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En grandissant, dans les années 1970, je pensais que l’Ô Canada était l’hymne officiel de notre pays. Beaucoup d’autres s’y sont mépris. Song of a Nation: The Untold Story of Canada’s National Anthem, de Robert Harris, est une biographie et un récit historique merveilleusement écrit qui résonnent et vous touchent au cœur tout en révélant quelques trésors de l’histoire canadienne, que tous les Canadiens et les amateurs de musique pourront probablement apprécier.
Cette biographie est celle d’un homme qui « a quitté la maison à douze ans, a travaillé comme ménestrel grimé en noir (« blackface »), s’est battu dans la guerre de Sécession, a été blessé à la bataille d’Antietam, a produit le premier opéra au Québec, est devenu une figure emblématique de la musique américaine, a voyagé à Paris pour étudier pendant deux ans, a tenté de créer un conservatoire national québécois et a échoué, a écrit notre hymne national, et est finalement décédé en exil aux États-Unis », écrit Harris. Cet homme était le fils d’un certain Augustin Lavallée, qui avait aidé Joseph Casavant à fabriquer ses orgues. Baptisé Calixte, Calixa Lavallée et sa composition monumentale, Ô Canada, sont le sujet de cet excellent écrit de Harris, connu pour son travail de journaliste et de diffuseur.
Harris construit un récit d’un peu plus de 200 pages, qui rendrait les cours d’histoire du système d’enseignement secondaire du Canada beaucoup plus intéressants. Song of a Nation devrait figurer dans toutes les bibliothèques des écoles publiques et des établissements d’enseignement au Canada. Harris raconte la vie du jeune Lavallée dans le contexte des événements historiques de l’époque, qu’il s’agisse de la rébellion du Bas-Canada de 1837, de la guerre civile américaine ou des enjeux de la Confédération. Il enrichit d’une touche d’humanité son discours sur un homme et un hymne qui, jusqu’à présent, avaient peu été discutés dans un même ouvrage.
Lavallée était l’aîné d’une famille de treize enfants, dont la plupart avaient fait de la musique une part de leur vie. Curieusement, peu de gens connaissent l’univers de Lavallée et l’ironie de cet hymne, à l’origine composé pour le Canada français, mais qui est devenu l’hymne d’un pays qui abrite non seulement les « deux solitudes » fondatrices, mais également les peuples autochtones et tous ces autres qui viennent au Canada année après année, en quête d’un endroit sûr pour élever leurs enfants. Harris dévoile des faits méconnus intéressants, d’un point de vue musical et historique, sur le père de l’hymne national du Canada.
À son retour des États-Unis après la guerre de Sécession, Lavallée entretenait le mystère sur sa vie là-bas. Il ne mentionnait jamais ses activités en tant que comédien « noirci » avec les ménestrels ambulants de La Nouvelle-Orléans (qui étaient en fait établis à Providence, dans le Rhode Island) et mentait pareillement sur son passé.
Ses années à Paris
L’historien nous apprend que Lavallée avait quitté son foyer à l’âge de 12 ans avec le soutien de Léon Derome, un boucher qui était aussi un adepte et un connaisseur d’art, un mécène et un chercheur de talents hautement dévoué. Le même homme aurait financé les deux années d’études appliquées de Lavallée à Paris. Depuis son arrivée dans la ville à l’automne 1873 jusqu’à son départ au début de l’été 1875, Lavallée eut une fantastique occasion de devenir un musicien digne de ce nom. « Il a laissé son passé de ménestrel s’enfoncer profondément dans la Seine pour ne plus jamais le ramener. »
Durant son séjour à Paris, Lavallée a étudié le piano auprès d’Antoine-François Marmontel, « la ressource incontournable pour les étudiants sérieux ». Marmontel avait enseigné à Bizet dans les années 1850 et comptait Vincent d’Indy, Issac Albéniz et Claude Debussy parmi ses étudiants les plus jeunes.
C’est sous la direction de Marmontel que Lavallée a été initié à la musique de Frédéric Chopin et de Robert Schumann. Tout en perfectionnant ses habiletés au clavier, Lavallée, alors sous la supervision des mêmement célèbres François Bazin et Adrien Louis Victor Boieldieu, améliorait ses aptitudes en composition. Harris brosse avec brio un tableau historique autour du compositeur canadien-français, sur un fond plus complexe. « Même s’il existe moins d’information sur la nature des études de Lavallée avec eux [Bazin et Boieldieu], écrit Harris, ce n’est sans doute pas un hasard s’il a écrit lui-même deux opéras au cours des dix années qui suivirent et monté les productions de deux autres opéras dans sa province d’origine. »
En avance sur son temps
L’expérience parisienne de Lavallée lui avait permis de se faire une idée du rôle de la musique et de développer une approche philosophique très différente de l’ultramontanisme auquel il était confronté au Québec. Lavallée ne jouait plus son répertoire traditionnel, mais des œuvres de « Chopin, Schumann, Beethoven, Mendelssohn et Weber qu’il avait étudiées avec Marmontel à Paris ». Joseph Marmette, ami et critique, déclarait à propos d’un concert de Lavallée : « Sa musique me donnait l’impression que je n’étais pas vraiment au Canada, mais plutôt dans un salon européen. La façon dont M. Lavallée a joué nous a prouvé que son talent n’a pas été surévalué et qu’il fait partie de nos gloires nationales. »
Tout le monde n’était pas prêt pour cette musique novatrice, ni à accepter que le gouvernement du Québec finance un conservatoire national. Lavallée était manifestement en avance sur son époque avec son idée de promouvoir les arts par le biais de formations institutionnelles. Non seulement les politiciens étaient fermés aux idées du compositeur, mais la toute puissante et conservatrice Église catholique romaine de la province faisait preuve d’intolérance envers lui, qui avait une approche plus laïque. « L’Église et la créativité artistique étaient indéniablement en froid », écrit Harris.
