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Il y a un bout de temps que l’on n’a pas entendu chanter la soprano Pauline Vaillancourt à Montréal. Depuis 2000, en fait, alors qu’elle partageait la scène avec le comédien Jean Maheux dans L’Enfant des glaces, un électr’opéra dont elle avait réalisé la conception et la mise en scène; c’était la neuvième production de la compagnie lyrique de création Chants Libres, dont la chanteuse est aussi directrice artistique.
Pour l’entendre, il fallait aller en Europe, où elle a collaboré avec le compositeur italien Maurizio Squillante. Elle tenait le rôle principal de son opéra expérimental The Wings of Daedalus (Les ailes de Dédale) en 2003; elle participait aussi en 2005 à une série de concerts en hommage à Giacinto Scelsi (1905-1988). Pauline Vaillancourt explique : « J’aime participer à des créations expérimentales qui me demandent de repousser mes limites, mais je l’ai déjà beaucoup fait et avec le type de mise en scène que je privilégie, je me demande si mon corps arriverait encore à suivre. J’y arriverais sans doute en me concentrant au maximum, mais je considère que je n’ai plus grand-chose à me prouver en tant qu’interprète. Par contre, pour ce qui est de faire évoluer d’autres interprètes dans mes propres créations, j’ai encore beaucoup à découvrir. »
Les mises en scène de Pauline Vaillancourt visent à faire éclater le spectacle opératique et exploitent la voix comme on ne songerait pas à le faire en opéra traditionnel. « Le chanteur part de son corps et ce serait fou de ne pas utiliser les différentes possibilités de cet outil. Quand on se sert adéquatement de son corps, on peut faire des choses extraordinaires; c’est ce que m’a appris mon expérience d’interprète et c’est ce que je cherche à représenter. » Dans cette esthétique, le public n’assiste pas à un spectacle mais, de plus en plus souvent, il est dans le spectacle. C’était le cas dans la précédente production de Chants Libres, L’Archange (2005), dont Pauline Vaillancourt avait assuré la conception et la mise en scène; l’action se déroulait sur un plan surélevé qui entourait les spectateurs, lesquels devaient se tourner d’un côté puis de l’autre pour suivre l’action. Dans le cas de la 12e production de Chants Libres, Alternate Visions, un opéra augmenté, l’action se déroule dans un bar où public et personnages se confondent. « Je trouve intéressant que le public soit avec nous, précise Pauline Vaillancourt, parce qu’il est à l’intérieur de l’histoire, par opposition à un public qui assiste à un spectacle, avec détachement. C’est un autre défi pour les artistes et pour la scénographie. » Les développements technologiques sont fréquemment au cœur des productions de Chants Libres. Ainsi, la prochaine production de la compagnie sera un opéra-féérie signé Gilles Tremblay dont l’œuvre sera jouée par un ensemble de 26 musiciens et 17 chanteurs. « Cependant, précise Pauline Vaillancourt, en 2007 l’opéra est toujours un art total, alors on serait fou de se passer des outils à notre disposition. »
Pour la réalisation d’Alternate Visions, Chants Libres s’est associée au Laboratoire DEII (Laboratoire de développement d’environnements immersifs et interactifs) et à Hexagram (Institut de recherche/création en arts et technologies médiatiques, né de la jonction des deux principales universités en arts médiatiques de Montréal, Concordia et l’UQAM). Il est question de caméras miniatures accrochées à certains personnages avec retransmission en direct, de personnages virtuels et de « costumes interactifs ».
Chants Libres travaille au renouvellement de l’opéra depuis 1991. Parmi les grandes réussites de la compagnie, on compte Les chants du capricorne (1995, Giacinto Scelsi), Le vampire et la nymphomane (1996, Serge Provost/Claude Gauvreau), Yo soy la desintegración (2000, Jean Piché/Yan Muckle/Pauline Vaillancourt), l’opéra jeune publicPacamambo (2002, Zack Settel/Wajdi Mouawad) et L’Archange (2005). Chants Libres ne cherche pas à servir de porte d’entrée que le public pourrait emprunter pour se rendre à « l’autre opéra ». Pauline Vaillancourt précise : « Je pense que notre travail rend le public plus exigeant en matière d’opéra et que cela risque de forcer les grandes compagnies à faire preuve de plus de créativité dans leur programmation. À Amsterdam, à Bruxelles, les compagnies ont compris qu’il est dans leur intérêt de présenter des œuvres contemporaines. Pour le moment, nous prenons le risque de la création, mais nous constituons ainsi un répertoire et nous ne pouvons qu’espérer que de grandes compagnies seront tentées de reprendre certaines des œuvres. »
Afin de poursuivre son travail de développement de nouvelles formes d’opéra, Pauline Vaillancourt doit s’entourer d’interprètes capables de prouesses vocales qui ne sont pas forcément enseignées. En effet, la formation en chant est restée traditionnelle; c’est pourquoi Pauline Vaillancourt met sur pied depuis quelques années des ateliers de formation professionnelle pour chanteurs, afin de transmettre les différentes techniques utilisées dans les nouvelles formes d’opéra. Mais l’ingrédient magique pour former une voix à de nouvelles techniques de chant, c’est avant tout l’intérêt du chanteur pour ce répertoire. « Il faut de l’amour, de la curiosité et de la persévérance, avoir envie de travailler davantage. Forcément, parce qu’il faut apprendre de nouvelles partitions souvent difficiles, il faut pouvoir faire de la scène sans toujours voir le chef, en chantant des airs plus difficiles techniquement… C’est pour répondre à ce besoin d’un complément de formation que nous offrons des ateliers où l’accent est mis sur le travail du corps et le mouvement, sur l’exploration de l’extended voice et sur la découverte des nouvelles technologies. »
Réimpression d’un article de Réjean Beaucage, paru en avril 2007
Pauline Vaillancourt est lauréate du Prix Opus Hommage 2022 remis lors du Gala Opus du 5 février 2023.
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