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La pandémie de la COVID-19 a généré une vague de variations médiatiques sur le thème « ne gaspillons pas la crise ». Lorsque des crises majeures surviennent, une petite armée d’auteurs et de promoteurs prône des changements économiques, politiques ou culturels qu’ils considèrent comme des impératifs attendus depuis longtemps.
Cette année, les conférences annuelles d’Opera America et de la League of American Orchestra, qui se sont déroulées virtuellement, ont été imprégnées de débats entre les partisans de la vision du monde « profitons de l’occasion » et ceux de la perspective « ça va mal maintenant, mais tout reviendra à la normale ».
Ce débat est présent dans tous les secteurs de l’économie, de la politique et de la culture. Cet article se concentre sur la manière dont la pandémie de la COVID-19 a transformé, en un temps record, les pratiques de la multinationale japonaise Lixil. Ses innovations survivront-elles à la crise actuelle ? Ont-elles une incidence sur la musique classique ?
Machiavel et la pandémie de la COVID-19 du XXIe siècle
Nous ne sommes pas loin de la dernière conjoncture de l’histoire mondiale « ne gaspillons pas la crise » : la grande récession de 2008-10, suivie d’une reprise lente et partielle. Cette citation du bras droit du président Barack Obama, Rahm Emanuel, a fait le tour du monde.
Emanuel n’a pas été le premier à produire une citation mémorable sur l’opportunité dans la crise. Des recherches m’ont ramené à Winston Churchill, puis à Niccolò Machiavelli, source d’une philosophie partagée par les dirigeants qui ont su tirer parti des crises : les gentils ne gagnent pas.
Au cours des deux derniers mois, j’ai assisté à plus d’heures de vidéoconférence que je ne peux en compter. La discussion sur la musique classique se divise en deux camps : 1) revenir à la normale ; 2) saisir l’occasion pour aller de l’avant. Un parallèle est établi avec l’économie mondiale dans son ensemble, dans tous ses secteurs et régions géographiques.
Contrecarrer la culture corporative
Expliquons d’abord comment la pandémie de la COVID-19 a catalysé une transformation étonnamment rapide de la firme japonaise Lixil, l’un des plus grands fabricants de matériaux de construction au monde, particulièrement active dans ce que l’on appelle poliment les accessoires d’eau : toilettes, éviers et autres. En tant que fournisseur, Lixil fournit ce dont les gens ont besoin, beau temps, mauvais temps. Elle possède une société nord-américaine dominante dans le domaine de l’équipement de plomberie, American Standard.
Selon les normes des entreprises japonaises, le PDG de Lixil, Kinya Seto, est, à 59 ans, un jeune homme. Il est entré dans l’histoire des entreprises japonaises en 2019 en tant que revenant : au milieu de son premier mandat chez Lixil, la vieille garde a organisé son expulsion. Une rare action de « droits des actionnaires » à l’américaine chez Lixil a fait reculer la vieille garde et a réintégré Seto.
Lorsque le coronavirus a frappé, Seto a compris ses implications sur les lieux de travail. Il a bouleversé la culture d’entreprise qui avait fait du Japon le leader mondial de la productivité, mais qui le freinait désormais.
Comme plusieurs de la génération montante d’Asie, Seto a combiné une formation dans son pays d’origine, à l’Université de Tokyo, à des études supérieures dans une institution occidentale d’élite, l’école de commerce du Dartmouth College. Cette double formation renforce le sentiment que faire avancer les entreprises va au-delà du simple fait de mieux calculer. Cela signifie qu’il faut amener les gens à adopter de nouvelles façons de faire.
Le 14 juin, le Financial Times a publié un long article sur la reprise « miraculeuse » du pouvoir par Seto, et sur sa détermination à faire bien plus que traverser la pandémie. « M. Seto a formulé une idée controversée : la pandémie, malgré toute sa gravité, est une “bénédiction déguisée”, non seulement pour Lixil, mais aussi pour les entreprises japonaises qui réalisent qu’elles peuvent profiter de ce moment pour apporter des changements qui n’auraient jamais eu lieu autrement. »
Lorsque l’état d’urgence a été déclaré, seuls 2 % des employés de Lixil travaillaient à domicile, et ce, à contrecœur. Traditionnellement, pour réussir au Japon, il faut cultiver avec soin les relations hiérarchiques sur le lieu de travail. Les clients de Lixil étaient également réticents à organiser leurs achats ailleurs que dans une salle d’exposition de luxe où un conseiller expert s’asseyait avec eux devant un terminal informatique équipé d’un logiciel de conception de pointe.
Forcé par la pandémie au changement, le personnel de Lixil a découvert que l’utilisation de l’équivalent japonais de Zoom pour les réunions avec les collègues et les clients était bien plus efficace que de voyager vers plusieurs destinations. Les clients ont découvert qu’une combinaison d’applications de conception offertes par Lixil et d’interaction en ligne avec le personnel de vente permettait de faire de meilleurs choix en moins de temps.
Le confinement japonais a également fait prendre conscience aux familles que leurs appartements et leurs maisons étaient mal conçus pour le travail à domicile pendant que les écoles étaient fermées. Habituellement, il n’y a qu’une seule salle de bain et aucune pièce dédiée à un bureau à domicile dans les habitations japonaises. Cela a déclenché un boom de la rénovation et une demande de nouveaux logements avec plusieurs salles de bain et bureaux à domicile. Lixil en tire également profit.
Il est loin d’être certain que les changements effectués par Lixil et ceux d’autres sociétés japonaises inspirées par elle perdureront. L’inertie culturelle et l’intérêt personnel de la vieille garde sont des forces puissantes. Mais le fait que Lixil ait réussi à augmenter ses profits pendant une crise générale en dit long.
Kinya Seto serait-il amateur de musique classique ? Il a affirmé aimer chanter, mais ne le fait pas, car un dirigeant doit se concentrer sur sa vocation.
Traduction par Mélissa Brien
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