En 1877, le diocèse de Montréal décida, pour une raison quelconque, d’interdire les chœurs mixtes dans les églises de la ville. Lavallée eut du mal à éviter d’attiser la colère de l’Église. Comment l’Église pouvait-elle s’opposer à la mise en scène de la pièce Jeanne d’Arc, « accompagnée par une musique de Charles Gounod, qui avait fait tant de bruit lorsqu’il avait fait ses débuts lors du séjour de Lavallée à Paris »? Les efforts de celui-ci pour attirer l’attention des influenceurs et des décideurs sont tombés dans l’oreille d’un sourd. Les rebondissements politiques qui ont suivi ont finalement permis à Lavallée de planifier la première représentation d’Ô Canada le 24 juin 1880 dans le cadre d’une immense messe à ciel ouvert sur les plaines d’Abraham. Pour une raison qu’on s’explique mal, cette présentation publique n’a jamais eu lieu – bien que plus tard dans la journée, lors d’un banquet, une version instrumentale ait été jouée pour les membres des autorités et du pouvoir présents.
Lavallée avait plusieurs ennemis, en particulier ceux qui s’opposaient à l’adoption formelle de l’éducation musicale. D’autres esprits étaient également concernés. Le gouverneur général Lorne, pour qui Lavallée avait joué pour la première fois Ô Canada, avait ses propres desseins. « Il souhaitait que l’hymne national du Canada soit écrit par sir Arthur Sullivan, alors à l’apogée de sa renommée avec son partenaire William S. Gilbert. » Lord Lorne a demandé à Sullivan d’écrire Dominion Hymn alors qu’il était de passage au Rideau Hall en mars 1880, il y a 140 ans. Qui a déjà entendu parler du Dominion Hymn ? « Rares sont les Canadiens qui savent qu’Arthur Sullivan a écrit un hymne national pour le Canada », déclare Harris.
Beaucoup ne connaissent pas non plus l’origine patriotique franco-canadienne de la chanson. « En 1980, à l’occasion du centenaire de sa première représentation, le regretté Peter Gzowski et moi avons parlé de l’hymne à son émission Morningside sur CBC, écrit Harris dans son introduction. Peter, fier Canadien qu’il était, a fait remarquer à quel point il était ironique qu’Ô Canada ait été créé à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste, fête nationale du Québec. » Gzowski avait raison de souligner l’ironie. Harris révèle même une partie du subterfuge politique qui a eu lieu pour que la Société Saint-Jean-Baptiste accepte l’Ô Canada.
Le parcours du père de l’hymne
Hymn of a Nation de Harris raconte à merveille et de manière convaincante l’histoire nationale de l’hymne du Canada et donne un aperçu de la vie d’un grand homme que très peu de gens connaissent. Calixa Lavallée était non seulement le compositeur d’Ô Canada; il a contribué à l’éducation musicale formelle en Amérique du Nord. La situation au Canada ne lui permettait pas de mener à bien les réformes auxquelles il tenait. Il rentra à Boston quelques mois seulement après la création d’Ô Canada, sans jamais revenir au pays (son corps, cependant, fut enterré au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, sur le Mont-Royal, en 1933, le jour de la fête nationale du pays qui avait fait son éducation musicale, la France.) Mais avant son décès, en 1891, quelques semaines après son 48e anniversaire, Lavallée avait mis en branle le processus de réforme de l’éducation musicale en Amérique du Nord. Même si beaucoup d’Américains n’avaient pas entendu parler de l’Ô Canada, « Calixa Lavallée est devenu l’une des figures les plus importantes de l’histoire de la musique américaine », selon Harris.
Bien qu’il n’ait jamais réussi à former un conservatoire national au Québec, les percées qu’il a faites aux États-Unis ont changé le visage de la musique américaine. Deux ans après son déménagement à Boston, Lavallée assista à une réunion de la Music Teachers National Association. Ce qui y était discuté semblait correspondre à tous les objectifs de Lavallée en matière de pédagogie musicale depuis son retour de Paris quelques années auparavant. Je pourrais révéler les mesures qu’il a prises pour réformer l’éducation musicale et transformer le visage de la musique américaine, mais mes propos ne sauraient se mesurer à la manière extraordinaire dont Harris raconte, notamment, un concert lors d’une réunion du MTNA à Cleveland en 1884. Lavallée « montra qu’il y avait des compositeurs américains d’excellence dont le travail méritait d’être le plus fréquemment présenté devant un public national et interprété par des professionnels chevronnés. » Non seulement Lavallée fut-il le compositeur de l’hymne national du Canada, mais il contribua également à ce que les Américains soient fiers de leurs talents musicaux.
