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L’arrivée de cet album tout à fait étonnant m’a fait rompre ma promesse solennelle (et irréaliste) de ne critiquer, durant la pandémie de Covid, que les compositeurs négligés. Personne ne pourrait qualifier Rachmaninov de négligé, bien qu’avec l’interruption de l’apport régulier en musique devant un public réel, ce récital d’œuvres solo produit un choc de nouveauté − d’autant plus qu’il est joué par l’artiste arménien Sergei Babayan, qui fait ici ses débuts sur une grande étiquette.
Babayan, 59 ans, est surtout connu comme le professeur de Daniil Trifonov et le partenaire occasionnel de Martha Argerich dans des œuvres pour piano à quatre mains. Établi à New York, sa présence dans le circuit des vedettes du classique est discrète. Ce qui rend son Rachmaninov si remarquable, c’est son économie de virtuosité. On nous épargne l’habituel « je peux jouer cela une main derrière le dos tout en mangeant une orange de Jaffa ». Pas de clins d’œil à un fan-club imaginaire, pas de fioritures inutiles.
C’est Rachmaninov à son plus bavard : un mot à l’oreille, une petite histoire à raconter. J’ai été saisi dès l’ouverture du prélude en la bémol majeur, puis les papillonnements des Études-Tableaux, puis le sombre et ténébreux prélude en si mineur : une humeur morose que peu de pianistes véhiculent avec l’authenticité requise. Rachmaninov, nous le savons, était sujet à la dépression. Mais il était aussi un animal social, un homme qui aimait être invité dans les dîners à Hollywood et qui plaisantait aisément, tant que la langue était le russe et la vodka au menu.
Voilà ce que Babayan met de l’avant dans cet album tout à fait passionnant, qu’il dédie à la mémoire de son propre professeur, Georgy Saradjev. Les dernières pages du prélude en si mineur sont un véritable cours de maître sur la manière de mettre la musique à l’avant-plan. Le récital a eu lieu à Hambourg en décembre 2009… Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour le voir paraître ?
NL
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Traduction par Andréanne Venne
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