Dernière semaine de Strinberg, l’ultime pièce du cycle scandinave du théâtre de l’Opsis ! Histoire de terminer les choses en apothéose, Luce Pelletier convoque le grand dramaturge suédois August Strindberg et passe le célèbre misogyne au fil des plumes de neuf autrices québécoises contemporaines. À voir pour l’intelligence de la proposition et les morceaux de bravoures des interprètes (Avec Christophe Baril ; Isabelle Blais ; Jean-François Casabonne ; Marie-Pier Labrecque ; Lauriane S. Thibodeau) À l’Espace Go, jusqu’au 12 mai.
Vous le savez certainement, la compagnie du Théâtre de l’Opsis a pour mission de porter un regarder neuf sur des textes classiques (cela peut être par la réécriture) en plus de faire découvrir des textes contemporains étrangers au public québécois. Pour mieux creuser ces thématiques, la directrice générale et artistique de la compagnie, Luce Pelletier, travaille par cycles artistiques longs de quatre ans. Cycle étasunien, italien… Avec Strinberg, la compagnie clôt un cycle scandinave notamment marqué par un réjouissant Peer Gynt d’Henrik Ibsen – remanié par Olivier Morin, grand moqueur devant l’éternel – et Les enfants d’Adam, d’Audur Ava Ólafsdóttir, présenté dans une mise en scène très juste de Luce Pelletier. Le spectacle avait d’ailleurs fait l’objet d’une tournée.
Un cycle scandinave ne pouvait ignorer le génie de celui que l’on désigne souvent comme le père du théâtre moderne, Auguste Strinberg. Luce Pelletier a donc demandé à huit autrices contemporaines québécoises reconnues de faire revivre et donner parole aux trois femmes qui partagèrent la vie de l’auteur qui fut aussi reconnu pour ses vues antiféministes (Anaïs Barbeau-Lavalette Rachel Graton ; Véronique Grenier ; Emmanuelle Jimenez ; Suzanne Lebeau ; Catherine Léger, Marie Louise B. Mumbu ; Anne-Marie Olivier ; Jennifer Tremblay). Des textes d’August Strindberg complètent le tableau, attestant de son opposition viscérale au progrès et à l’émancipation de la condition des femmes. La femme n’est rien d’autre à ses yeux qu’un nid d’oiseau pour les œufs de l’homme. Auguste Strinberg s’est marié une première fois avec l’actrice Siri von Essen (incarnée par Isabelle Blais). Puis l’auteur épouse la jeune journaliste Frida Uhl (incarnée par Marie-Pier Labrecque), tout juste âgée de vingt ans. Un troisième mariage aura lieu avec la jeune comédienne Harriet Bosse (qu’incarne la convaincante Lauriane S. Thibodeau). Jean-François Casabonne incarne le dramaturge qui devant les accusations des femmes de sa vie s’empêtre dans un dédale de justifications qui tiennent aussi peu la route à son époque qu’à la nôtre. Christophe Baril personnifie pour sa part un Strinberg jeune et intransigeant et à écouter ce contemporain de Freud et de Nietzsche, on saisit la modernité du propos et combien les femmes sont les chèvres émissaires de tous les doutes de l’homme de la fin du 19e siècle et du début du 20e, qui assiste à la fragilisation de ce tenait pour d’inébranlables certitudes. Le génial auteur ne va-t-il pas jusqu’à blâmer son angoisse de la page blanche sur le bruit de l’agitation des suffragettes? Ces arguments rappellent la présence de la misogynie ordinaire et de l’inquiétant mépris de la rhétorique haineuse masculiniste dans le discours social moderne.
L’objectif est noble et Strinberg est un spectacle intéressant. Il se démarque pour la recherche de son propos et son contenu hautement instructif. Le texte est exigeant et se présente sous la forme d’une suite d’assez longs monologues qui se répondent sans que les personnages n’aient réussi à communiquer. Les comédiennes livrent des morceaux de bravoure qui les enchâssent dans le passé et, si l’on comprend pourquoi cette forme a été retenue, le résultat de ce jeu de miroir pèse tout de même un peu sur le spectacle.
Objet particulier que ce Strinberg. Mais le spectacle vous reste en tête, je peux en témoigner. Strinberg – collectif d’autrices, mise en scène de Luce Pelletier À l’Espace Go, jusqu’au 12 mai.