Le 26 juillet, à l’Amphithéâtre Fernand-Lindsay, Franco Fagioli et l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, sous la direction de Stefan Plewniak, célèbraient l’un et l’autre leur toute première venue au Canada ; une occasion unique d’entendre en chair et en os l’un des contre-ténors les plus en vue de sa génération, dont on dit que le timbre rappelle celui de la grande Cecilia Bartoli.
S’il a, lui aussi, tendance à grimacer quand il chante, ce n’est pas tant à cause de la gymnastique vocale à laquelle il est confronté, mais plutôt une astuce qu’il a trouvée pour modifier sensiblement la couleur d’une note selon ses envies. L’effet est peut-être réussi, et certainement beau, mais dans ces cas-là, il perd toute articulation des paroles.
En préambule, le directeur artistique du Festival international de Lanaudière, Renaud Loranger, a évidemment vanté ses mérites, et avec raison. Il y a malgré tout chez cet artiste une épaisseur époustouflante dans le registre grave, un timbre exceptionnellement charnu qui parvient à flotter au-dessus de l’orchestre. Le répertoire qu’il avait choisi d’interpréter à Joliette était tiré de son plus récent album consacré aux pré-Romantiques italiens, pionniers du bel canto, et dont personne n’avait entendu parler jusqu’à présent : Giuseppe Nicolini, Paolo Bonfichi, Saverio Mercadante… et un certain Gioachino Rossini avant le succès du Barbier de Séville ! La plupart de ces airs méconnus faisaient justement appel au registre grave du contre-ténor. M. Fagioli a aussi régalé le public par ses ornementations, sa musicalité et son souffle impressionnant, rendant ses respirations imperceptibles pour ne jamais nuire au flot musical.
L’environnement extérieur a toutefois nécessité un certain temps d’adaptation, à la fois pour les musiciens d’orchestre, qui se réaccordaient entre chaque pièce de la première partie, et pour le chanteur. Ce dernier est lentement entré dans son programme, contrôlant sa projection dans l’aigu avec la plus grande précaution au lieu de lâcher prise et d’exprimer une émotion sans filtre. Dans la cavatine de Lotario, extrait d’Attila de Bonfichi, les notes du registre supérieur ont manqué d’éclat, comme si l’interprète était pressé d’en finir.
Juste avant la pause, un air de Carlo Magno de Nicolini est venu changer la dynamique. Franco Fagioli a semblé enfin trouver ses marques et oser davantage, bien que certains élans de virtuosité fussent encore timides. Il a fallu attendre la cabalette d’Arsace, extrait d’Aureliano in Palmira de Rossini, pour l’entendre à son plein potentiel. Son aigu final, percutant comme on l’espérait, a créé une onde de choc et ravi le public au point que celui-ci lui offre une ovation debout avant même la fin du concert. Il est vrai que cette cabalette ressemblait à s’y méprendre à « Una voce poco fa », du Barbier de Séville, mais ce n’est pas seulement parce que l’air était connu que le chanteur a suscité une telle réaction.
À partir de ce point, il n’y avait plus de limites. L’ultime air de la soirée, « Sì bel contento in giubilo » de Mercadante, paraissait soudainement trop facile pour lui. On peut seulement regretter que cette aisance ait mis autant de temps à arriver.
Deux rappels, dont le célèbre « Lascia ch’io piangia » de Haendel. La posture droite de Franco Fagioli en disait long sur son niveau de confiance. L’air semblait aussi mieux adapté à sa tessiture, ne l’attirant pas seulement dans le grave, mais lui permettant aussi de s’épanouir dans l’aigu. Le public lui-même a offert à l’artiste un moment magique en chantonnant a capella la reprise de ce tube de l’opéra baroque, comme on voit parfois dans les concerts pop où le chanteur choisit de s’effacer pour un instant. L’émotion de Franco Fagioli et des musiciens était palpable.
Un mot sur Stefan Plewniak, certainement plus à l’aise face au public, son violon entre les mains, que dos au public en train de diriger l’orchestre. Il avait certes l’intensité et l’instinct de la battue avant chaque temps de la mesure, mais ses gestes brusques n’étaient clairement pas ceux que l’on apprend à l’école. Un vent de fraîcheur, diront certains, mais quand même une source de distraction pour l’auditeur.
Comme soliste, ce musicien polonais au physique de Paganini a eu droit, lui aussi, à une ovation au terme du troisième mouvement du Concerto pour violon no 1 de Pierre Rode. Une fois de plus, l’intensité était de mise, tout comme le flot ininterrompu de musique qui coulait de son archet. Le public ne lui aura pas tenu rigueur de la facture assez médiocre de son instrument, étonnamment peu brillant dans l’aigu.
Le Festival international de Lanaudière se poursuit jusqu’au 3 août. Pour toute la programmation, visitez le www.lanaudiere.org