible. « Il faut jouer son personnage avec émotion et faire sur scène avec un collègue des actes qu’on ne ferait jamais dans un bureau. Les gens deviennent confus et les lignes entre la vie personnelle et professionnelle s’estompent. »

« J’ai reçu beaucoup de propositions, mais je me tiens toujours debout et je dis non ! » Refuser des avances a souvent eu des conséquences négatives, car la suite de l’expérience professionnelle devient inconfortable. « Ils s’en prendront à vous et vous traiteront différemment », dit-elle au sujet des agresseurs.

Néanmoins, Giunta a observé beaucoup d’amélioration dans la façon dont les compagnies gèrent le harcèlement. « Les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé m’ont défendue à quelques reprises et se sont assurées qu’il n’y aurait aucune répercussion. Ainsi, j’ai vu plusieurs compagnies commencer le début de chaque contrat en faisant venir quelqu’un de l’administration pour établir certaines règles : “Bonjour. Je vous souhaite à tous une belle expérience. Nous avons une politique stricte de non-harcèlement. Tout le monde ici est traité sur un pied d’égalité. Si vous vivez quoi que ce soit, voici la personne à contacter, voici aussi un numéro que vous pouvez appeler.” Ils nous donnent un plan concret. C’est transparent. »

Giunta a ajouté qu’un environnement propice au harcèlement est un environnement dans lequel les gens autour des personnes au pouvoir tolèrent que le harcèlement se poursuive en fermant les yeux et en trouvant des justifications quant aux raisons de leur inaction. C’est pourquoi, à son avis, la solution réside dans le fait que tout le monde, et non seulement les femmes, s’exprime quand survient un cas de harcèlement. « Je sais que c’est difficile, et il y a toujours un risque, surtout en début de carrière, d’être mis sur liste noire ou étiqueté comme difficile. Mais la situation change, surtout ici en Amérique du Nord, et la seule façon de poursuivre ce changement est de continuer à en parler et à dire “Non, ce n’est pas acceptable”. »

www.wallisgiunta.com

Traduction par Mélissa Brien

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