Moi qui ai longtemps pensé qu’Ô Canada avait été l’hymne national du Canada dès le départ… Harris m’a fait comprendre que c’était uniquement avec le référendum organisé au Québec le 20 mai 1980, et en réaction directe au Gens du pays de Gilles Vigneault, que le gouvernement fédéral a finalement adopté l’hymne national du Canada. Cela s’est passé dans un cadre politique très intéressant, comme le décrit Harris. « Le 27 juin 1980, quatre jours seulement avant la fête du Canada, une scène remarquable se déroulait sur la Colline du Parlement. Un projet de loi débattu depuis des années, qui avait suscité l’opposition la plus féroce, était passé en deuxième et troisième lectures à la Chambre et au Sénat et recevait l’assentiment royal – le tout en une seule journée. »
Un petit air de magie
Harris explique la musicalité, la simplicité et la puissance d’Ô Canada par sa partition originale. Mon éducation musicale se limite à la faculté d’appréciation que j’ai acquise avec Iwan Edwards durant mes études, puis en côtoyant professionnellement des compositeurs en Ukraine et en vivant à l’étranger. Entendre ce que Calixa Lavallée a composé pour le Canada français ou me tenir sur le podium en tant qu’athlète ou dans la cour de l’ambassade du Canada en Ukraine à l’occasion de la fête du Canada, cela m’a toujours procuré une grande fierté en tant que Canadien. Nous devons essayer de nous rappeler que notre hymne a été composé pour la première fois comme chant national du Canada français et qu’un siècle s’écoula avant qu’il devienne officiellement celui du Canada entier. Alors que Lavallée a composé la musique, c’est Adolphe-Basile Routhier, un juge, qui a écrit les mots en français en collant à la construction musicale de Lavallée. C’est un autre juge et poète, Robert Stanley Weir, qui, en 1908, a écrit les premières paroles en langue anglaise. Il les a modifiées trois fois – en 1909, 1913 et 1916 – avant qu’elles ne finissent par constituer la version anglaise généralement acceptée de l’hymne, note Harris.
En tant qu’amoureux de musique, les lecteurs de La Scena Musicale trouveront des perles dans ce texte que Harris tisse comme une belle grande tapisserie de l’histoire de notre pays. J’ai particulièrement apprécié la déconstruction de l’Ô Canada qu’effectue Harris aux deux tiers environ de son ouvrage : « La structure de la chanson est importante, car elle compose l’arc qui donne sa forme et son impact émotionnel à la musique et que notre inconscient suit comme une allégorie sonore. Plus que tout, c’est cette structure qui crée la force de l’hymne ».
Harris explique comment Lavallée fait opérer la magie dans la composition d’Ô Canada et comment nous ne nous arrêtons jamais aux trois sections de l’hymne « car généralement, une fanfare éclate à quelques centimètres de nos tympans ». Les sections articulées ensemble évoquent quelque chose de très viscéral.
La première section, « Ô Canada ! Terre de nos aïeux ! », est une invocation presque religieuse du pays même. Vient ensuite un crescendo menant à ce qui se trouve juste au-dessus de la colline. Lavallée utilise « toutes sortes de marqueurs rythmiques et mélodiques » tout au long de la pièce. La deuxième section s’enchaîne, passant d’un ton de supplication à « un rythme de marche, de tension croissante ». L’auteur explique ensuite : « La clé de cet air que Lavallée a composé pour la main gauche du piano d’accompagnement est une série d’octaves sur une seule note – un ré grave – qui bat sans cesse, de manière insistante, sans variation : boom, boom, boom, boom, comme un rêve enfiévré. De la nature douce, presque divine de la première partie, il voulait nous plonger dans l’angoisse trouble et stimulante de la seconde. Dans la troisième partie, Lavallée utilise un autre outil rythmique pour « raviver les émotions » : « le puissant rythme d’ouverture se répète, sans sources d’apaisement : d’abord dans ‘’Dieu protège notre terre’’, puis dans ‘’glorieuse et libre’’, et enfin, dans le triomphant “Ô Canada”, qui se répète jusqu’à l’apogée de la pièce. »
En tant que bibliothécaire et spécialiste de l’information ayant contribué, dans le cadre de ma profession, au développement de collections, je recommande vivement l’ajout de ce livre à toute collection de bibliothèque de musique ou d’histoire. De ses recherches, Harris nous a rapporté un joyau de notre histoire musicale canadienne, tout en offrant une représentation historique des aléas de la formation d’un pays, ici appelé le Canada.
Traduction : Andréanne Venne
Song of a Nation: The Untold Story of Canada’s National Anthem, de Robert Harris, Toronto: McClelland & Stewart. ISBN : 9780771050923
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