Lucie Bazzo: Peindre avec la lumière

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La gagnante de la dernière Bourse de ressourcement du studio du Québec à Londres, Lucie Bazzo, est revenue gonflée à bloc de ce voyage nécessaire et salutaire. Sitôt rentrée, la plus sensible des conceptrices de lumières se lance dans un contrat prestigieux : la création d’Enfant insignifiant, le nouveau texte de Michel Tremblay qui sera présenté chez Duceppe dès le 13 décembre. Entrevue.

La bourse de mi-carrière du studio du Québec à Londres n’est pas un projet en tant que tel, mais une bourse de ressourcement. Lucie Bazzo a décidé de jouer le jeu à fond et s’est comme on dit payé la traite, choisissant d’aller voir un spectacle chaque jour et de terminer son séjour dans le quartier artistique du centre-est de Londres par un projet photo. Elle raconte : « Parce qu’une partie de mon inspiration est dans la rue et qu’on ne peut pas reproduire un coucher de soleil si on n’en a jamais observé, j’allais marcher et je prenais des photos chaque jour, histoire d’aiguiser ma perception. » La lumière est perceptible quand elle frappe un objet, autrement elle est impalpable. C’est donc ce qui nous entoure qui nous fait découvrir la lumière, rappelle la créatrice. Quand on lui parle de luminosité diffuse, cette scientifique de la lumière répond que c’est dû au pollen et à la pollution qui tamisent la lumière. Se promène-t-elle avec une panoplie d’appareils sophistiqués ? « Je n’ai que mon vieux iPhone 4S », confie la surdouée de l’observation. Elle a adoré son séjour de huit mois à Londres, son milieu underground. Les théâtres londoniens ont plus d’argent que les nôtres parce que les Londoniens vont tous au théâtre : les enfants vont voir du Shakespeare et c’est une fête ! Les saisons sont vendues un an à l’avance et là-bas, les communautés culturelles sont très présentes et le talent n’a pas de couleur de peau, conséquence directe de l’ancien empire colonial de l’Angleterre. Encore pleine de son voyage, Lucie Bazzo glisse : « J’ai beaucoup aimé, je ne faisais que recevoir, c’était fantastique. »

« C’est vrai que des tableaux s’imposent à mon esprit quand je règle les éclairages et que je fais de la peinture lumineuse », confie celle qui a été formée en scénographie au Conservatoire de Québec. Lucie Bazzo court les musées, regarde les collections permanentes, qui font partie de notre ADN culturel et qu’elle trouve de première importance, même si on a l’impression qu’elles sont reléguées aux oubliettes. En travaillant avec Paul André Fortier pour Trois, elle voyait des Lemieux, des personnages qui ne se regardent pas, de grands espaces. Avec une certaine ferveur, Lucie Bazzo ajoute : « Pour Enfant insignifiant, je me suis inspirée des couleurs et des tonalités des aquarelles de Michel Tremblay, celles qu’on a pu voir dans Encore une fois si vous le permettez. » Il faut s’approcher de l’esprit de la chose, l’espace influe aussi sur la conception. La lumière n’a pas de frontière, elle touche le théâtre, la danse, la musique, la performance, des expositions. « Je me suis fait une spécialité des lieux non théâtraux, j’ai beaucoup travaillé en danse et c’est vrai que j’ai commencé en haut de l’échelle et que je suis restée », dit Lucie Bazzo, qui a illuminé La trilogie des dragons de Robert Lepage dès son premier contrat. Qu’est-ce qui la fait accepter certains projets plutôt que d’autres ? « Probablement le fait qu’ils soient proposés par des amis, répond gaiement Lucie Bazzo. Quand Robert Lepage est venu me voir et m’a demandé de faire la lumière pour Quills, j’ai tout de suite accepté. Il y a des gens avec qui je veux travailler, ce sont des rencontres d’artistes et même si ce sont de petites affaires de rien du tout, sans budget, c’est important de les faire », ajoute-t-elle. Ainsi, la conceptrice a créé notamment pour le Festival Phénomena des bijoux de tableaux-installations lumineux qui parsèment les vitrines des commerçants du Mile-End.

Lucie Bazzo fonctionne de façon très picturale, par touches. « Oui je dessine, mais la peinture n’est pas mon médium, c’est plutôt la photo. » Elle aime trouver la poésie dans les objets les plus quotidiens; elle prend par exemple en photo des cabanes de stationnement. C’est de la poésie citadine, un travail de perception, de ressenti scénographique de la lumière. « Ce ne n’est pas forcément ce que le chorégraphe désire que j’exprime – je peux plutôt vouloir aller avec la lumière en contrepoint et ça se marie très bien », continue la polyvalente éclairagiste. Lucie Bazzo donne en exemple sa collaboration avec Linda Gaudreault : « Linda était incroyablement cartésienne et moi très organique, mais je sais pas comment, la chimie fonctionnait. » En théâtre, Lucie Bazzo évite de lire le texte avant la première lecture avec les comédiens pour mieux sentir ce qu’ils vont imprimer dans son esprit. A-t-elle réussi à faire de même avec Enfant insignifiant ? « Non, j’ai triché… Je n’aurais jamais cru avoir l’honneur de participer à une création dramatique de Michel Tremblay; c’est un auteur prolifique, mais ça fait un moment qu’il a arrêté de produire pour le théâtre. » Le texte, qui est de deux heures trente, a été resserré pour que la représentation soit plus enlevée. « Chaque projet est une nouvelle aventure… Je suis très motivée », résume Lucie Bazzo, amusée par son propre enthousiasme.

Le nouveau texte de Michel Tremblay, Enfant insignifiant, sera présenté du 13 décembre au 3 février, dans une mise en scène de Michel Poirier au théâtre Jean-Duceppe www.duceppe.com

 

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