La cartomancie du territoire marque le retour attendu du metteur en scène et comédien Philippe Ducros sur les scènes montréalaises. La cartomancie du territoire est certainement son spectacle le plus généreux et abouti, autant dans l’écriture que dans la mise en scène. À voir à l’Espace Libre jusqu’au 7 avril 2018.
Mais un mot d’abord sur sa compagnie de théâtre Hôtel-Motel, créée en 2000 et qui porte ce nom parce qu’elle souhaite, par ses propositions scéniques, sortir le spectateur des cuisines du Québec, le faire voyager, le pousser à la rencontre des autres, et ainsi aborder des préoccupations mondiales. Avec la pièce L’affiche, Ducros nous entrainait en Palestine ; l’exposition photo -audio La porte du non-retour faisait pour sa part référence à des monuments de la côte ouest africaine érigés en mémoire des millions d’esclaves déportés de l’Afrique vers l’Amérique. Avec Eden Motel, l’auteur abordait les paradoxes d’une l’Amérique du Nord riche – mais malheureuse. À l’hiver 2015, le voyageur partait à l‘assaut du Québec et des réserves autochtones, sur les autoroutes132 et 138. Le résultat ? La cartomancie du territoire : un road-trip polyphonique subtil et bien écrit, une vraie rencontre pleine d’empathie, publiée chez Atelier 10 et fort bien transposée sur la scène (le texte a été finaliste du Prix de la dramaturgie de langue française de la SACD 2017).
Philippe Ducros est donc parti à la rencontre des peuples invisibles, pour mesurer le déracinement et les plaies encore béantes de l’endoctrinement. Il constate la résilience de ces survivants de l’Histoire et s’en empreigne, avec l’intuition qu’à travers eux et en dépit de son incurable intolérance à l’injustice, il pourrait apprendre à guérir, lui aussi. Entre carnets de voyage et témoignages, La cartomancie du territoire a des allures de théâtre documentaire et cette impression est d’autant plus forte que le metteur en scène a choisi de projeter sur le mur du fond des vidéos tournées pendant son périple. Les images sont d’autant plus impressionnantes que la scène a été montée de façon à ce que la profondeur habituelle de la sale en devienne cette fois la largeur, offrant un support parfait pour les images panoramiques qui soutiennent une bonne partie du spectacle. Il est rare qu’un mariage scène – écran soit aussi harmonieux et c’est à souligner (vidéo: Éli Laliberté et Thomas Payette de Hub Studio).
Il est de plus rarissime qu’une pièce signée par un non autochtone réserve d’aussi beaux rôles à des autochtones et cela aussi, c’est à souligner à grands traits! Les comédiens Marco Collin et Kathia Rock (qui offre un peu de sa voix aérienne et angélique) ont enfin l’occasion de démontrer leur souffle et leur potentiel et on devine les solides liens de confiance qui se sont tissés avec l’auteur et metteur en scène Philippe Ducros, qui joue son rôle sur les planches du théâtre de la rue Fullum. Avec La cartomancie du territoire, l’auteur metteur en scène humaniste, qui a été l’un des premiers à appeler à la diversité sur nos scènes, livre une formidable leçon de vivre et devenir ensemble.
Pensionnats autochtones, accès à l’eau courante et à l’éducation, femmes disparues, racisme systémique, toxicomanie, alcoolisme, criminalité, taux de suicide, ressources naturelles, spiritualité… Porter la douleur, la honte, et devoir, en plus et sans relâche, les raconter. Les thèmes abordés dans La cartomancie du territoire sont légions et si l’émotion et l’indignation sont souvent au rendez-vous, l’espoir refuse de s’éteindre. Parce qu’ensemble, nous pourrions vraiment changer les choses. Je cite l’auteur : « Décolonisation de notre pensée, appropriation de notre destinée, de la langue qui l’imagine et la transmet, et du territoire qui la porte… À travers leur combat, c’est notre survie à tous qui se joue ».
La cartomancie du territoire, un spectacle inspirant à voir jusqu’au 7 avril, à l’Espace Libre.
Crédits:
Les productions Hôtel-Motel
Texte et mise en scène: Philippe Ducros Interprétation: Marco Collin, Kathia Rock et Philippe Ducros Musique: Florent Vollant Éclairages: Thomas Godefroid Vidéo: Éli Laliberté et Thomas Payette de Hub Studio Assistance à la mise en scène et régie: Jean Gaudreau Direction technique: Samuel Patenaude Direction de production: Marie-Hélène Dufort Conception sonore: Larsen Lupin