Dans le théâtre musical La Corriveau – La soif des corbeaux, Jade Bruneau et sa troupe déconstruisent la plus grande légende du folklore québécois et la mettent au goût de jour, de l’autre côté de #Me too. Convaincant, cohérent et actuel. Jusqu’au 23 juillet au Centre culturel Desjardins de Joliette, Théâtre de l’Oeil Ouvert.
Après le succès de Clémence, un spectacle sur la vie de Clémence Desrochers, avec La Corriveau – La soif des corbeaux, le Théâtre de l’Œil Ouvert (TOO) renouvelle l’exploit de faire un théâtre de création original, à la rencontre des disciplines, mettant de l’avant la place des femmes au cœur de l’histoire racontée, mêlant ici légende et faits historiques.
L’enquête
La directrice de création et metteure en scène Jade Bruneau a choisi d’ouvrir le spectacle en donnant la parole à une manière d’alter ego – une journaliste (Karine Lagueux, convaincante) qui part sur les traces de la Corriveau et de la légende née de son supplice. Le postulat de l’enquêteuse? La Corriveau avait un caractère bien trempé et, victime de violence conjugale, elle s’est défendue. Mention spéciale au premier tableau, accrocheur, qui annonce la gravité du sujet sans lésiner sur le rythme.
Car en 1763, une femme est la chose de son époux, pour le meilleur et pour le pire, même s’il la bat comme plâtre. Des clins d’œil au monde contemporain, comme des sonneries de téléphone cellulaire, ponctuent le spectacle et rappellent que nombre de femmes qui résistent au patriarcat le payent encore aujourd’hui de leur vie.
Au fil de l’enquête, les personnages défilent. La gestuelle du mari (Simon Fréchette-Daoust, très crédible) est menaçante : La Corriveau lui a dit oui, il a maintenant tous les droits. Jade Bruneau incarne une vibrante Marie-Josephte Corriveau et on aurait aimé profiter un peu plus de sa belle voix puissante mais c’est l’ensemble des interprètes qui a le premier rôle.
Le père Corriveau est interprété par un Jean Maheux très en voix. Renaud Paradis module avec finesse le personnage du notaire à qui les juges enjoignent de défendre la Corriveau. L’infâme Ti-Claude est joué par Simon Labelle-Ouimet et le public adore le mépriser. Les passages de Frédérique Mousseau, l’innocente du village, sont comiques et rafraichissants.
Noir corbeau
Les codirecteurs artistiques du TOO Jade Bruneau et Simon Fréchette-Daoust ont choisi de de personnifier la juge et sa cour en corbeaux, des oiseaux réputés funèbres de par leur proximité avec la mort. L’allégorie aux volatiles est très présente, inspirant des chorégraphies avec de grands mouvements de bras qui mettent en valeur les toges noires des interprètes (Adam Provencher).
De chanson en chanson (26), les interprètes, qui ont commencé la représentation en groupe, adoptent vite diverses formations. Les marques sont claires, les intentions aussi, il n’y a aucune hésitation dans les enchainements soulignés par un éclairage simple mais efficace (Maude Serrurier). Le pianiste David Terriault (directeur vocal) et les multi-instrumentistes Marc-André Perron (directeur musical et arrangements) et François Marion sont installés tout au fond de la scène, derrière une mystérieuse structure qui évoque une boule de cristal. N’a-t-on pas déjà traité la Corriveau de sorcière?
Maître Corbeau, la Procureure (Frédérike Bédard, parfaite dans son rôle) harangue : Profitez! Profitez! This is my last show! Aux oreilles d’une prévenue qui ne parlait pas la langue des conquérants anglais, les questions des juristes devaient être aussi peu compréhensibles que des croassements. Des projections appuient l’idée de l’oiseau du malheur qui veille, et celles des corbeaux sont les plus réussies.
Une femme libre
Son premier époux est mort des suites d’une blessure de guerre et la Corriveau allumait des feux de grève pour avertir l’armée française des déplacements de l’armée anglaise. Puis, lorsque, pour subvenir aux besoins de ses enfants, la veuve est forcée de se remarier, les villageois protestent car son deuil n’a pas assez duré. On l’aurait vue danser? La machine à ragots s’emballe, comme le chante l’ensemble des comédiens qui joue les villageois médisants.
Comment cette mère de trois enfants, victime d’un mauvais procès, a-t-elle pu se transformer en effroyable sorcière ayant tué sept maris ? Cette question anime La Corriveau – La soif des corbeaux. Aussi, au fil de l’enquête menée sur scène, chaque indice qui met à mal la légende est-il répété et martelé par le cœur des interprètes comme dans une chanson à répondre, podorythmie à l’appui dans certains cas.
C’est pour que les faits révélés entrent dans la tête du spectateur, qu’ils lui pénètrent le cœur. Et parce portées par cette magnifique distribution, l’écriture de Geneviève Beaudet et Félix Léveillé et la musique d’Audrey Thériault peuvent effacer, en deux heures, plus de deux-cent cinquante ans de croyances pernicieuses et qu’ainsi, une forme de justice soit rendue à la Corriveau.
La pièce de théâtre musical La Corriveau – La soif des corbeaux (allez visiter le site de la compagnie) est présentée jusqu’au 23 juillet au Centre culturel Desjardins de Joliette, puis du 27 au 31 juillet au Théâtre Le Patriote de Sainte-Agathe-des-Monts; ainsi que du 4 au 20 août au Carré 150, à Victoriaville.