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Les prestations de la Tuniso-Canadienne Rihab Chaieb se distinguent par leur intensité dramatique. Elle détient des diplômes de l’Université McGill, de l’Ensemble Studio de la Canadian Opera Company et du programme Lindemann de développement de jeunes artistes du Metropolitan Opera. Elle est également lauréate du concours vocal de la Fondation Gerda-Lissner 2016 et gagnante du troisième prix du concours Operalia 2018.
En octobre, la fougueuse mezzo-soprano répétait pour ses débuts le 10 novembre dans le rôle-titre de Carmen à l’Opéra de Cologne en Allemagne. Il est surprenant qu’elle n’ait jamais joué ce rôle auparavant, car elle possède toutes les qualités requises : une voix de mezzo-soprano lyrique et sombre, une aisance dans le registre de poitrine dans les aigus, une présence physique forte et une apparence envoûtante.
« Carmen est un rôle de rêve pour une mezzo-soprano, dit Chaieb, donc je tenais à bien choisir où et quand je voulais le jouer. Cologne est idéale parce que c’est une maison importante en Allemagne et dans le monde, mais quand même plus petite quant au nombre de places. C’est raisonnable et je m’y sens à l’aise pour chanter ma première Carmen. J’aime aussi le fait qu’il s’agit d’une production entièrement inédite, ce qui me permet de travailler étroitement avec le metteur en scène et de prendre mon temps. »
Chaieb affirme que chanter le rôle n’est pas trop difficile, mais qu’elle doit se modérer, car son personnage est continuellement sur scène, particulièrement dans cette production. Quelle est son interprétation personnelle de Carmen ? « Je ne suis pas metteure en scène, explique-t-elle, mais on croit encore que Carmen est cette femme fatale, toujours en train de séduire et d’en faire trop. Je la vois plutôt comme une femme ordinaire de 2019 coincée dans les années 1800. Elle vit sa vie et sa sexualité selon ses propres termes et ce genre de liberté pour une femme était scandaleux à l’époque où l’opéra a été composé et l’est encore malheureusement pour certains. »
« Carmen est une fille contemporaine d’Instagram et Tinder. Ça pourrait même être quelqu’un comme moi. Comme les gitans, je n’ai pas de maison, je vais là où il y a du travail, c’est ce que les gitans faisaient, je ne suis pas si différente. Je pense qu’il serait intéressant de dépeindre Carmen de façon à ce que l’on puisse s’y identifier. » Elle ajoute que Carmen est l’exemple parfait de ce que certaines femmes vivent encore de nos jours : composer avec des petits amis jaloux et essayer d’être indépendantes et libres, même quand cela n’est pas bien vu.
Concours de musique
Chaieb réussit bien dans les concours. En 2018, elle a remporté le troisième prix du concours Operalia. Cependant, quelques mois auparavant, elle est repartie les mains vides du Concours international de Montréal, sa ville natale. Que s’est-il passé ? Après tout, les deux concours se sont déroulés à quelques mois d’intervalle. Elle explique que la principale différence réside dans le choix du répertoire. « Pour Operalia, j’ai chanté davantage ce que j’appelle le répertoire des grandes dames : Carmen, Dalila, Octavian. À Montréal, j’ai chanté Carmen, mais j’ai aussi tenté l’expérience d’un répertoire plus léger et peut-être trop haut en tessiture comme l’aria Ariadne auf Naxos de Richard Strauss. Je n’aurais peut-être pas dû chanter cet air, mais je voulais aussi faire une déclaration. Beaucoup de gens étaient en désaccord, mais je vois les concours comme une occasion d’essayer un nouveau répertoire. Parfois, c’est payant, parfois non. Cependant, c’était certainement la dernière fois que je chante l’aria de Strauss. » Elle ajoute qu’à Montréal, les juges ne cherchent pas à « auditionner » qui que ce soit. Ils étaient beaucoup plus enclins à la mélodie, ce qui aurait pu la défavoriser.
« Après le CMIM, j’ai pris deux mois de congé, dit-elle. Je ressentais le besoin de me libérer de la pression, mais je suis revenue avec une meilleure connaissance de ma technique et du genre de chanteuse que je désirais être. »
Concours populaires et âgisme
« Les médias ont aujourd’hui tendance à vouloir découvrir à tout prix la nouvelle star : “Elle n’a que treize ans et elle peut chanter cette chanson !” Pouvons-nous simplement arrêter un peu et plutôt embaucher un artiste exceptionnel et inspirant ? J’aimerais qu’on adopte une approche moins sensationnelle et qu’on présente les participants d’une façon plus humaine. Je pense que ce genre de mentalité engendre beaucoup de stress chez les jeunes. Je me souviens de m’être dit à 23 ans : “Mon Dieu, je n’ai pas encore de contrat au Met. Mon Dieu, je n’ai pas encore gagné un concours !” » Au lieu de se remettre en question, elle croit qu’elle aurait dû se centrer sur les bonnes techniques et y mettre le temps.
Comme elle l’explique, il y a habituellement deux récits destinés au public : soit le jeune prodige, soit le perdant qui a trouvé la gloire. « Tout le monde aime les opprimés, dit-elle. C’est comme un film. Et tu sais ce que personne n’aime ? Les êtres normaux, car c’est justement normal. »
Bien que le monde de l’opéra ait été influencé indirectement par ces phénomènes, de nombreuses vedettes de l’opéra contemporain n’ont pas connu le succès à un jeune âge. « De très bons chanteurs d’opéra comme le ténor Piotr Beczala ont dû patienter et faire leurs preuves. Idem pour Sondra Radvanovsky et Christine Goerke. »
Chaieb se produira régulièrement au Canada la saison prochaine. Elle sera à Montréal le 14 janvier avec l’OSM, à Vancouver les 7 et 8 février avec l’Orchestre symphonique de Vancouver, à Québec le 16 avril avec l’Orchestre symphonique de Québec et à Montréal le 12 avril pour un récital de la Société d’art vocal.
Traduction par Mélissa Brien
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